Connue depuis l’antiquité, comme nous le rappelle la légende des «miroirs ardents» d’Archimède, la production d’énergie par la concentration des rayons solaires était jusqu’ici relativement peu développée au niveau mondial. Mais des perfectionnements techniques récents permettent d’améliorer la compétitivité de cette technologie. Le développement de nombreux projets à travers le monde promet une croissance importante des capacités de production des centrales solaires thermodynamiques.

Alors qu’en 2015 la production photovoltaïque mondiale s’élevait à près de 250.000 GWh, l’autre technologie de génération d’électricité grâce au soleil, appelée « solaire thermodynamique » ou « solaire à concentration » (CSP[1]) fournissait moins de 10.000 GWh soit 0,04 % de la production mondiale et 25 fois moins que le photovoltaïque.

Le principe consiste à disposer une grande quantité de miroirs pour focaliser les rayons solaires vers des tubes dans lesquels circule un fluide caloporteur, généralement de l’huile ou un sel fondu. Ce fluide est ainsi chauffé à des températures de l’ordre de 250 à 1 000°C et peut, après avoir échangé sa chaleur avec un fluide secondaire (généralement de la vapeur), produire de l’électricité dans des turbines qui entraînent des alternateurs.

Plusieurs variantes existent. Ainsi, les miroirs peuvent être linéaires et de forme cylindro-paraboliques. Ils permettent de focaliser les rayons vers un point fixe quel que soit leur angle d’incidence. Une technique plus récente, dite des miroirs de Fresnel utilise des miroirs plans (ou quasi-plans) pivotant autour d’un axe horizontal pour suivre la course du Soleil et concentrer les rayons vers le tube caloporteur. Cette technique est légèrement moins efficace, mais elle est économiquement plus rentable car elle évite la fabrication coûteuse de miroirs de forme parabolique.
Une autre technologie est celle de la tour solaire : des miroirs installés au sol, réfléchissent les rayons vers un foyer fixe au sommet d’une tour où le liquide caloporteur est chauffé. C’est la technique mise en œuvre dans la petite centrale Thémis[2] située dans les Pyrénées-Orientales.

Les technologies solaires à concentration disposent d’un avantage important par rapport au photovoltaïque : le fluide chauffé ayant une certaine inertie thermique, il est possible, en le stockant dans des réservoirs, de prolonger la production d’électricité au-delà de la période d’ensoleillement. Les centrales récentes de ce type peuvent encore générer du courant de 3 à 8 heures après le coucher du soleil.
En revanche le solaire thermodynamique a l’inconvénient d’être plus complexe que le photovoltaïque et de nécessiter une expertise technique plus pointue. Les investissements sont aussi plus élevés. La cogénération qui permet d’utiliser la chaleur résiduelle à la sortie des turbines – par exemple pour dessaler l’eau de mer – augmente sensiblement la compétitivité des installations solaires thermodynamiques.

Un avenir radieux ?

Comme les systèmes à concentration focalisent les rayons solaires, ils ne sont envisageables que dans les régions où l’irradiation directe est importante, c’est-à-dire dans les zones arides et tropicales où l’ensoleillement direct est supérieur à 2.000 kWh/m²/an. Les meilleurs sites reçoivent un rayonnement de l’ordre de 2.800 kWh/m²/an. Ils sont situés au sud-ouest des États-Unis, au nord du Chili et de l’Argentine, en Afrique du nord et du sud, dans la péninsule arabique, en Iran et en Afghanistan, au Pakistan, au nord-est de l’Inde et en Australie.

Selon les analystes de GlobalData, les perspectives du marché mondial du solaire à concentration (CSP) sont prometteuses. Les améliorations techniques apportées récemment à cette technologie lui procurent une compétitivité accrue.  Combinée à la possibilité de stockage de l’énergie solaire, à la réduction des coûts par appel d’offres, au développement de systèmes hybrides PV-CSP et à la cogénération, l’amélioration des performances devrait entraîner une augmentation considérable de la capacité mondiale de production dans les prochaines années : de 5,6 GW en 2018 elle pourrait atteindre 22,4 GW en 2030. D’importants projets sont en cours de réalisation en Chine, au Chili, au Moyen-Orient, en Israël et au Maroc notamment.

