Au moment où le retour en grâce de l'atome au niveau mondial lui offre des perspectives extrêmement favorables, c'est un énième revers qui tombe très mal pour EDF, déjà confronté à une anomalie sérieuse dans plusieurs centrales de l'Hexagone. C'est également embarrassant, sur le plan politique, pour tous les partisans du nucléaire, Emmanuel Macron en tête puisque le chef de l'Etat compte relancer la construction de réacteurs sur le territoire. Et pour cause, à l'aube de choix structurants sur le futur énergétique du pays, cet épisode pourrait aggraver les doutes sur les capacités réelles de l'électricien à livrer une future série d'EPR dès « 2035-2037 », comme l'envisage désormais le gouvernement. Et nourrir les craintes sur le manque de marges de manœuvre du système électrique de la France, alors qu'onze de ses centrales sont actuellement à l'arrêt, poussant l'exécutif à recourir au charbon pour passer l'hiver. Nul doute, en tout cas, que le sujet agitera les débats de la campagne présidentielle et qu'il permettra à Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI), à la peine dans les sondages, de faire entendre leur voix. Sur Twitter, le premier a ainsi évoqué un « fiasco payé par les Français », et le second un « naufrage du nucléaire ».
EDF a en effet annoncé ce mercredi 12 janvier que l'EPR de Flamanville (Manche), le seul en construction dans l'Hexagone, ne sera finalement pas prêt avant le deuxième trimestre 2023, contre fin 2022 jusqu'ici. Et sa facture devrait elle aussi gonfler, passant de 12,4 à 12,7 milliards d'euros, a indiqué le groupe. Un glissement qui s'ajoute à de nombreux retards déjà accumulés sur le projet, présenté à l'origine comme le futur fer de lance de la filière nucléaire, puisque le chantier (commencé fin 2007) devait initialement s'achever il y a dix ans... et coûter près de quatre fois moins cher. Face à cette nouvelle déconvenue, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a déclaré en début d'après-midi que l'exécutif veillera à ce que l'entreprise « tire les leçons des différents retards », avec l'objectif d' « améliorer le processus industriel ».
Pourtant, au mois d'octobre dernier, le ciel semblait s'éclaircir pour EDF : l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) validait sa solution visant à résoudre les derniers problèmes observés sur l'EPR de Flamanville, évitant au fournisseur d'électricité des réparations plus complexes. Cependant, malgré cette bonne nouvelle, « l'état d'avancement des opérations » et « la préparation du démarrage dans un contexte industriel rendu plus difficile par la pandémie » rendent la modification du calendrier nécessaire, explique aujourd'hui l'entreprise. Mais alors même que celle-ci peut se réjouir d'un alignement des astres inédit en faveur d'une relance du nucléaire, plus de dix ans après l'accident de Fukushima, une question se pose : où le bât blesse-t-il exactement ?
Remise à niveau des soudures du circuit secondaire principal
Concrètement, les difficultés touchent notamment au circuit secondaire principal, utilisé pour convertir l'énergie thermique produite par le cœur du réacteur en énergie électrique. Car les soudures devront y être remises à niveau, ce qui prendra « plus de temps que prévu » et ne devrait pas être achevé avant août 2022, explique-t-on chez l'électricien. En 2018 et 2019 déjà, EDF avait décalé la mise en service de l'EPR et annoncé un surcoût à cause de ces défauts de soudure du circuit secondaire.
« Cela se fait dans des conditions de sécurité et de qualité très, très élevées, avec un nombre de soudures à reprendre un peu plus important que ce qui était prévu au départ », précise Xavier Ursat, directeur exécutif Groupe en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire chez EDF.
A cet égard, la pandémie de coronavirus n'a pas aidé. Car si EDF met en avant une « gestion extrêmement forte » de la crise, qui a permis de « toujours maintenir les activités sur le chemin critique », la situation sanitaire a « forcément eu un impact diffus » sur la tenue du calendrier.
