L’Union européenne va considérer le nucléaire et le gaz comme des énergies de transition

Dans un acte délégué très attendu publié le 31 décembre 2021, la Commission européenne propose d’ajouter à titre transitoire le nucléaire et le gaz naturel sur sa liste des activités vertueuses pour le climat. Une décision qui n’est pas du goût de tous les Etats membres. Et dont certains points restent à préciser.

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L’Union européenne va considérer le nucléaire et le gaz comme des énergies de transition
Nucléaire et gaz naturel vont finalement être labellisés comme “verts” par la Commission européenne. De quoi faciliter le financement de nouvelles centrales.

Après plusieurs mois de tergiversations et de discussions sur fond de désaccord entre les Etats membres, la Commission européenne a fini par trancher. Nucléaire et gaz naturel vont finalement être labellisés comme «verts» en raison de leur «potentiel de contribution à la décarbonation de l’économie», comme le mentionne l’un des considérants de la proposition d’acte délégué (équivalent d’un décret d’application en droit européen) envoyée aux Etats membres le 31 décembre peu avant minuit et obtenu par nos confrères de Contexte. Le recours à ces deux énergies de transition va donc rester facilité, sous certaines conditions.

Concrètement, la Commission européenne ouvre a minima la voie à de meilleures conditions de financement pour de nouvelles centrales nucléaires sur les deux prochaines décennies et dans le gaz naturel sur la décennie qui arrive.

Si la publication du texte a pu surprendre par son timing, son contenu était en réalité déjà connu dans les grandes lignes. Alors que ce dossier divise les 27 depuis plusieurs mois, l’exécutif communautaire poussait ce compromis depuis plusieurs semaines. «Pragmatique», le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, avait ainsi déclaré le 18 décembre dans un entretien accordé au journal allemand Die Welt : «nous aurons besoin à la fois du gaz et du nucléaire pour concrétiser nos objectifs climatiques pour 2030 et 2050». L’UE vise en effet la neutralité carbone d'ici la moitié du siècle.

Pour rappel, la taxonomie verte est une classification que met en place la Commission européenne pour octroyer un label vert aux investissements durables. Un règlement a été adopté en 2019 sous l’impulsion de la Commission européenne. Une première liste des activités économiques durables a été dévoilée en avril. Pour les secteurs d’activités économiques, y figurer est un enjeu crucial : faire partie de cette classification a comme avantage de donner accès aux subsides et de permettre une réduction des coûts de financement.

Des conditions strictes, mais pas toujours claires

Dans le détail, la proposition de la Commission européenne se fonde sur l’article 10(2) de la législation sur la taxonomie (page 18), qui autorise le recours à «une activité économique [...] considérée comme apportant une contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique». Dans un communiqué transmis à la presse, l’exécutif communautaire précise vouloir «classer ces sources d'énergie dans des conditions claires et strictes.» La clarté, cependant, n’est pas tout à fait au rendez-vous.

Ainsi, concernant le nucléaire, le label pourra être accordé à de nouvelles centrales nucléaires dont un permis de construire aura été délivré avant 2045. Idem pour la prolongation de centrales existantes, mais dans ce cas la décision devra être prise en 2040 maximum. Les pays désirant continuer à utiliser l’atome devront démontrer que leur centrales ne causent pas de dommage significatif à l’environnement. Surtout, le document stipule que ces Etats devront être en capacité de gérer les déchets générés par l’activité nucléaire. Or, ce n’est pas le cas de tout le monde. «C’est un critère totalement légitime, car tous les Etats ne sont pas au même niveau en la matière», analyse Nicolas Goldberg, spécialiste en énergie chez Colombus Consulting. Si des pays comme la Finlande ou la France ont développé des plans de gestion de leurs déchets, «d’autres pays vont devoir s’en doter, surtout concernant les déchets nucléaires de haute activité. Par exemple, si la Pologne veut construire une centrale, elle devra y penser». Mais pour ce spécialiste, des questions restent en suspens : «Est-ce que toute électricité d’origine nucléaire sera pour autant verte? Ou ne sera verte que l’électricité produite par ces nouveaux réacteurs? C’est une vraie question pour les investisseurs.»

