L’avenir du pétrole est derrière lui

Pétrole, le déclin est proche. Avec le titre de leur livre (1) Matthieu Auzanneau et Hortense Chauvin ne tournent pas autour du pot. Leur objectif ? Faire le point sur la menace d’une pénurie de pétrole et en explorer les conséquence. Leur message : le pic est bien plus proche que ce que vous croyez. Il surviendra probablement «durant la décennie 2020», osent-ils affirmer.

Une chose est certaine, le pic de production du pétrole dit conventionnel – ou à bas prix – est déjà loin derrière nous. En 2008 exactement. Un pic… en forme de plateau néanmoins. Si la production d’or noir par des champs pétroliers faciles d’accès et des réservoirs de grandes dimensions est bien passée par un pic en 2008, la baisse consécutive n’est pas une chute rapide. Un pic parfaitement prévu, par les géologues Colin Campbell et Jean Laherrère dans un article publié en 1998 où ils le prévoyaient pour «probablement d’ici à 10 ans». En 2019, cette production n’était inférieure que de 4% au maximum survenu onze ans plus tôt. Certes… mais cette diminution lente est inexorable soulignent les deux auteurs, car elle s’opère alors même que les pétroliers font leur maximum pour extraire de ces champs le plus possible de pétrole… et de revenus. Toutes les technologies disponibles pour augmenter le taux d’extraction du pétrole gisant dans ces sites sont déployées et c’est malgré cet effort acharné que la production diminue. Un rebond est donc tout à fait improbable.

La cause fondamentale de ce pic réside dans la limitation géologique planétaire. La quantité de pétrole qu’elle contient est fixe, puisqu’il a été formé il y a des dizaines ou des centaines de millions d’années. Or, « le volume de découvertes de pétrole conventionnel ne cesse de diminuer depuis… le milieu des années 1960 », notent les auteurs. Et, malgré une technologies beaucoup plus sophistiquées qu’à l’époque, les forages exploratoires sont de moins en moins chanceux, comme diraient les Québecois. Les champs sont moins souvent trouvés, plus petits, plus difficiles d’accès, avec des pétroles de moindre qualité. Au total, depuis 35 ans et chaque année (sauf 2010), la consommation de pétrole est supérieure à la quantité découverte.

descendada

Pourtant, la production de pétrole a continué d’augmenter, pourrait-on objecter. Oui, mais un pétrole qu’il faut aller chercher pour plus cher : les grands fonds océaniques, l’Arctique, les roches-mères (le pétrole dit « de schiste » en Europe, les sables bitumineux du Canada… Ces nouveaux pétroles, plus chers, plus polluants à l’extraction ont permis la remontada de la production aux États-Unis qui a retrouvé et même dépassé son niveau de 1970 grâce aux pétroles de roches mères et de réservoirs compacts. Mais presque partout ailleurs, c’est la «descendada». La Mer du Nord décline de puis l’an 2000, l’Algérie depuis 2007, le Nigeria depuis 2011, l’Angola depuis 2008 (et l’Afrique dans son ensemble itou), Moscou prévoit que son déclin débutera dans la décennie… Au total, plus de la moitié de la production mondiale provient de puits et de champs dits « matures », donc en déclin.

La pénurie de pétrole à venir va t-elle sauver le climat ? Non, répondent les auteurs. Il faudrait pour cela diminuer d’au moins 5% chaque année la consommation d’énergie fossile. Alors que celle du gaz croît vigoureusement. Le rythme de diminution de la production totale de pétrole provoquée par la seule limitation géologique ne suffira donc pas.

Mais si ce déclin inéluctable n’est pas assez rapide pour sauver le climat, il pourrait néanmoins provoquer un choc économique et social d’envergure. Car nos économies sont toujours dépendantes de l’or noir. Quand ? Les auteurs se risquent à livrer une date : « un déclin de la production mondiale de pétrole apparaît inéluctable durant la décennie 2030, semble parfaitement possible – pour ne pas dire probable – dès la décennie 2020, et pourrait être en train de s’enclencher à cause du gel des investissements causé par la crise du Covid ».

D’où la solution, paradoxale, promue par les deux auteurs : pour éviter cette pénurie d’offre, organisons une pénurie plus aiguë encore de la demande. Prenons au sérieux l’alerte climatique, et transformons nos sociétés, nos économies, nos industries afin de diminuer si fortement la consommation d’énergies fossiles, dont le précieux pétrole,  qu’elle tombera en dessous de leurs limites géologiques. Un programme nécessaire… mais vaste et rude.

Sylvestre Huet

(1) Pétrole, le déclin est proche, Matthieu Auzanneau et Hortense Chauvin, Seuil,/Reporterre, 136 pages, 12 €, septembre 2021 (Matthieu Auzanneau est par ailleurs l’auteur du livre de référence : Or noir, la grande histoire du pétrole, La Découverte, 2016.