Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Nucléaire

Fuite radioactive à l’EPR de Taishan : la Chine se tait

La centrale nucléaire de Taishan, dans la province du Guangdong, en décembre 2013.

Le 8 juin, EDF a demandé une assistance technique d’urgence aux autorités étasuniennes en raison d’une fuite de l’EPR chinois de Taishan, que l’électricien a construit et dont il est propriétaire à 30 %. Si EDF minimise la gravité de l’incident, des experts s’interrogent, notamment sur l’indépendance de l’autorité chinoise de sûreté nucléaire.

L’EPR chinois de Taishan présente-t-il une « menace radiologique imminente » ? C’est ce que suggèrent des documents internes de la filiale d’EDF Framatome, révélés par la chaîne de télévision étasunienne CNN lundi 14 juin. L’entreprise spécialisée dans le nucléaire aurait alerté la semaine dernière les autorités des États-Unis de la présence d’une fuite dans l’un des deux réacteurs de cette centrale située dans le sud de la Chine. Construite et détenue à 30 % par EDF, Taishan est la première centrale nucléaire de type EPR à avoir été mise en service dans le monde, en 2018.

Si l’on ignore encore tout de la gravité de cette fuite, l’incident a été jugé suffisamment sérieux pour que Framatome décide d’en informer le département de l’Énergie des États-Unis. L’entreprise française aurait ainsi cherché à obtenir une dérogation lui permettant de bénéficier « urgemment » d’une assistance technique étasunienne en Chine. Depuis le 8 juin, date à laquelle les autorités américaines ont été contactées par Framatome, plusieurs réunions de leur conseil de sécurité nationale ont eu lieu. Le gouvernement français a également été alerté, et des échanges initiés avec les autorités chinoises.

Selon Yves Marignac, chef du pôle nucléaire au sein de l’Institut négaWatt et expert du nucléaire et de l’énergie, cet incident est probablement lié à la non-étanchéité de crayons combustibles à l’intérieur de la cuve du réacteur. « Cela ne concerne que quelques crayons au maximum sur des dizaines de milliers, mais cela suffit à ce que les produits mobiles présents dans les crayons qui présentent une fuite (dont des gaz rares, comme le xénon ou le krypton) se répandent dans l’ensemble du circuit primaire du réacteur », explique-t-il.

« Un niveau de contamination qui aurait déclenché en France un arrêt sous 48 h »

En cas de fuite, ces gaz sont normalement envoyés vers des réservoirs tampons et rejetés aussi tardivement que possible dans l’environnement, précise Yves Marignac. Lorsque ces rejets excèdent certains seuils, il est prévu d’arrêter le réacteur. Il est possible que cela n’ait pas été le cas à Taishan : selon les documents de Framatome consultés par CNN, l’autorité de sûreté nucléaire chinoise aurait repoussé les limites acceptables de détection des rayonnements aux alentours de la centrale afin d’éviter son arrêt, en dépit des risques sanitaires potentiels pour la population. Ces limites, calquées sur les normes françaises en la matière, auraient été plus que doublées. « Il semble que le réacteur fonctionne depuis au moins plusieurs semaines avec un niveau de contamination qui aurait déclenché en France un arrêt sous 48 h », explique Yves Marignac.

Les autorités étasuniennes se veulent néanmoins rassurantes : selon l’administration Biden, la centrale de Taishan n’aurait pas encore atteint un « niveau de crise ». Peu après la révélation de ces documents par CNN, Framatome a également déclaré que « sur la base des informations disponibles, la tranche est dans son domaine de fonctionnement et de sûreté autorisé ». Expliquant avoir pris connaissance d’une « augmentation de la concentration de certains gaz rares dans le circuit primaire » du réacteur no 1 de la centrale nucléaire de Taishan, EDF précise quant à elle dans un communiqué que leur présence est « un phénomène connu, étudié et prévu par les procédures d’exploitation des réacteurs ».

« Certes, ce phénomène est connu, mais quand la concentration de certains gaz rares est supérieure à la normale, il y a quelque chose, nuance Mycle Schneider, consultant dans le domaine de l’énergie et éditeur du World Nuclear Industry Status Report. EDF parle d’une augmentation de la concentration de gaz rares : lesquels, depuis quand, et dans quelle mesure ? À la suite de cet incident, EDF a décidé de solliciter la tenue d’un conseil d’administration extraordinaire. On ne le fait pas pour rien. Il est probable qu’il y ait des gaines de combustible fuyantes dans le cœur, peut-être au-delà d’un taux de fuite qui serait admis en France. »

Cet incident, rappelle Mycle Schneider, intervient peu de temps après la détection, le 5 avril dernier, d’un relâchement anormal de gaz radioactifs à Taishan au cours d’une « opération spéciale ». La quantité de gaz émise à cette occasion n’avait alors atteint que 0,00044 % de la limite annuelle. « Dans les deux cas, il s’agit de gaz rares. On ne peut pour le moment que spéculer, mais il y a une forte probabilité que ces deux évènements soient liés. »

Il n’est « pas toujours très facile de savoir ce qu’il se passe sur le site de Taishan » 

Les autorités chinoises n’ont pour le moment pas émis de commentaires quant à la manière dont elles ont choisi de gérer cette fuite. Le fait qu’elles aient pu, si l’on en croit Framatome, décidé de relâcher les contraintes réglementaires interroge cependant Yves Marignac : « Dès lors que l’on touche à des enjeux de sûreté, ce n’est évidemment jamais une bonne option (…) Je ne saurais dire si cela correspond à une pratique courante des autorités chinoises, mais cela jette une lumière négative sur leur comportement. » Cette décision pourrait avoir été motivée, selon lui, par la pénurie d’électricité observée dans la province du Guangdong depuis fin mai, qui a contraint plusieurs entreprises à suspendre leurs activités.

« Ce qui est certain, c’est que dans un pays où il y a beaucoup moins de transparence et de contre-pouvoirs, il y a tout lieu de craindre que l’autorité de sûreté nucléaire ne soit pas regardante, ou en tout cas que les objectifs du plan quinquennal passent avant la sûreté », estime quant à elle Charlotte Mijeon, chargée de communication au réseau Sortir du nucléaire. En 2014, dans un entretien avec des journalistes de l’agence Bloomberg, le directeur des relations internationales de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) Stéphane Paillet expliquait déjà qu’il n’était « pas toujours très facile de savoir ce qu’il se passe sur le site de Taishan ». La France, ajoutait-il, « n’a pas de relations régulières avec les Chinois sur le contrôle de l’EPR, alors qu’elle en a avec les Finlandais ».

Avec 47 centrales nucléaires sur son territoire, la Chine est aujourd’hui le troisième plus gros producteur mondial d’énergie nucléaire, derrière la France et les États-Unis. Si ces centrales ne fournissaient, en 2019, que 5 % des besoins annuels en électricité du pays, ce pourcentage pourrait augmenter dans les prochaines années. Selon le quotidien britannique The Guardian, plusieurs milliards de dollars ont en effet été investis dans l’énergie nucléaire par le gouvernement chinois au cours des dernières années.

Fermer Précedent Suivant

legende