Concernant le gaz, une multitude de critères sont prévus. L’un d’entre eux attire l’attention en particulier : les nouvelles centrales à gaz devront émettre moins de 100g de CO2 par kWh, sauf si un permis de construire leur est octroyé avant fin 2030. Dans ce cas de figure, le texte évoque une formule obscure. Les émissions directes de gaz à effet de serre (GES) de ces centrales au gaz devront être «inférieures à 270 g de CO2e/kWh d'énergie de sortie ou les émissions annuelles de GES de l'activité ne dépasse[ro]nt pas une moyenne de 550 kg de CO2e/kW d'énergie de sortie de la capacité de l'installation sur 20 ans» (page 30). «Ce critère me semble en l’état difficile à mettre en place, analyse encore Nicolas Goldberg. Comment mesure-t-on cela ? Tout dépend de combien de temps on fait tourner une centrale, car si on la fait tourner 50% du temps, elle va forcément polluer moins. Et puis, toutes les centrales ne sont pas pas dotées de systèmes de captation de CO2 et toutes ne sont pas compatibles au biogaz, qui pollue moins…», résume l’expert, «mitigé» à propos de ce texte qui contient malgré tout des «avancées positives».

Les critiques n’ont pas tardé à fuser

Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Rapidement après la publication du projet de la Commission, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le texte. Le Luxembourg et Danemark n’ont pas caché leur mécontentement. L’Autriche va même jusqu’à menacer d’attaquer la Commission en justice. Pour la ministre allemande de l'Environnement, Steffi Lemke, «le projet de la Commission d'inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie est une erreur». Hasard du calendrier, trois des six réacteurs nucléaires encore en activité sur le sol allemand viennent de fermer. Le nouveau gouvernement d'Olaf Scholz a en effet confirmé qu’il tiendrait le calendrier de fin 2022 pour la fermeture de toutes ses centrales.

De leur côté, les Verts européens ont également tiré à boulets rouges sur cette décision dans un communiqué. «En les incluant dans l'acte délégué, la Commission risque de mettre en péril la crédibilité du rôle de l'UE en tant que marché de premier plan pour la finance durable», estime ainsi le Belge Philippe Lamberts, épinglant au passage la France. «Nous comprenons que la Commission a subi d'intenses pressions de la part des lobbies du gaz et du nucléaire, ce dernier dirigé par le gouvernement français, pour faire passer ces énergies du passé au vert.» L’ONG Greenpeace a pour sa part déploré «une déconvenue pour la France».

Une bonne nouvelle pour le gouvernement

Le lobbying de la France a porté ses fruits. Le gouvernement a âprement milité pour l’inclusion de l’énergie atomique, enjeu de taille pour le coûteux renouvellement du parc nucléaire français. En octobre, la France, la République Tchèque, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie avaient même co-signé une tribune dans la presse européenne en faveur de l’atome. Attention toutefois à ne pas mettre la charrue avant les boeufs, rappelle Nicolas Goldberg. Car la présence du nucléaire au sein de la taxonomie verte «ne va clairement pas suffire à financer de nouveaux réacteurs. C’est un label, rien de plus. Mais c’est clair que politiquement, ce sera plus facile pour la France, qui va aller négocier un régime d’aides publiques avec la DG Concurrence de la Commission. Et ce sera plus simple si la technologie est taguée verte».

Désormais, les Etats membres ont jusqu’au 12 janvier pour rendre leur avis sur le texte. Après quoi, la Commission devrait adopter un texte amendé. Le Parlement devra ensuite se prononcer sur le texte dans les quatre mois qui suivront. Mais retoquer un tel acte délégué semble néanmoins compliqué : cela nécessiterait une majorité qualifiée, soit au moins 20 Etats représentant 65% de la population ou une majorité simple au Parlement.

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