Comme pour la plupart des autres technologies de production d’énergie renouvelable, la Chine est en pointe dans le développement du CSP.  En 2018 elle a construit environ 200 MW de capacité, multipliant ainsi par sept sa capacité installée à fin 2017. Plus de 20 nouveaux projets y sont en cours d’étude ou de construction. Au Chili aussi, les capacités de production du solaire thermodynamique seront considérablement renforcées dans les prochaines années. Le marché du CSP y est principalement « boosté » par l’objectif d’atteindre 20% d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique national d’ici 2025.
Au Maroc un plan vise à installer une capacité de production de 2 GW d’énergie solaire d’ici 2020, soit l’équivalent de 2 réacteurs nucléaires. La construction de centrales CSP doit permettre au pays de couvrir 42% de sa consommation d’électricité par les énergies renouvelables. Grâce à leur possibilité de stockage thermique elles contribueront à combler le déficit de production pendant les heures de pointe de la soirée. Le projet solaire Noor à Ouarzazate dans le sud du Maroc est la vitrine des ambitions du royaume chérifien en matière d’énergies renouvelables. Dans cette vaste plaine aride aux portes du Sahara, s’érige le plus grand complexe solaire thermodynamique du monde. La première phase, Noor I, d’une capacité de 160 MW, est entrée en service en 2016. Son extension, programmée en trois étapes, portera sa puissance à 580 MW.

Centrale solaire Noor à Ouarzazate au Maroc

En France aussi

En France métropolitaine, l’ensoleillement n’est généralement pas suffisant, à l’exception de la Cerdagne dans les Pyrénées-Orientales. Cette région dispose de conditions météorologiques très particulières, propices au solaire thermodynamique : le climat y est sec, l’altitude élevée, les centres urbains éloignés. Le ciel est donc clair une bonne partie de l’année, assurant le rayonnement solaire moyen le plus élevé de France métropolitaine. C’est donc là, dans la commune de Llo que s’est construite la seule centrale thermodynamique française actuellement en service. Elle est située à quelques kilomètres du four solaire d’Odeillo[3], de celui de Mont-Louis et de la centrale à tour Thémis.
Mise en service fin octobre 2018 la centrale de Llo, d’une puissance de 9 MW a été conçue par SUNCNIM, une filiale de la CNIM. « Les tests de performances sont actuellement en cours et sont prévus de s’achever cet été » nous confie Sylvain Legrand, directeur des projets biomasse et solaires à la CNIM. Près de 153.200 m2 de miroirs de type Fresnel répartis sur 33 ha suivent la course du soleil pour chauffer de longs tubes fixes dans lesquels circule de l’eau. La vapeur ainsi générée peut être utilisée directement pour produire de l’électricité dans des turbines ou stockée dans 9 ballons correspondant à 4 heures de production. Grâce à ce stockage thermique, l’électricité peut être injectée dans le réseau à la demande de l’opérateur, y compris la nuit, et pas uniquement quand la météo s’y prête.

La centrale à miroirs de Fresnel de Llo dans les Pyrénées-Orientales

[1] CSP : concentrated solar power. Le terme est aussi utilisé en français

[2] Thémis est une petite centrale solaire thermodynamique à tour qui a produit de l’électricité pour le réseau de 1983 à 1986. Elle a été réhabilitée en 2004, pour devenir un centre de recherche et de développement consacré à l’énergie solaire.

[3] Le four solaire d’Odeillo, a été mis en service en 1970. D’une puissance thermique de 1MW, il est avec le four solaire de Parkent en Ouzbékistan, l’un des deux plus grands du monde. Il est utilisé comme laboratoire et ne produit pas d’électricité