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Nucléaire, gaz : Bruxelles lève enfin le voile sur son projet de label « vert »

Le document, envoyé aux Etats membres le 31 décembre au soir, fixe les critères permettant de classer comme « durables » les investissements dans les centrales nucléaires ou à gaz pour la production d'électricité. Un compromis qui va dans le sens des intérêts français.

La France, qui veut relancer sa filière nucléaire, se dit satisfaite du texte présenté par Bruxelles.
La France, qui veut relancer sa filière nucléaire, se dit satisfaite du texte présenté par Bruxelles. (Sébastien Berda/AFP)

Par Enrique Moreira

Publié le 1 janv. 2022 à 16:51Mis à jour le 2 janv. 2022 à 22:10

C'est une proposition charnière pour l'avenir du nucléaire tricolore. Bruxelles a enfin levé le voile sur son projet de labellisation verte devant permettre de classer comme « durables » les investissements dans les centrales nucléaires ou à gaz pour la production d'électricité. L'objectif de cette taxonomie étant d'orienter les financements privés et institutionnels vers les activités contribuant à la réduction des gaz à effet de serre.

La proposition, débattue depuis des mois et encore provisoire jusqu'à la mi-janvier, a été envoyée aux Etats membres le 31 décembre, peu avant minuit. La Commission « a commencé des consultations […] sur un projet de texte », a confirmé l'exécutif européen dans un communiqué.

Texte réclamé par la France

Le document consulté par « Les Echos », d'un peu plus de soixante pages, fixe les conditions de l'inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie européenne, les deux sources d'énergie se retrouvant dans la même catégorie juridique, même si le nucléaire n'est nulle part qualifié formellement d'énergie de « transition » selon l'exécutif français, à la différence du gaz. Il établit des critères de temps. Concernant le nucléaire, les nouveaux projets de centrales devront ainsi avoir obtenu un permis de construire avant 2045 (avec une clause de rendez-vous pour la suite).

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Les travaux permettant de prolonger la durée de vie des réacteurs existants (le « grand carénage » d'EDF, par exemple) devront avoir été autorisés avant 2040. Enfin, Bruxelles exigera des garanties en matière de traitement des déchets nucléaires et de démantèlement des installations, conformes aux traités existants.

Seuil inatteignable pour le gaz

Du côté du gaz, qualifié d'énergie de transition, des normes d'émissions de CO2 strictes vont être mises en place. Les centrales fonctionnant à cette énergie fossile devront émettre moins de 100 g de CO2 par kilowattheure (CO2/kWh). Or, les technologies actuelles ne permettent pas d'atteindre ce seuil, selon les spécialistes.

Transition oblige, les centrales à gaz ayant obtenu leur permis de construire avant 2030 bénéficieront d'un seuil d'émissions plus élevé. Celui-ci pourra atteindre 270 g de CO2/kWh. A condition toutefois de remplacer des infrastructures existantes beaucoup plus polluantes (charbon), et de répondre à une série de critères : « utilisation d'au moins 30 % de gaz renouvelable ou peu carboné dès 2026 », part relevée à « 55 % en 2030 », ou encore « l'Etat membre doit s'engager à sortir du charbon… », précise le texte.

Par ailleurs, un critère de transparence est aussi introduit pour le gaz et le nucléaire : les investisseurs devront préciser quelle est la part correspondante de ces énergies dans leurs produits financiers respectant la taxonomie verte.

Financer les nouveaux réacteurs

« Le projet de texte correspond à ce que nous souhaitions », déclare aux « Echos » le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, Clément Beaune. La France, qui veut relancer sa filière nucléaire - source d'électricité stable et décarbonée - défend de longue date l'inclusion de l'atome dans la taxonomie européenne.

Du côté d'EDF, si on préfère « rester prudent en attendant le texte définitif », on estime que « c'est la reconnaissance de ce que la communauté scientifique européenne expliquait déjà » quant à la dangerosité pour la santé ou l'environnement du nucléaire. A savoir qu'il ne serait pas plus dangereux que d'autres technologies déjà incluses dans la taxonomie.

L'énergéticien français a de quoi se réjouir : les conditions annoncées par Bruxelles devraient permettre d'obtenir des financements verts à la fois pour la poursuite du grand carénage et la construction de nouveaux réacteurs nucléaires (y compris à l'export), comme le souhaite Emmanuel Macron.

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Réduire les coûts de financement

D'autres pays d'Europe centrale, comme la Pologne ou la République tchèque, avaient également plaidé pour un tel texte. Il faut dire qu'ils doivent remplacer leurs centrales à charbon très polluantes. Intégrer le nucléaire dans cette classification permettra une réduction des coûts de financement, cruciale pour les projets concernés.

A contrario, l'Allemagne s'est longtemps opposée à ce que l'atome figure dans le projet de taxonomie européenne. Pour elle, les incertitudes sur la gestion des déchets ou encore les risques d'accidents, ne répondraient pas aux principes guidant la taxonomie. Berlin s'est engagé à sortir du nucléaire dès la fin de cette année. Le 31 décembre, le pays a débranché trois des six derniers réacteurs que compte son réseau d'électricité. Sur le gaz, dont l'Allemagne va avoir besoin, la proposition de la Commission est néanmoins exactement conforme au contrat de la coalition gouvernementale. L'Allemagne a fait part dimanche de son opposition au projet sur la qualification du nucléaire comme énergie verte, rappelant que sa position sur ce point demeure «inchangée, le gouvernement reste convaincu que l'énergie nucléaire ne peut être qualifiée de durable».

Les Etats membres et des experts consultés par la Commission ont désormais environ deux semaines pour réclamer des modifications à ce document. La publication du texte final est attendue à la mi-janvier. Mais la rédaction ne devrait plus beaucoup évoluer.

« En introduisant les flexibilités nécessaires pour trouver les conditions d'un accord politique, sans nuire à la transition environnementale, la Commission a résolu la quadrature du cercle », salue l'eurodéputé français Pascal Canfin (Renew), président de la commission environnement, qui estime qu'une majorité se dégagera au Parlement pour valider le texte.

Finance durable : après le nucléaire, la question de la défense

La question du nucléaire et du gaz pour une part réglée, l'industrie tricolore n'en a pas fini avec les projets de finance durable de Bruxelles. Reste le risque d'exclusion d'un pan des acteurs de la défense. Deux projets de réglementation les « menacent » : une taxonomie sociale, pendant des négociations environnementales, et l'application d'un label européen sur les produits financiers. D'après les premières recommandations d'experts, ils visent pour l'un à déclarer « nocives » des armes visées par des conventions internationales, et l'autre à exclure de portefeuilles d'investissements les entreprises qui fabriquent plus de 5 % d'armes conventionnelles ou employées au combat.

Interrogée, la Commission européenne pour l'heure temporise. « L'industrie de défense ne figure pas dans les régulations sur la taxonomie environnementale et il n'y a aucun traitement spécifique prévu dans les textes à venir obéissant à cet objectif », indique un représentant européen. La Commission, ajoute-t-il, est en dialogue continu avec les toutes les parties prenantes, « qui ont exprimé leurs craintes au regard du rapport provisoire du PSF (Platform on sustainable finance) », le groupe d'expert indépendant mis en place par Bruxelles sur la taxonomie sociale. Et d'ajouter « ce rapport provisoire n'est pas un document officiel de la Commission ni une position officielle de la Commission. Rien dans ce texte n'engage la Commission ni n'exclut une politique à venir ». Face à l'avalanche de réactions en phase consultative, la publication de ses recommandations finales a d'ailleurs été repoussée au premier trimestre.

Enrique Moreira (avec E.L.)

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