En plein débat sur la relance de l'atome civil en France, la perspective d'un défaut générique touchant plusieurs des centrales nucléaires du pays se renforce. De quoi nourrir les interrogations sur l'état réel du parc existant, et sa capacité à fournir à l'Hexagone une électricité décarbonée en toute sécurité, à l'heure où 10 de ses 56 réacteurs se trouvent déjà à l'arrêt.
En effet, selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) - actuellement arrêté dans le cadre de la visite décennale - rencontre un problème de corrosion sous contrainte sur un système de sécurité. Ce type de dysfonctionnement a déjà été détecté ou est soupçonné sur quatre autres réacteurs EDF actuellement fermés. Dans le détail, il s'agit des deux unités de production de la centrale de Civaux (Vienne), avait indiqué EDF à la mi-décembre, et celles de Chooz (Ardennes), concernée pour au moins un de ses deux réacteurs.
Anomalie sérieuse
Or, si les centrales de Chooz et de Civaux appartiennent à la même « famille » (le palier N4, le plus récent, avec 6 GW de puissance), Penly fait elle partie du palier P'4, qui englobe pas moins de 12 réacteurs pour une capacité installée de 15,6 GW (Belleville, Cattenom, Golfech et Nogent). « En tout, il y a même 20 réacteurs de 1300 MW dans le parc nucléaire (26 GW de puissance), mais divisé en deux paliers P4 et P'4, finalement assez proches en conception », précise Nicolas Goldberg, consultant Energie à Colombus Consulting. Autrement dit, le problème, non limité à une seule génération, pourrait éventuellement s'étendre à une bonne partie du parc historique.
Pour rappel, le 16 décembre, c'est une fissuration du métal à proximité des tuyauteries du circuit de refroidissement découverte à Civaux qui avait entraîné la fermeture de la centrale, ainsi que l'arrêt « à titre préventif » de celle de Chooz. Une décision « satisfaisante du point de vue de la sûreté », avait alors estimé l'IRSN, tout en précisant que le phénomène pouvait nécessiter « des contrôles sur les autres réacteurs nucléaires français ».
« C'est quand même une anomalie sérieuse, affectant un système de sûreté du réacteur qui permet d'injecter de l'eau en cas de brèche sur le circuit principal de refroidissement, avait précisé la semaine dernière Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'IRSN chargée du pôle Sureté des installations et systèmes nucléaires.
Dans ce contexte, EDF mène des investigations : ils vérifient des dossiers de fabrication des soudures sur les différents paliers, et procèdent à des vérifications, notamment dans les centrales à l'arrêt du fait de visites décennales... En fait, ils ont du mal à expliquer pourquoi ce phénomène est survenu. Et tant que ce n'est pas expliqué, on peut pas l'exclure sur les autres types de réacteurs ».
A LIRE AUSSI | Nucléaire : des élus normands en ordre de bataille pour accueillir des EPR
« Dans le cadre des programmes de contrôle de maintenance préventive réalisés sur les visites décennales, EDF procède à des analyses et contrôles sur plusieurs autres réacteurs du parc nucléaire », confirmait l'électricien à La Tribune le 7 janvier.
Reste une question : après cette nouvelle découverte à Penly, le groupe devra-t-il mettre à l'arrêt tous les réacteurs du palier P'4 par prévention, afin d'y réaliser des analyses plus poussées, comme décidé à Chooz après la détection du défaut de Civaux ? « Au mieux, cela veut dire qu'après l'hiver, il y aura des inspections et potentiellement des remplacements à faire sur tout le palier, ce qui ne va pas jouer à la hausse sur la disponibilité du parc », explique Nicolas Goldberg. Au pire, la sécurité d'approvisionnement électrique du pays pourrait s'en trouver menacer, puisque l'Hexagone dépend à presque 70% du nucléaire pour produire son électricité.
Sujets les + commentés