Le 6 août 1945, il est 8 h 15 au Japon lorsque les Américains larguent la toute première bombe atomique de l’histoire. « Little Boy » fait seulement 3 m de long et 71 cm de diamètre, mais elletue instantanément 80 000 personnes et réduit en cendres une surface de 10 km2. Soixante-quinze ans plus tard, La Bombe conte l’odyssée de celles et ceux qui ont participé, de près ou de loin, à la fabrication de cette machine à tuer d’une puissance jusqu’alors inégalée.

Comment le monde a-t-il pu en arriver là ? C’est la question que s’est posée l’auteur Didier Alcante au retour de son premier voyage à Hiroshima où l’avait mené, dans les années 1980, une belle amitié avec un jeune Japonais originaire de la ville. Au mémorial de la Paix, le scénariste belge était tombé nez à nez avec une ombre, celle d’un homme que l’explosion avait décalqué à jamais sur des marches de béton. « Cette image m’a hanté pendant longtemps, et je crois que c’est elle qui a déclenché ma fascination pour l’histoire de ce drame », explique Didier Alcante qui a finalement choisi de la coucher sur les planches quelques dizaines d’années plus tard, avec l’aide de l’auteur français Laurent-Frédéric Bollée et du dessinateur québécois Denis Rodier.

Le mariage des dialogues, pointus mais toujours accessibles, et de ces traits en noir et blanc on ne peut plus ­éloquents donne à comprendre toute la force d’un tourbillon à la fois politique, ­scientifique, économique et diplomatique qui a entraîné un à un les acteurs dans ce funeste dessein. On y retrouve le fascinant Léo Szilard, physicien hongro-américain, pilier du projet Manhattan, qui a finalement tout fait pour dissuader les États-Unis de le mettre en application. L’infortuné Ebb Cade, un ouvrier afro-américain à qui l’on a injecté du plutonium, à son insu, afin d’en tester les effets sur le corps humain. Ou encore, le général Groves, militaire sanguin et intraitable, qui dirigea l’entreprise d’une main de fer pendant de longues années.

Comme pour être sûr d’échapper au manichéisme, écueil dans lequel sont trop souvent tombés les récits de ­l’événement selon les auteurs, cette aventure a l’originalité d’être contée par un personnage improbable qui n’est autre que l’uranium lui-même. Mais passé le narrateur, le reste n’a rien de fantasque : « Si la plupart des dialogues a été imaginée, les faits, eux, sont absolument authentiques », confie Didier Alcante qui a ­accumulé et épluché des centaines d’archives, de ­documents scientifiques et ­d’interviews pour livrer cet ouvrage impressionnant de ­finesse. « Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire mais simplement d’en ­exposer les passages que le temps a parfois transformés ou occultés, alors qu’ils sont essentiels à la mémoire collective », résume Laurent-Frédéric Bollée.

Glénat, 472 p., 39 €