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Politique

Nucléaire : le « passage en force » du gouvernement

La centrale nucléaire de Belleville (Cher).

Le 26 septembre, l’exécutif a présenté son projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Au grand dam d’associations environnementales, qui dénoncent une manœuvre antidémocratique.

« Scandaleux », « régression énorme », « passage en force »... Mardi 27 septembre, plusieurs associations antinucléaires et de défense de l’environnement ont fait part de leur colère concernant le projet de loi pour l’accélération du nucléaire porté par le gouvernement. Et ce, tant sur le fond du texte, envoyé au Conseil national de la transition énergétique le 26 septembre, que sur la méthode « antidémocratique » employée par l’exécutif : le débat public sur la relance du nucléaire n’a pas encore commencé. Celui-ci est censé se déployer en deux temps : dans le cadre de la future loi de programmation d’énergie et du climat, mais aussi dans le cadre d’une consultation centrée sur la première paire d’EPR2 à Penly (Seine-Maritime), à partir de la fin octobre.

Ce projet de loi vise à « simplifier et [à] accélérer la mise en œuvre de projets de construction de réacteurs électronucléaires en France à proximité de sites
nucléaires existants »
, en l’occurrence les six EPR2 annoncés par Emmanuel Macron à Belfort, en février. Pour ce faire, à l’image de ce que contient le récent projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables, des « dérogations relatives aux espèces protégées prévues dans le Code de l’environnement » pourront être mises en œuvre, les projets de réacteurs nucléaires répondant selon ce texte à « une raison impérative d’intérêt majeur ».

En outre, le projet de loi prévoit de simplifier plusieurs procédures relatives au Code de l’urbanisme, et notamment le fait de pouvoir exproprier des terrains nécessaires à la construction de ces infrastructures. Comme l’a annoncé le ministère de la Transition énergétique à l’occasion d’un point presse le 27 septembre, confirmant une information du Figaro, l’objectif est que la première pierre du premier EPR2 soit posée avant la fin du quinquennat, en 2027, avec une mise en service commerciale à l’horizon 2035. 

Les ministères de la Transition énergétique et de Transition écologique ont saisi pour avis le Conseil national de la transition écologique (CNTE) lundi soir après 20 heures, en demandant à ses membres (ONG, patronat, syndicats, collectivités) de respecter un calendrier des plus serrés. Comme l’indique un courriel consulté par Reporterre, un premier projet d’avis doit être rendu vendredi 30 septembre. Ensuite, le CNTE est censé rendre son « projet d’avis consolidé » mardi 4 octobre dans la soirée, avant un vote le 5 octobre. Et ce, sans même que l’étude d’impact du projet ne lui ait été communiquée — cela doit être fait « dans les meilleurs délais ». Assurant vouloir entretenir un « vrai dialogue » avec l’ensemble des parties prenantes et souhaiter « voir s’il y a de bonnes idées ou des points de vigilance pour éventuellement adapter le texte », le ministère de la Transition énergétique désire en tout cas que le texte passe en conseil des ministres « dans le milieu du mois d’octobre ».

« L’industrie nucléaire aura carte blanche »

Dans un communiqué, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), membre du CNTE, a fait part de sa « stupéfaction », évoquant en outre une « parodie de consultation ». Le Réseau Action Climat (RAC), qui fait aussi partie du CNTE, ne cache pas non plus son exaspération. « Cela relève de la politique du fait accompli : ce projet de loi d’accélération du nucléaire, présenté alors que le débat sur la question n’a même pas encore eu lieu, nous alerte grandement », dit à Reporterre Zélie Victor, responsable transition énergétique au RAC.

« C’est du délire »

Elle se dit en outre peu convaincue par les justifications du gouvernement qui, dans son « exposé des motifs » (révélé mardi par Contexte), assure qu’un tel projet permettra « d’accélérer la transition et l’indépendance énergétique de la France » dans le contexte actuel de guerre en Ukraine. « On sait bien que le nucléaire n’est pas la réponse à la crise énergétique qui touche en ce moment le pays : si on construit vraiment ces nouveaux EPR, ils ne seront pas en service avant 2035-2040. Par ailleurs, la moitié des réacteurs actuels sont à l’arrêt. Ce dont on a besoin aujourd’hui, ce sont des énergies renouvelables et une baisse de notre consommation d’énergie. »

Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire, approuve : « Le gouvernement veut saccager le droit de l’environnement et de l’urbanisme au nom d’une accélération qui, de toute façon, ne pourra pas avoir lieu : la filière n’est pas en état de construire ces nouveaux réacteurs dans les temps, sans malfaçon et surcoûts. C’est du délire. » Évoquant un projet « symptomatique de la brutalité de la politique d’Emmanuel Macron », la militante note également « à quel point le nucléaire reste un domaine d’exception, quitte à court-circuiter les débats ». Laura Monnier, juriste chez Greenpeace, abonde : « Le droit du nucléaire est par nature très dérogatoire, et ce projet de loi pose les conditions exceptionnelles dont va bénéficier l’industrie nucléaire. Clairement, elle aura carte blanche. »

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