Cependant, au-delà du contexte particulier, la raison de ce nouveau retard n'est pas à chercher du côté des compétences, assure le groupe, pourtant parfois pointé du doigt pour la perte de savoir-faire de ses équipes dans le nucléaire. « Nous sommes conscients que la filière se trouve à un moment extrêmement important, et avons beaucoup travaillé ces dernières années pour être au rendez-vous des projets. Il y a eu un travail immense à Flamanville, et malgré des difficultés historiques, les équipes sont aujourd'hui focalisées sur la finition, afin de démarrer dans les meilleures conditions », fait ainsi valoir Xavier Ursat.
« Plus de 3.000 personnes sont engagées pour finir [...] Nous sommes passés d'un chantier à un site en pré-exploitation. [...] Il suffit maintenant de poursuivre la dynamique engagée, et valider les dernières étapes », abonde Alain Morvan, directeur du projet.
L'incident de Taishan ne remet pas en cause le modèle EPR
Reste qu'en plus de ces défauts de soudure, l'incident de juillet dernier qui avait conduit à l'arrêt d'un des réacteurs EPR de Taishan (en Chine), co-construit par EDF, freinera lui aussi le processus de mise en service de Flamanville. L'ASN avait en effet exigé de comprendre ce qu'il s'y était passé avant de donner le feu vert au réacteur normand.
« Il y a encore beaucoup de travail à effectuer sur ce chantier en amont des opérations de démarrage, et le retour d'expérience de l'écart de l'EPR Taishan 1 doit avoir lieu », avait récemment jugé Julien Collet, directeur général adjoint de l'ASN.
Mais alors qu'EDF a expliqué ce mercredi que Taishan 1 avait subi « un phénomène d'usure mécanique de certains composants d'assemblages », les problèmes rencontrés « ne remettent pas en cause le modèle EPR », assure le groupe. Dans le détail, il s'agit d'une inétanchéité localisée liée à la dégradation de la gaine de quelques crayons (les longs tubes en métal dans lesquels on place les pastilles de combustible), maintenus dans des assemblages par des grilles.
« C'est un phénomène connu, et déjà rencontré notamment sur le parc nucléaire français. [...] Pour autant, c'est un sujet technique qui doit être traité. Après une instruction avec l'ASN, des études pourront mener à un ajustements des procédés de fabrication, et au déploiement d'une technologie différente au sein de ces assemblages », développe Nicolas Février, directeur de la direction technique de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire chez EDF.
En effet, une instruction formelle de l'ASN devra valider ces éléments dans les prochains mois, et les prendre en compte dans le démarrage de l'EPR de Flamanville. « C'est normal qu'après la mise en fonctionnement d'un premier exemplaire, on fasse quelques constats qui font l'objet de retour d'expérience. C'est ce qu'il se passe dans à peu près tous les secteurs industriels. [...] Il faut en tirer parti pour être plus précis et performant », justifie Xavier Ursat.
Une mise en service commerciale prévue fin 2023
Après la clôture des derniers dossiers en cours d'instruction avec l'ASN et son autorisation formelle, EDF pourra donc procéder au chargement du combustible dès le 2ème trimestre 2023, selon le nouveau calendrier. L'électricien testera alors différents paliers de puissance. « Il sera d'abord nul, afin d'observer le comportement du cœur. Ensuite, nous monterons à 5%, puis 25% [comme c'est le cas actuellement en Finlande, dans l'EPR construit par Areva, ndlr]. Après ce palier, nous couplerons le réacteur au réseau électrique à haute tension, avant de monter progressivement jusqu'à 100% de puissance », précise Xavier Ursat.
Dès lors, EDF pourra enfin, après plus d'une décennie de retard, déclarer officiellement la mise en service commerciale de l'EPR de Flamanville, et fournir aux Français ses premiers mégawattheures. Une étape pour l'heure prévue « avant fin 2023 », avance le groupe. Mais si celui-ci se dit « confiant dans ce nouveau planning », d'autres surprise pourraient encore survenir d'ici là...
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