Source : La Tribune

https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/nucleaire-demarrage-imminent-pour-l-epr-de-flamanville-d-edf-996461.html

Nucléaire : après 12 ans de retard, EDF va enfin mettre en service l’EPR de Flamanville

Le chantier du réacteur le plus puissant au monde s’achève, avec douze ans de retard sur la date prévue et un considérable dérapage financier.

La centrale de Flamanville 3.
La centrale de Flamanville 3. (Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

TIC-TAC, TIC-TAC... Après dix-sept longues et douloureuses années de chantier sur la presqu'île du Cotentin, EDF est enfin prêt à mettre en service le premier réacteur EPR français. Les équipes n'attendent plus que le feu vert du gendarme du nucléaire, dont l'instruction est sur le point d'aboutir après la finalisation d'une ultime consultation du public. Ce n'est plus qu'une question de jours ou de semaines, tout au plus.

En coulisses, la venue du président de la République est programmée mi-mai. En toute logique, Emmanuel Macron, accompagné du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, et de son ministre délégué à l'Énergie, Roland Lescure, devrait se rendre sur le site de Flamanville (Manche) à l'occasion du chargement du combustible dans la cuve du réacteur, l'acte I des tant attendues opérations de démarrage. Sur place, tout le monde retiendra son souffle. Et pour cause : alors que la France engage une vaste relance de l'atome civil, comprenant la construction de six, voire quatorze nouveaux réacteurs, ce coup d'envoi constitue un véritable test pour la filière, sommée de se remettre en ordre de bataille après un chantier maudit.

 

Le plus puissant du monde

Sur le papier, le réacteur normand de 1.600 mégawatts, soit le plus puissant au monde, devait produire ses premiers électrons dès 2012, cinq ans seulement après le premier coup de pioche. « Ce qui était très optimiste, car les précédents chantiers nucléaires pour la construction des réacteurs de Chooz et de Civaux avaient duré une dizaine d'années », souligne Michaël Mangeon, spécialiste de l'histoire du nucléaire. Mais cet affichage commercial extrêmement ambitieux tourne vite au fiasco.

Les travaux, à peine entamés, sont arrêtés en mai 2008 en raison de défaillances au niveau de la dalle de béton, qui nécessite d'être renforcée. S'ensuivent des retards liés à la non-disponibilité d'équipements clés. Puis des anomalies dans l'acier de la cuve, un composant crucial du réacteur, sont révélées par le gendarme du secteur. C'est ensuite le couvercle de cette même cuve qui ne satisfait pas aux exigences de sûreté. La malédiction se poursuit avec la détection de nombreuses soudures défectueuses. Leurs travaux de reprise n'en finiront plus de s'allonger.

 

La facture explose

Plombé par ces dérapages à répétition, le chantier accumule finalement douze années de retard. Mécaniquement, la facture explose. Elle se chiffre désormais à 13,2 milliards d'euros selon EDF, soit quatre fois les 3,3 milliards d'euros envisagés initialement. Même l'addition du chantier pharaonique du tunnel sous la Manche n'a pas autant flambé.

Ces multiples déboires ont largement été imputés au « désapprentissage » de la filière nucléaire après l'absence de projets de construction pendant une dizaine d'années, contrastant avec un rythme très soutenu, allant jusqu'à 30 chantiers en simultané, durant la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.

« Même sur des ouvrages très simples de génie civil, on avait complètement perdu les compétences, se remémore un ancien haut cadre dirigeant d'EDF. C'était une catastrophe. »

Ironie de l'histoire, à l'époque, Pierre Gadonneix, aux manettes de l'entreprise publique, lance justement le projet de cette centrale, non pour des besoins en électricité (la France se trouve alors en surcapacité), mais parce qu'il redoute justement une perte des compétences. Les dérapages de calendrier et de budget, il s'y attendait un peu, « mais pas à ce point-là ».

