Source : Virgule

https://www.virgule.lu/luxembourg/a-quel-point-la-centrale-nucleaire-de-cattenom-est-elle-sure/11985096.html

À quel point la centrale nucléaire de Cattenom est-elle sûre?

Consultation publique
 
 

La durée de vie des réacteurs vieillissants de 1.300 mégawatts doit être prolongée. Une nouvelle expertise pointe pourtant du doigt les risques.

La centrale nucléaire de Cattenom est visible de loin. Greenpeace demande au gouvernement luxembourgeois de s’engager pour la fermeture de la centrale.
La centrale nucléaire de Cattenom est visible de loin. Greenpeace demande au gouvernement luxembourgeois de s’engager pour la fermeture de la centrale. © PHOTO: ullstein bild via Getty Images
 

Il y a huit ans, l’espoir a brièvement grandi que la menace de la centrale nucléaire de Cattenom, située à quelques kilomètres seulement de la frontière luxembourgeoise, pourrait bientôt prendre fin. Sur les réseaux sociaux, la ministre française de l’Environnement de l’époque, Ségolène Royal, avait déclaré que les centrales nucléaires proches des frontières (Fessenheim, Bugey et Cattenom) seraient les premières à être fermées. Le président Hollande avait formulé le plan de réduire la dépendance du pays à l’énergie nucléaire et de fermer 22 centrales nucléaires en dix ans.

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Le Premier ministre luxembourgeois de l’époque, Xavier Bettel (DP), jubilait déjà sur Facebook, mais il a ensuite été déçu. Ségolène Royal a laissé entendre qu’elle n’avait effectivement jamais dit cela de cette manière. Aujourd’hui, il n’est plus question que la France réduise le nombre de ses réacteurs. Au contraire, le président français Emmanuel Macron a parlé en 2022 d’une «renaissance du nucléaire» imminente en France et a annoncé la construction de 14 nouveaux réacteurs.

Les installations existantes devraient également continuer à être exploitées. Actuellement, la prolongation de la durée de vie des 20 réacteurs d’une puissance de 1.300 mégawatts est à l’ordre du jour. Le début de la construction des centrales de ce type, dont fait partie l’unité de réacteur 1 de Cattenom, remonte à 40 ou 50 ans. «Leur concept de sécurité a été développé au début des années 1970, une époque où les exigences en matière de sécurité des centrales nucléaires étaient nettement moins élevées qu’aujourd’hui», explique Manfred Mertins, un expert en sécurité des réacteurs qui occupe une chaire à l’université technique de Brandebourg.

 

Les connaissances acquises lors de l’accident de réacteur de Three Mile Island (1979), de la catastrophe de Tchernobyl (1987), de l’attentat du 11 septembre (2001) et de la catastrophe de Fukushima (2011) ont à chaque fois conduit à un renforcement considérable des exigences de sécurité existantes, qui, autrement, n’auraient pas été intégrées dans ces concepts.

 

40 ans et aucune fin en vue

À la demande de Greenpeace Luxembourg, Manfred Mertins a réalisé une étude sur les risques de sécurité qu’entraînerait la poursuite de l’exploitation des installations. «À l’origine, les installations ont été conçues pour une exploitation de 40 ans. Une exploitation au-delà de cette durée ne faisait pas partie de la conception initiale», écrit le scientifique dans son rapport publié jeudi. Cattenom 1 atteindra également la fin de sa durée de vie initiale de 40 ans en 2026.

Mais contrairement à d’autres pays, il n’existe pas en France de limite légale à la durée de vie des centrales, a expliqué l’expert lors de la présentation de son étude. Au lieu de cela, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a le pouvoir de décider la poursuite de l’exploitation pour dix années supplémentaires si elle estime que la sûreté est garantie.

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Dans son expertise, Manfred Mertins doute que ce soit le cas. Pour lui, la poursuite de l’exploitation des 1.300 mégawatts n’est envisageable que si le niveau de sécurité des réacteurs de dernière génération EPR est atteint. La première installation de ce type en France, à Flamanville, devrait finalement être raccordée au réseau en milieu d’année, alors que sa mise en service était initialement prévue pour 2012.

À l’origine, les installations ont été conçues pour une exploitation de 40 ans.

Manfred Mertins
Expert en sécurité des réacteurs
 

Pour lui, l’une des faiblesses des anciens réacteurs par rapport aux installations modernes réside dans le fait que les systèmes de sécurité ne sont pas suffisamment redondants. Cela signifie que des alternatives sont disponibles en cas de défaillance des systèmes de sécurité tels que les alimentations électriques de secours. Dans les anciennes installations, il existe certes un degré de redondance «à deux niveaux», c’est-à-dire qu’il y a exactement une alternative pour chaque système. Mais dans les réacteurs plus récents, la redondance à trois niveaux est la norme. En outre, les systèmes de sécurité ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres.

