2020 s’était terminée par une déclaration d’amour d’Emmanuel Macron à l’industrie de l’atome sur le thème «notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire». 2021 commence par une nouvelle campagne de Greenpeace contre «cette énergie du passé qui pose des problèmes de sûreté et compromet le développement des énergies nouvelles en France». L’ONG, qui milite de longue date pour une sortie de l’atome, organisait ce mercredi un point presse pour décrypter à sa manière «les prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire pour la prolongation au-delà des quarante ans» des réacteurs les plus anciens du parc d’EDF.

Le gendarme français du nucléaire, l’ASN, doit en effet donner son feu vert dans les mois qui viennent à l’électricien pour prolonger de quarante à cinquante ans la durée de vie de 32 réacteurs de 900 MW. Et c’est plutôt en bonne voie: le 3 décembre, l’Autorité de sûreté nucléaire a publié un projet de décision ouvrant la voie à la poursuite du fonctionnement de ces centrales, sous réserve «d’améliorations significatives de la sûreté». Une demi-victoire pour EDF, vivement critiquée par Greenpeace évidemment. Construits dans le sillage de la centrale pionnière de Fessenheim (Haut-Rhin), arrêtée l’an dernier, ces réacteurs à eau pressurisée ont été «conçus dans les années 60 et 70 et construits en moins de dix ans dans le cadre du plan Messmer, avant les enseignements des accidents Tchernobyl et Fukushima», a rappelé Roger Spautz, chargé de campagne nucléaire de l’association.

«Déficits» par rapport aux normes EPR

Ce dernier a listé les «déficits de base» dont souffrent ces vieux «REP» en cas d’accident majeur, par rapport aux exigences de sûreté imposée par l’ASN pour le nouvel EPR de 1 600 MW, malgré les améliorations apportées par EDF : «redondance incomplète des systèmes de sécurité» (générateurs et pompes de secours), «bâtiment piscines avec combustibles usés mal protégés face à des actes de malveillance ou à une éventuelle chute d’avion», «cendrier récupérateur de Corium insuffisant» (le magma hautement radioactif créé par une fusion accidentelle du cœur du réacteur), radier en béton sur lequel est posé le réacteur pas assez épais, générateurs de vapeur «moins résistants au risque de rupture»

Sans parler du «mauvais choix géographique des sites» où ont été construites les premières centrales d’EDF car il fallait «couvrir le territoire de réacteurs nucléaires», a dénoncé le physicien Bernard Laponche en évoquant risques d’inondation et de tremblement de terre. Vieil opposant de l’atome, le président de l’association Global Chance a pointé du doigt la centrale du Tricastin (Drôme) présentée comme «l’une des centrales les plus dangereuses qu’il faut arrêter». Un choix qui ne doit rien au hasard : cette centrale, qui a été ciblée par une action de Greenpeace le 21 février 2020, est la première à avoir subi la fameuse visite décennale des inspecteurs de l’ASN pour déterminer si elle peut être prolongée de dix ans. Or «un canal situé à 6 mètres au-dessus du niveau du sol» pour refroidir les quatre réacteurs du Tricastin expose selon lui ces derniers à «un risque d’inondation grave voire accident majeur type Fukushima» : plus d’électricité et inondation des diesels de secours, donc plus de refroidissement du cœur des réacteurs et risque d’explosion…

La centrale du Tricastin inquiète

L’ASN a d’ailleurs imposé à EDF de gros travaux pour renforcer la digue protégeant la centrale qui a entraîné un arrêt de la production pendant trois mois en 2019. Mais Tricastin fait toujours l’objet de sérieux doutes de la part de certains scientifiques concernant la sûreté, car la cuve d’au moins un de ses réacteurs présente des fissures qu’EDF a tenté de minimiser, comme l’a montré une récente enquête de Libération.

Plus largement, Yves Marignac, expert critique du nucléaire et porte-parole de l’association négaWatt, dénonce «le choix fait par EDF de privilégier une stratégie de prolongation de la durée de vie de ses vieux réacteurs» plutôt que leur remplacement par des EPR aux normes de sûreté post-Fukushima. Et pour cause, le fameux réacteur EPR de Flamanville (Manche), qui aurait du entrer en service en 2012, a pris plus de dix ans de retard en raison notamment de la vigilance de l’ASN, qui a exigé d’EDF qu’il refasse des centaines de soudures. Résultat, le premier EPR français ne sera pas opérationnel avant 2023 après un triplement de son coût à 12 milliards d’euros… Et, tout favorable qu’il soit au nucléaire, le président de la République ne peut pas donner son feu vert aux six nouveaux EPR espérés par EDF. Pour Marignac, «la prolongation des 900 MW devrait se faire dans des conditions de sécurité identiques aux nouveaux réacteurs EPR, mais ce n’est évidemment pas le cas et le sujet est tabou à l’ASN».

12 réacteurs d’EDF arrêtés d’ici 2035

Du côté d’EDF, le sujet de la prolongation est stratégique. Après Fessenheim, une douzaine de réacteurs installés sur les centrales du Blayais, du Bugey, de Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et du Tricastin, doivent eux aussi être arrêtés d’ici 2035 dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Objectif, ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité en France d’un peu plus de 70% à 50%, au profit notamment de l’éolien en mer. Mais pour durer encore près de quinze ans en attendant l’arrivée de nouveaux EPR plus puissants et supposés plus sûrs, ces vieux réacteurs de 900 MW doivent donc voir leur durée de vie prolongée d’au moins dix ans. La SFEN (Société française d'énergie nucléaire), le lobby de la filière, estime ainsi que «prolonger l’exploitation du parc nucléaire français est un atout pour assurer notre sécurité d’approvisionnement électrique et répondre à nos objectifs climatiques», surtout «en l’absence de solutions de stockage à grande échelle» pour l'éolien et le solaire.

Dans ses rêves les plus fous, EDF espère même une durée de vie autorisée de soixante ans, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Mais ce n’est pas dans les intentions du gendarme du nucléaire qui va examiner un par un la trentaine de réacteurs concernés avant de leur délivrer ou non un nouveau permis d’exploitation pour dix ans. Le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, devrait s’exprimer à ce sujet à l’occasion de ses veux le 21 janvier.

Jean-Christophe Féraud