 

Conception complexe

Les difficultés rencontrées sont aussi le résultat d'une conception extrêmement complexe inhérente aux doubles exigences de sûreté imposées par les autorités compétentes de part et d'autre du Rhin. Car l'EPR (pour European pressurized reactor) est le fruit d'un rapprochement, en 1989, du français Framatome (qui deviendra Areva) et de l'allemand Siemens, poussé par François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl à l'aube de la naissance de l'Union européenne. « Il ne faut pas oublier que l'EPR de Flamanville est un réacteur post-Tchernobyl [accident nucléaire survenu en Ukraine le 26 avril 1986], retrace Michaël Mangeon. Les travaux de conception commencent au début des années 1990. À l'époque, le nucléaire fait peur, en France et encore plus en Allemagne, où il y a une grande crise de confiance. On veut donc un nouveau réacteur qui soit très sûr dans le contexte d'un marché nucléaire en berne. »

« On a conçu un monstre avec deux fois plus de béton et quatre fois plus d'acier que les réacteurs de la génération précédente, juge pour sa part un ancien membre du comité exécutif d'EDF. On a pris des dispositions qui ont rendu les choses presque inconstructibles. »

Malgré tout, d'autres chantiers d'EPR aboutissent en Chine et en Finlande, également avec plusieurs années de retard. Pour autant, l'achèvement de ces travaux ne signe pas la fin des difficultés. L'EPR chinois Taishan 1, par exemple, connaît un premier arrêt en 2021 en raison d'une augmentation de concentration de gaz rares, puis en 2023 à cause d'un phénomène de corrosion.

 

Le premier EPR et dernier en France

À Flamanville, si le chargement des combustibles nucléaires est imminent, il faudra attendre encore plusieurs mois pour que le réacteur soit effectivement raccordé au réseau normand. Ce couplage, prévu au cours de l'été 2024, n'aura lieu qu'à partir du moment où le réacteur aura atteint le quart de sa pleine puissance, après une montée progressive par paliers. Le niveau maximum de production, lui, n'est pas attendu avant la fin de l'année.

Une chose est sûre, l'EPR de Flamanville sera le premier, mais aussi le dernier EPR construit sur le sol tricolore. Les futurs réacteurs voulus par Emmanuel Macron seront des EPR 2, au design amélioré. « Ils feront partie de la grande famille des EPR, mais ce ne seront pas des jumeaux de celui de Flamanville. Ce seront plutôt des cousins », affirme Gabriel Oblin, directeur du projet EPR2 au sein d'EDF, l'homme qui a la lourde tâche de ne pas répéter ce magistral fiasco industriel. ■

 

 

Une saga interminable en dix dates

1992 - Naissance de NPI, l'entreprise commune entre le français Framatome (qui deviendra Areva) et l'allemand Siemens, qui porte le projet d'un réacteur à eau pressurisée européen, l'EPR.

2004 - Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, autorise la construction d'un EPR en France après le refus de Lionel Jospin en 1999.

2007Début du chantier de Flamanville (Manche). Son coût est estimé à 3,3 milliards d'euros et sa fin est prévue en 2012.

2008 Premiers problèmes au niveau de la dalle de béton. Le coût est réévalué à 4 milliards d'euros. Quelques mois plus tard, l'allemand Siemens se désengage de l'entreprise commune.

2011 - Le démarrage est repoussé à 2016 après deux accidents mortels sur le chantier et d'aléas divers. EDF doit aussi intégrer les dispositifs de sûreté post-Fukushima. Son coût est réévalué à 6 milliards d'euros.

2015 Alerte du gendarme du nucléaire sur une anomalie sérieuse de la cuve du réacteur. La fin du chantier est désormais prévue en 2018.

2018 - EDF avale la branche réacteurs nucléaires d'Areva. L'électricien doit reprendre 53 soudures. La fin du chantier est prévue en 2020, son coût est réévalué à 11 milliards d'euros.

2019 Nouveau dérapage de 1,5 milliard d'euros dû aux travaux à effectuer sur les soudures. Le démarrage est reporté à 2023.

2022 Mise en service décalée au 1er trimestre 2024. L'énergéticien estime le coût total à 13,2 milliards d'euros.

2024 Démarrage de l'EPR attendu en mai.

 

 

 
 
Juliette Raynal

--

powered by phpList 3.6.12, © phpList ltd