La fermeture définitive de la centrale nucléaire de Fessenheim (dont le 1er réacteur a été arrêté en février 2020, puis le second en juin 2020) revient sur le devant de la scène à l'heure où la France redoute de possibles pénuries d'électricité l'hiver prochain. Ces derniers jours, de nombreux défenseurs du nucléaire et élus locaux ont tenu Emmanuel Macron pour responsable de cette situation très critique, alors que la fermeture effective des deux réacteurs situés à la frontière allemande est intervenue au cours de son premier mandat. En effet, le décret de déclaration de mise à l'arrêt définitive a été pris le 19 février 2020. Il découle de la Loi transition énergétique de 2015, votée au cours de la mandature de François Hollande. Loi qui a donné lieu à un premier décret d'abrogation de l'autorisation d'exploitation de la centrale de Fessenheim, publié en avril 2017.
Emmanuel Macron, agacé, argumente sa décision
Fin août, lors d'un débat organisé par le Medef, Jean-Bernard Lévy, actuel patron d'EDF sur le départ, a également expliqué que le groupe « manquait de bras parce qu'on nous a dit : 'votre parc nucléaire va décliner, préparez-vous à fermer des centrales'. On a déjà d'ailleurs fermé les deux premières ». Des propos qui semblent avoir irrité au plus haut point Emmanuel Macron.
Résultat, lundi, à l'occasion d'une intervention devant la presse, le président de la République s'est attaché à justifier cette prise de décision. « Fessenheim était la plus vieille centrale de notre parc à la frontière de l'Allemagne, qui n'est pas alignée avec nous sur le nucléaire », a d'abord argumenté le chef de l'Etat.
Avant de poursuivre : « Fessenheim était une centrale sur laquelle il n'y avait plus de travaux de maintenance depuis plus de cinq ans. [..] L'analyse factuelle montrait que le choix le plus rationnel était de confirmer sa fermeture ». « Qu'on ne vienne pas me chercher sur Fessenheim », a-t-il lancé, visiblement agacé. « Pour Fessenheim, la messe était déjà dite », a-t-il conclu.
Ces propos ont tout de suite provoqué des critiques virulentes sur les réseaux sociaux.
Des propos erronés
Sur Twitter, Raphaël Schellenberger, député du Haut Rhin et secrétaire général adjoint des Républicains, s'est insurgé :
#Fessenheim était une centrale à jour, dans laquelle les investissements ont été faits jusqu'au bout. Jusqu'en juin 2018 la décision de maintenir la centrale ouverte pouvait être prise. Emmanuel Macron ment ! On ne peut pas construire la confiance sur le mensonge!
— Raphaël Schellenberger (@RSCactu) September 5, 2022
Un ingénieur du nucléaire regrette, lui aussi, les "mensonges" du président :
Mr @EmmanuelMacron cela fait mal d'entendre vos mensonges éhontés lorsque l'on a participé plusieurs années aux travaux d'amélioration de la centrale de #Fessenheim qui ont coûté des centaines de millions d'euros
— Michel Cranga climat et responsabilité (@michel_Halpes) September 5, 2022
Une centrale performante en matière de sûreté
De fait, Emmanuel Macron s'éloigne de la réalité lorsqu'il indique que la centrale de Fessenheim ne bénéficiait plus de travaux de maintenance, les cinq années précédant la décision de son arrêt définitif. En effet, dans une note publiée en 2020 et consacrée au panorama régional de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) indique que « la fin de production du site de Fessenheim s'est faite avec un niveau de performance très satisfaisant en matière de sûreté, en ligne avec les bons résultats obtenus par le site depuis plusieurs années ».
Par ailleurs, toujours selon le gendarme du nucléaire, « le nombre d'événements significatifs déclarés au cours de la période de production des réacteurs a été en dessous de la moyenne du parc ». « Ces performances découlent notamment de la forte volonté de la direction et des agents du site de maintenir une rigueur d'exploitation exemplaire jusqu'à l'arrêt définitif des réacteurs », indique la note.
Dans ce panorama, le gendarme du nucléaire précise également qu'un certain « niveau d'activité de maintenance est appelé à perdurer », notamment en ce qui concerne les systèmes qui restent en fonctionnement, c'est-à-dire « la ventilation, le traitement des effluents ou la lutte contre le risque d'incendie ». « L'ASN a noté, dans ce domaine d'activité, l'attitude proactive et la bonne maîtrise du site », pointe encore le document.
Des investissements adaptés
Une nuance doit toutefois être apportée. EDF a bien réalisé des travaux de maintenance au cours des dernières années de vie de la centrale, mais l'électricien a adapté ses investissements dès la publication du décret actant la fermeture des deux réacteurs.
« Le décret de 2017 [celui sur l'abrogation de l'autorisation d'exploitation de la centrale de Fessenheim au titre du Code de l'énergie, ndlr] a conduit EDF a adapté ses investissements pour maintenir le site au plus haut niveau de sûreté jusqu'à sa mise à l'arrêt définitif. La centrale nucléaire de Fessenheim a engagé son plan d'actions post-Fukushima conformément aux actions engagées par EDF », explique le groupe.
L'électricien assure ainsi que « toutes les prescriptions techniques relatives à l'accident de Fukushima ont été soldées dans les délais impartis », hormis la mise en place d'un nouveau Diesel Ultime de Secours (DUS).
Dans le détail, la centrale de Fessenheim a bénéficié d'un appoint supplémentaire en eau par pompage des eaux souterraines en 2012, de diesels de secours temporaires en 2013, de piquages de raccordement pour la Force d'action rapide du nucléaire en 2014, et de moyens de protection contre l'inondation autour des bâtiments électriques et de l'îlot nucléaire, en 2016.
Par ailleurs, de 2016 à 2019, EDF a investi 313 millions d'euros dans la centrale, selon les données transmises par le groupe : 128 millions d'euros en 2016, 65 millions en 2017, 50 millions en 2018 et 70 millions d'euros en 2019.
Une remise en service « pas raisonnablement envisageable »
En revanche, malgré la réalisation de ces travaux de maintenance visant à améliorer la sûreté des réacteurs, le gendarme du nucléaire est catégorique : « l'hypothèse d'une remise en service des réacteurs de Fessenheim ne paraît pas raisonnablement envisageable ».
Et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, sur le plan juridique la procédure administrative de mise à l'arrêt ne prévoit pas de retour en arrière. Ensuite, en matière de sûreté, les réacteurs de Fessenheim n'ont pas poursuivi le programme d'améliorations post-Fukushima à l'identique du parc, souligne l'ASN. La paire de réacteurs n'a pas engagé, non plus, le même programme de quatrièmes réexamens décennaux de sûreté que le reste du parc des réacteurs de 900 MW. Or, cet examen conditionne leur poursuite d'exploitation au-delà de 40 ans. Enfin, sur le plan technique, des travaux liés à la préparation au démantèlement ont d'ores et déjà été engagés (avec le retrait d'instrumentation des cœurs, par exemple). « Ce qui rend un retour en arrière très complexe », pointe le gendarme du nucléaire.
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