Source : L'Usine Nouvelle

https://www.usinenouvelle.com/editorial/l-instant-tech-l-europe-peut-rebondir-dans-le-photovoltaique-avec-les-cellules-tandem-juge-le-chimiste-daniel-lincot-au-college-de-france.N1779477

[L'instant tech] « L’Europe peut rebondir dans le photovoltaïque avec les cellules tandem », juge le chimiste Daniel Lincot, au Collège de France

Spécialiste de l’énergie solaire, directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’Ile-de-France de 2013 à 2019, le chimiste Daniel Lincot est titulaire de la chaire d’innovation technologique Liliane Bettencourt pour l’année 2021-2022 au Collège de France. En mai 2021, il a fondé la start-up Soy PV, qui veut fabriquer des cellules CIGS en France. A la suite de sa leçon inaugurale du 20 janvier, Daniel Lincot décrit à L’Usine Nouvelle le dynamisme de l’innovation photovoltaïque, portée par la transition énergétique.

[L'instant tech] « L’Europe peut rebondir dans le photovoltaïque avec les cellules tandem », juge le chimiste Daniel Lincot, au Collège de France

Titulaire de la chaire d'innovation technologique 2021/2022 au Collège de France, Daniel Lincot a cofondé en mai 2021 la start-up Soy PV pour industrialiser la production de cellules CIGS en France.

L’Usine Nouvelle. - En quarante ans de recherches sur les technologies solaires, quels grands changements avez-vous pu observer ?

Daniel Lincot. - De marché spécialisé, le photovoltaïque est devenu une source d’énergie globale, qui doit fournir des solutions face aux enjeux climatiques. Après avoir débuté dans le spatial et l’alimentation de sites isolés, c’est aujourd'hui la source d’énergie qui se développe le plus rapidement au monde ! En une décennie, le photovoltaïque est passé de quasiment 0 à 4% de la consommation électrique mondiale, et il affiche une croissance annuelle de 20 à 30%.

Plusieurs pays dépassent les 10% d’électricité solaire avec un record pour le Vietnam, qui grimpe à 15%. La puissance installée globale est de 767 gigawatts, dont 143 pour la seule année dernière… Et les coûts de production ont beaucoup baissé. La France tourne autour de 60 euros du mégawattheure (MWh). Dans certains endroits très ensoleillés, les appels d’offres se font à 20 euros ou moins ! Le solaire devient de plus en plus compétitif par rapport au pétrole, au charbon et au nucléaire.

Une partie de ce succès est attribuable aux améliorations technologiques. Où en est le rendement des panneaux solaires ?

Tout l’enjeu de la recherche pour améliorer les rendements a été de favoriser l’extraction des électrons.

Le rendement désigne le rapport entre l’électricité produite par un panneau solaire et l’énergie lumineuse qu’il reçoit. Le record en cellule sur la technologie silicium, qui représente 95% de la production, est aujourd'hui à 26,7%, ce qui signifie que par plein soleil, avec 1 000 watts par mètre carré, un panneau d’un mètre carré produira 267 W. Au niveau commercial, on atteint entre 18 et 21%. Et cela, sans pièce tournante ni chauffante !

Concrètement, les photons qui arrivent du Soleil sont absorbés par les électrons présents dans le silicium qui changent de potentiel. Dans un matériau classique, ces électrons, dits « excités », reviennent très vite à leur état normal et l’opération produit de la chaleur. Mais on a découvert en 1941 que le silicium a des propriétés qui permettent aux électrons d’être transférés à l’extérieur, grâce à des contacts, permettant de récupérer sous forme électrique l’énergie des photons. Depuis, tout l’enjeu de la recherche pour améliorer les rendements a été de favoriser l'absorption des photons puis l’extraction des électrons. Cela paraît simple, mais la réalité est tout autre.

Comment cela ?

Les procédés de purification du silicium ont fait des progrès considérables et l’architecture des cellules s’est transformée. Les premières cellules à partir de 1955 étaient basées sur des jonctions p-n rudimentaires et atteignaient 6% de rendement. Depuis, il y a eu une succession d’innovations, parfois séparées de plusieurs années, comme l’amélioration du dopage par des éléments étrangers (phosphore, bore), l’ajout de grilles pour collecter les électrons, la passivation des surfaces et la texturation des surfaces en forme de micro pyramides pour réduire la réflexion de la lumière. Ce qui a aussi donné leur couleur bleu-nuit aux panneaux ! La dernière innovation majeure, dite structure à hétérojonction (HIT), date de 2015.

Cela simplifie aussi la fabrication, car on utilise différents matériaux pour former la jonction p-n, qui provient du dépôt de couches minces (silicium amorphe ou oxydes) sur du silicium cristallin. C’est d’ailleurs avec la technologie HIT que le CEA-Ines a atteint un rendement de 25% sur cellule industrielle. Pour limiter encore les pertes, certains disposent maintenant les contacts en face arrière uniquement. Ils sont alors dits inter-digités, ce qui a permis d’atteindre 26,7% de rendement en 2017. Les cellules modernes sont des merveilles de technologie.