Par exemple, les systèmes de refroidissement de secours sont alimentés par le même réservoir d’eau. Si celui-ci est endommagé, les deux systèmes de sécurité tombent en panne. «C’est une faiblesse absolue dans le concept de sécurité», explique l’expert. Selon lui, il n’est pas possible de remédier à ces faiblesses par des rééquipements dans la plupart des centrales, ne serait-ce que pour des raisons de place, car les installations n’ont pas été conçues pour cela.

 

Les nouveaux risques n’ont pas été pris en compte

Comme les concepts de sécurité ont 50 ans, ils ne prennent pas en compte des risques auxquels personne ne pensait à l’époque. Par exemple, les réacteurs ont été conçus de manière à pouvoir résister au crash d’un petit avion comme un Cessna. L’idée que de gros avions de ligne puissent être utilisés comme explosifs, comme le 11 septembre 2001, n’a pas effleuré l’esprit des concepteurs. Les effets du changement climatique n’ont pas non plus joué un rôle dans les années 1970. Des températures élevées de longue durée, des pluies extrêmes ou des tempêtes pourraient pourtant très bien mettre en danger la sécurité des installations, explique l’expert.

«Les déficits existants dans les systèmes et les composants importants pour la sécurité augmentent considérablement la probabilité d’accidents graves et entraînent ainsi de graves risques pour l’homme et l’environnement», conclut-il dans son expertise.

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Il doute en outre que les rééquipements nécessaires pour augmenter la sécurité des installations au niveau requis puissent être achevés à temps. Cela a déjà été démontré lors de la prolongation de la durée de vie de la génération précédente de réacteurs de l'ordre de 900 mégawatts, où des retards considérables ont été enregistrés.

Quant à savoir si l’on peut tout de même imposer à la société le risque plus élevé par rapport aux installations plus récentes, il s’agit d’une «décision politique», déclare Manfred Mertins. L’exploitant des centrales nucléaires françaises, EDF, n’a pas répondu dans un premier temps à la demande d’avis sur les préoccupations en matière de sécurité.

 
Manfred Mertins, un expert en sûreté des réacteurs, doute que les anciens réacteurs puissent répondre aux exigences modernes.
Manfred Mertins, un expert en sûreté des réacteurs, doute que les anciens réacteurs puissent répondre aux exigences modernes. © PHOTO: Privat

Luc Frieden fait marche arrière

«Au vu des défauts, des incertitudes et des risques, il faut empêcher la prolongation de la durée de vie de Cattenom 1. Une autorisation d’exploitation après l’expiration de la durée de vie de 40 ans représente un risque pour notre sécurité à tous», déclare Roger Spautz, de Greenpeace Luxembourg. Une consultation publique est en cours depuis le début de l’année, à laquelle les riverains des pays voisins peuvent également participer.

«On peut y (...) poser des questions ou faire des propositions, mais cela n’a aucun fondement légal», explique-t-il. Une action juridique contre une prolongation ne serait possible qu’à une date ultérieure. L’organisation environnementale demande cependant au gouvernement luxembourgeois de «s’opposer clairement à l’utilisation de l’énergie nucléaire et de s’engager activement contre une prolongation de la durée de vie de Cattenom». Elle attend des gouvernements des pays voisins qu’ils examinent comment exercer une pression politique d’une part, mais aussi quelles sont les possibilités juridiques d’autre part, précise Roger Spautz.

Au vu des défauts, des incertitudes et des risques, il faut empêcher la prolongation de la durée de vie de Cattenom 1.

Roger Spautz
Greenpeace Luxembourg
 
 

Le gouvernement entretient des relations directes avec les autorités françaises, «ce qui garantira un échange tout au long du processus, qui s’étendra sur plusieurs années», écrit le ministère de l’Énergie en réponse à une question. Il existe plusieurs mécanismes entre la France et le Luxembourg qui permettent aux autorités luxembourgeoises d’avoir accès à des informations et d’exprimer des préoccupations concernant la sécurité de la centrale nucléaire de Cattenom, dont la réunion annuelle de la Commission mixte franco-luxembourgeoise de sûreté nucléaire.

«Le gouvernement réitère son engagement, exprimé dans le programme de gouvernement, d’intervenir auprès des autorités françaises pour la fermeture de Cattenom», souligne le ministère dans un communiqué, précisant la position du Luxembourg concernant la prolongation.

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Récemment, le Premier ministre Luc Frieden avait provoqué des remous en déclarant que le Luxembourg était en principe «ouvert à la technologie» en ce qui concerne l’avenir du développement de l’énergie nucléaire et qu’il «ne dictait pas aux autres la manière dont ils devaient se passer des énergies fossiles». Des déclarations qu’il a ensuite relativisées après que des voix discordantes se sont élevées dans ses propres rangs.

Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort.

Adaptation: Mélodie Mouzon


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