Essais nucléaires en Polynésie : un médecin dénonce «une omerta»

Responsable de l’unité pédopsychiatrique du centre hospitalier de Polynésie française jusqu’en 2017, ce médecin a conduit une étude qui pointe les effets des essais nucléaires, menés par la France entre 1966 et 1974, sur la santé des habitants de l'archipel.

Le Dr Christian Sueur a conduit une étude épidémiologique sur plusieurs générations.
Le Dr Christian Sueur a conduit une étude épidémiologique sur plusieurs générations. LP/SULIANE FAVENNEC

    Le pédopsychiatre Christian Sueur voulait approfondir ses recherches sur les conséquences de l'exposition des grands-parents à la radioactivité sur les petits-enfants.

    Vous aviez souhaité lancer une étude épidémiologique transgénérationnelle pour comprendre l'éventuelle transmission génétique de maladies liées à l'exposition nucléaire. Pourquoi tout s'est-il arrêté?

    Christian Sueur. Avec l'expert Bruno Barrillot, on avait commencé une étude et rédigé un projet de recherche, qui était prêt quelques semaines avant son décès. On devait travailler avec une équipe japonaise spécialisée dans la génétique médicale. Notre idée était de collecter des échantillons sanguins sur les enfants, les parents et les grands-parents des atolls de Polynésie française et de les emporter au centre de recherche à Osaka, au Japon. Nous voulions associer les études en génétique moléculaire des Japonais avec nos cas cliniques et réaliser des analyses permettant de signer l'influence de la radioactivité sur les cellules germinales des grands-parents et sa transmission chez des petits-enfants présentant des troubles envahissants du comportement. Dans les semaines ayant suivi la mort de Bruno Barrillot, la nouvelle responsable de la DSCEN (Délégation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires) a décidé d'interrompre la coordination et la collaboration entre notre service et l'équipe japonaise. Les brefs échanges que nous avons pu avoir ont clairement montré que pour le gouvernement polynésien, il était « urgent de ne rien faire », et de ne pas favoriser ce type de recherche.

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    Pourquoi selon vous ?

    Aujourd'hui, il est évident qu'en France et en Polynésie française, les autorités politiques et sanitaires étatiques comme locales préfèrent nier ou minimiser systématiquement le risque nucléaire concernant la santé des enfants et des générations à venir. L'attitude du pouvoir politique est criminelle, et la collaboration des autorités sanitaires, avec ces mensonges d'Etat, ne l'est pas moins. Il faudrait pourtant des injonctions des autorités à réaliser des enquêtes épidémiologiques et sensibiliser la communauté médicale sur le sujet à travers des formations. Mais, pour l'instant ce n'est pas le cas. D'autres grands pays l'ont pourtant fait. De nombreux médecins devraient s'interroger sur leur part de responsabilité, consciente ou inconsciente, vis-à-vis de cette situation.

    Existe-t-il encore une volonté des autorités de cacher les effets du nucléaire ?

    Dès qu'il s'agit du nucléaire, il y a volonté de cacher. Je constate que dans les archipels comme les Tuamotu, rares sont les médecins civils. En revanche, on note la présence de médecins militaires. Je ne remets pas en cause leurs capacités de diagnostic ou de thérapie mais je m'interroge sur leur indépendance et leur transparence. Leurs rapports sont très difficiles à obtenir, voire impossibles, et lorsque c'est le cas, ceux-ci ne révèlent pas les mêmes problèmes que les nôtres. Pourtant nous avons pu constater, en 2016, que ces médecins militaires distribuaient dans les infirmeries aux Tuamotu des questionnaires « sanitaires », d'évaluations épidémiologiques concernant aussi bien les adultes que les enfants. Ils ont d'ailleurs eu en consultation tous les enfants que nous avons vus ! Pourquoi n'avons-nous pas accès à leurs observations ? Que révèlent-elles ? Il faudrait qu'une mission d'enquête parlementaire soit menée pour « déclassifier » les observations faites dans ces atolls par le Service de santé des armées. Il y a encore une omerta aujourd'hui.

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