Les technologies en couches minces pourront aussi être utilisées au-dessus des cellules silicium.

Comment aller plus loin ?

Le silicium s’approche de sa limite théorique, qui est d’un peu plus de 29%. Pour des raisons physiques, ces cellules ne convertissent pas de façon optimale l’énergie des photons dans l’ultraviolet ni le visible, et elles n’absorbent pas du tout les photons de plus grande longueur d’onde (supérieure à 1,2 micron). Les chercheurs ont trouvé une solution pour aller plus loin : superposer aux cellules silicium d’autres cellules, avec des propriétés d’absorption des photons différentes pour créer une multijonction… Avec deux jonctions, appelées tandem, le rendement théorique passe de 33 à 43%. Et dépasse 50% avec trois.

C’est la voie toute tracée pour la recherche photovoltaïque. D'autant que la multijonction ouvre la voie à une convergence entre des technologies photovoltaïques qui se sont développées en parallèle. Les technologies en couches minces – du type CIGS (séléniure de cuivre, d'indium et de gallium), GaAs (arsenure de galium) et plus récemment, organique et pérovskite – pourront aussi être utilisées au-dessus des cellules silicium, plus épaisses. Cette hybridation s’appuie sur les technologies existantes, à la fois silicium et couches minces, et créée une synergie au niveau industriel sans détruire le tissu mis en place.

Pour l’instant, la filière couche mince n’a pas réussi à s’imposer face aux cellules en silicium produites en Chine et plusieurs entreprises phares, comme Solyndra aux Etats-Unis, ont coulé…

Certaines s’en sont bien sorties. La société First Solar, qui utilise du tellurure de cadmium (CdTe) et que les américains ont su préserver, voit son activité exploser aujourd’hui. Les technologies en couche mince sont plus intéressantes sur le long terme, mais plus complexes au niveau des matériaux. La montée en puissance de la filière silicium a écrasé la concurrence. Chaque fois que l’on doublait la production cumulée de cellules silicium, leur prix baissait de 22%, et depuis 2008 la tendance s’approche des 40%, expliquant le prix de marché de 0,3 dollar par watt aujourd’hui ! Difficile de résister.

Mais les couches minces pourraient revenir rapidement sur le marché. Par exemple, le CIGS permet de produire des panneaux souples, légers et performants, comme le propose Solar Cloth dont les modules atteignent 17%. Cela permettrait d’ouvrir un marché gigantesque, en couvrant les toitures qui ne peuvent pas supporter de poids et en multipliant les applications mobiles (voiles, toiles de tentes, serres agri-photovoltaïques…).

Le photovoltaïque organique, porté en particulier par Armor en France, participe de la même démarche et affiche des rendements de 5% en modules, mais proches des 20% en laboratoire. Enfin les pérovskites, des molécules matériaux entre l’organique et l’inorganique, connaissent un développement fulgurant au niveau de la recherche. Depuis leur première utilisation en 2009, les rendements sont passés de 3,8% à 25%. Cela pourrait constituer une véritable révolution ! Les années qui viennent vont voir se développer un photovoltaïque très léger imprimé en roll-to-roll, donc aussi simple à produire que des journaux…

Les années qui viennent vont voir se développer un photovoltaïque très léger imprimé en roll-to-roll, donc aussi simple à produire que des journaux…

L’innovation serait donc le moyen de produire à nouveau du photovoltaïque en Europe ?

Les projets de cellules tandem sont clés pour le futur. Dans les pérovskites, l’Europe est bien placée, avec la compagnie britannique Oxford PV et la polonaise Saule Technologies. En France, l’IPVF et l’INES travaillent ensemble sur des cellules tandem silicium-pérovskite. L’industrie anticipe le succès de cette technologie, qui doit encore régler des problèmes de stabilité, mais pourrait être couplée au silicium pour dépasser 30% de rendement, ou jouer sa carte seule… D’autres tandems entièrement en couches minces sont également en développement associant CIGS et pérovskites, ou matériaux organiques…

Mais attention à ne pas s’endormir. La Chine investit des sommes considérables dans l’industrie photovoltaïque et possède des chercheurs en pointe sur tous les sujets émergents, comme les pérovskites et le photovoltaïque organique. Mais les cartes peuvent être rebattues au niveau mondial, car l’industrie photovoltaïque n’en est qu’à ses débuts. L’industrie de fabrication européenne de modules photovoltaïques pourrait rebondir dans cette nouvelle phase, grâce à l’innovation sur les nouvelles architectures de cellules, et une politique de réindustrialisation qui doit faire du photovoltaïque une industrie stratégique. L’Allemagne, la Suisse avec Meyer Burger et son projet d’usine de 5 GW, s’engagent fermement dans cette voie. Mon souhait est que la France s’y impose également.

 


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