Emmanuel Macron prononce un discours sur le principal site de production de GE Steam Power System  à Belfort, dans l'est de la France, le 10 février 2022. (Photo by Jean-Francois Badias / POOL / AFP)

Emmanuel Macron prononce un discours sur le principal site de production de GE Steam Power System à Belfort, dans l'est de la France, le 10 février 2022. (Photo by Jean-Francois Badias / POOL / AFP)

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Le décorum ne laissait guère de doute sur la teneur du discours à venir. Derrière son pupitre, niché au coeur de l'usine GE Steam Power de Belfort aux allures ce jeudi de cathédrale industrielle, Emmanuel Macron se savait attendu au tournant. Sur place, d'abord, par les salariés de ce fleuron tricolore produisant des turbines nucléaires. Et évidemment, par une filière tout entière qui se lassait d'attendre le plan concret du président bientôt candidat qui s'était engagé à relancer l'atome à l'automne dernier.

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"Il nous faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil", a indiqué sans détour le chef de l'Etat, fixant deux grandes orientations en la matière. La première vise à "prolonger tous les réacteurs qui peuvent l'être" et à mettre à "l'étude les conditions de prolongement au-delà de 50 ans." La seconde vise à lancer un programme très ambitieux de construction de nouveaux réacteurs. Dès à présent, le gouvernement devrait lancer la procédure pour la construction de 6 EPR2. Des études seront aussi lancées pour la construction de 8 réacteurs supplémentaires, soit un total de 14 réacteurs d'ici 2050. Parmi toutes les propositions qui avaient été mises sur la table par la filière nucléaire, il s'agit de la plus ambitieuse. Parallèlement, plusieurs appels d'offres pour des petits réacteurs modulaires et réacteurs avancés viseront à faire émerger au total 25 GW de capacité nucléaire d'ici 2050.

Le programme est massif. Il s'agit aussi d'un virage à 180 degrés pour le locataire de l'Élysée. C'est pourtant lui, président de la République, qui avait entériné la fermeture de deux réacteurs à Fessenheim en 2018 et celle de 14 autres d'ici à 2035, et nommé à son ministère de la Transition deux opposants plus ou moins déclarés à l'atome (Nicolas Hulot et Barbara Pompili). Lui encore, ministre de l'Économie, qui avait précipité en 2014 la vente des stratégiques activités nucléaires d'Alstom à un General Electric qui est loin de les avoir fait prospérer.

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Comment expliquer un tel revirement ? Le calendrier en tout cas, interroge. Une telle décision, qui projette la France jusqu'à la fin du siècle, au moins, aurait légitimement pu trouver sa place dans un programme présidentiel soumis à l'approbation d'un vote populaire. Ou à tout le moins attendre la mise en service de Flamanville 3. Mais pour le président (presque) candidat, le choix d'avancer dès maintenant sur le nucléaire présente trois avantages avec lesquels il peut nourrir sa campagne tout en damant le pion à ses adversaires.

Souveraineté énergétique et industrielle

Il permet d'abord de s'afficher en champion de la transition énergétique. Face à la perspective du réchauffement, le siècle à venir est celui de l'électricité. La France n'atteindra pas ses objectifs climatiques sans électrification massive de l'industrie, de la mobilité, des logements. Et donc sans accélérer le développement de capacité électrique décarbonée. N'ayons pas peur des mots. S'il survit à l'élection présidentielle, le lancement de ce programme - qu'il faudra compléter avec une politique encore plus volontariste sur les énergies renouvelables - est la décision de politique énergétique la plus structurante depuis vingt ans. Elle projette la France dans un futur électrique décarboné d'ici à la fin du siècle, ce qui n'est pas une si mince affaire.

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Comme aux grandes heures du plan Messmer, le nucléaire est aussi pour Macron une réponse à la crise énergétique que vit la France et l'Europe. Bruno Le Maire ne cesse de le répéter, la France subit une secousse semblable au choc pétrolier de 1973. Comme alors, le choix du nucléaire est une réponse à la dépendance au pétrole dont le prix explose à la pompe, à la dépendance au gaz qui fait bondir la facture des foyers utilisant leur chaudière et de l'électricité sur les marchés de gros. C'est enfin, pour Emmanuel Macron, le moyen de se réaffirmer comme le chantre de la réindustrialisation, avec un plan industriel dont l'envergure enthousiasmera sans doute la droite gaulliste. A ce titre, le rachat des turbines Arabelle par EDF à l'américain GE, pour lequel l'Elysée a pesé de tout son poids, ne doit évidemment rien au hasard.

Du nucléaire et des questions ?

Reste que la décision du chef de l'Etat répond à autant de questions qu'elle en pose. Alors que l'évaluation finale des coûts du nouveau nucléaire par le ministère de la Transition écologique se fait toujours attendre, à combien va s'élever le prix du programme ? Qui et comment va-t-on financer ce parc ? Peu de détails ont filtré des annonces présidentielles. Tout juste sait-on que l'Etat et donc le contribuable, régleront plusieurs dizaines de milliards sur cette facture. Emmanuel Macron espérant par ailleurs bénéficier de conditions plus avantageuses grâce au label Vert accordé à l'atome par Bruxelles.

De son côté, la filière nucléaire française saura-t-elle se hisser à la hauteur du défi pour ne pas reproduire le fiasco de Flamanville ? Son chef de file, EDF, est toujours étranglé par son endettement et des décisions du régulateur qui vont contre son intérêt financier. Enfin, et surtout le président de l'Autorité de sûreté nucléaire l'a sous-entendu il y a quelques jours, la France doit faire attention à ne regarder que vers l'avenir. Le vieillissement du parc actuel, les problèmes de corrosion sur de nombreux réacteurs, les difficultés de la filière du retraitement et la saturation des piscines à combustible sont autant de défis qu'il faut relever sans attendre 2035 et le premier EPR2. La France veut du nucléaire. Encore faut-il qu'elle y soit prête.

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