A l'heure où la France entend renouer avec l'atome civil, la santé financière d'EDF inquiète. Et pour cause, sa capacité à relever les multiples défis qui s'annoncent, entre le prolongement maximal du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs EPR, sera primordiale pour permettre à l'Hexagone de réussir son pari industriel de relance du nucléaire. Et déterminera si, oui ou non, cette source d'énergie décarbonée se taillera une place de choix dans le mix de demain.
A cet égard, force est de constater que les résultats trimestriels du groupe, présentés ce mercredi 4 mai, n'ont pas rassuré les marchés. L'action EDF s'est en effet repliée de 2,47%, à cause notamment de la perspective d'un défaut générique qui fait vaciller le géant tricolore, tant le mystère reste entier sur ses possibles conséquences.
Perte nette prévue en 2022 : 14 milliards d'euros
Et pourtant, la flambée des prix de l'électricité, qui sévit en Europe depuis plusieurs mois, a permis à EDF d'augmenter son chiffre d'affaires trimestriel. De 22 milliards d'euros il y a un an, celui-ci a bondi à 35,6 millions d'euros début 2022, grâce notamment à l'augmentation de 4% du tarif réglementé de vente (TRV) au 1er février. Mais les bonnes nouvelles s'arrêtent là : l'impact de cette hausse de l'activité sera en fait « limité » sur son Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) 2022, a prévenu le groupe mercredi.
Car l'effet d'aubaine dont il aurait pu profiter a rapidement été bridé par les pouvoirs publics : le gouvernement lui impose désormais d'augmenter de 20% la production qu'il devra vendre à prix cassé à ses concurrents en 2022, via le dispositif de l'Arenh, afin de contenir les factures des consommateurs. Un dispositif vivement combattu par le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, puisque celui-ci devrait lui « coûter » 10 milliards d'euros de manque à gagner sur l'année.
Cependant, le pire est ailleurs : au moment-même où l'Etat l'appelle à la rescousse, l'opérateur historique fait face à un phénomène grave, dont les raisons restent inconnues. En effet, une minuscule fissure récemment identifiée dans trois de ses réacteurs de palier différent l'oblige à baisser drastiquement sa production, et par là-même à racheter les électrons manquants à prix d'or sur le marché. De quoi amputer EDF de 14 milliards d'euros en 2022, a fait valoir lors d'un appel avec des analystes le directeur financier du groupe, Xavier Girre. Un chiffre certes inférieur aux 16 milliards d'euros estimés le 14 mars, mais qui reste colossal...et déroute les investisseurs.
Résultats suspendus à de potentielles nouvelles découvertes
En plus de nourrir les craintes sur la disponibilité future du parc nucléaire, ce phénomène est-il « susceptible de peser sur la capacité du groupe EDF à atteindre ses objectifs », comme celui-ci s'en inquiétait en mars dernier dans un communiqué inquiétant ? Pour l'heure, EDF maintient en tout cas sa cible historiquement basse de production du nucléaire de 295 à 315 térawattheure (TWh) sur l'année, contre 360 TWh en 2021, et 473 TWh en 2019. Mais prévoit un retour à la hausse dès 2023, avec 300 à 300 TWh fournis au réseau cette année.
Reste que le problème pourrait durer. Car les causes de cette anomalie sans précédent restent inconnues, et interrogent sur son éventuelle présence dans d'autres installations. Surtout, à l'intérieur-même des centrales, le phénomène pourrait s'étendre au-delà du circuit d'injection de sécurité, jusqu'ici seul concerné. Alors que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait demandé fin février à l'électricien d'inspecter d'autres tuyauteries sur l'ensemble de son parc, EDF avait ainsi fait savoir mi-avril, via une discrète mis à jour de note d'information, que des « indications » laissaient à penser que Chinon B3, Cattenom 3 et Flamanville 2 pourraient connaître le même problème.
« Des indications ont été relevées lors des contrôles par ultrasons, mais nous ne sommes pas encore en mesure d'établir s'il s'agit de défauts mineurs dans la composition de l'acier, de traces de fatigue thermique ou de corrosion sous contrainte », a tenté de clarifier mercredi Régis Clément, directeur adjoint de la division de la production nucléaire, face aux nombreuses questions des analystes.
Tout le parc sera contrôlé d'ici à fin 2023
En attendant, les analyses se poursuivent, et des échanges avec l'ASN sont toujours « en cours », a précisé Xavier Girre. Avant une décision « clé » du régulateur attendue à la fin du mois, a-t-il ajouté.
Concrètement, neuf premiers réacteurs sont à l'arrêt afin de mener des investigations, mais les 56 qui constituent le parc seront inspectés plus tard, via des procédés améliorés d'ultrasons, et pas seulement les circuits de secours du circuit primaire, avait déjà assuré le directeur exécutif d'EDF, Cédric Lewandowski, le 18 février dernier. Ces recherchent devraient s'étendre jusque fin 2023, a précisé mercredi Régis Clément, rappelant qu'aucun contrôle n'était pour l'heure totalement achevé.
En outre, en plus de ces examens poussés, les réparations des parties effectivement touchées risquent de prendre beaucoup de temps, et demander des moyens conséquents. EDF pourrait en effet être contraint de couper, puis de refaire les tuyauteries affectées. Mais « il est trop tôt pour donner une évaluation précise des dépenses d'investissement qui seront nécessaires », glisse-t-on chez EDF. Une chose est sûre : quelle que soit l'ampleur du problème, la disponibilité historiquement basse du parc menace la sécurité d'approvisionnement de la France, et rappelle l'urgence d'accompagner l'opérateur historique face aux difficultés qu'il traverse.
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