Mobylettes, turbines, microprocesseurs et même… centrales nucléaires : presque toutes les machines peuvent être exploitées au-delà de leur puissance nominale, afin d’augmenter leur performance. Peu connu du grand public, l’« uprate » de réacteurs nucléaires permet de produire davantage d’électricité en renouvelant les installations. Une solution pour la crise énergétique ?

Et si l’on dopait nos centrales nucléaires face à la pénurie d’électricité ? L’idée est séduisante : elle consiste à porter la puissance des réacteurs au-delà de celle d’origine, et donc de générer plus d’électricité. L’« uprate » (comprenez « mise à jour ») permet d’augmenter de plus de 20 % les performances d’un réacteur nucléaire, dans le meilleur des cas. Si le parallèle avec le débridage d’une mobylette est tentant, cela n’a pas grand-chose de comparable en réalité.

Car il ne s’agit pas de débloquer les réacteurs, mais de les mettre à jour avec des technologies plus efficaces qu’initialement installé. Turbines, générateurs de vapeur, circuits et pompes peuvent ainsi être renouvelés pour réduire leur propre consommation d’énergie, mais également augmenter leur performance. Il est aussi possible, mais pas toujours indispensable, de modifier la gestion du cœur du réacteur, afin d’intensifier la réaction nucléaire et donc produire davantage de chaleur (ensuite convertie en électricité).

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Seulement 12 réacteurs déjà débridés en France

En France, 12 des 56 réacteurs nucléaires ont déjà été « upratés ». Les 4 réacteurs du palier N4 et seulement 8 des 32 réacteurs du palier CPY/0 en ont bénéficié. L’opération a permis de modestes gains, de l’ordre de 4 %, alors que la mise à jour de certains réacteurs de conception identique à l’étranger a dépassé les 20 %. C’est notamment le cas de la tranche 4 de la centrale nucléaire de Ringhals en Suède, qui a gagné 23 % de puissance. Mis en service en 1973 avec une puissance nominale de 915 mégawatts électriques (MWe) le réacteur a été porté à 1 130 MWe, quatre décennies plus tard.

Selon le compte Twitter « Karl Novatore », tenu par un anonyme affirmant travailler dans la filière, la France pourrait augmenter de 6,1 GW la puissance installée de son parc nucléaire, sans construire de nouveaux réacteurs. « On pourrait aller chercher jusqu’à 140 MWe par CPY en moyenne (passage de 910 net à 1050). Soit 3,9 GWe au total pour les CPY. En rajoutant 0,2 GWe au Bugey et 2 GWe sur les P4, on trouve donc un potentiel maximal mais atteignable de 6,1 GWe d’uprates » détaille-t-il.

Les 3 paliers de réacteurs nucléaires en France / Infographie : RE.

Pourquoi un tel retard ?

Contrairement à d’autres pays comme les États-Unis et la Corée du Sud, la France a peu investi dans l’augmentation de la puissance de ses réacteurs. Nous étions « persuadés d’être en surcapacité » tente d’expliquer Karl Novatore. Un projet de mise à jour des 20 réacteurs de palier P4 portant leur puissance de 1 300 à environ 1 400 MWe était bien dans les cartons, mais il a été verrouillé par la loi de transition énergétique pour la croissance verte.

Souhaité par l’ex-président de la République François Hollande et promulgué en 2015, le texte limite la filière électronucléaire à un plafond de 63,2 GW de puissance installée. Il est donc impossible, pour l’instant, de suralimenter nos réacteurs nucléaires. Mais les choix politiques passés ne seraient pas seuls responsables de cette inertie. Notre travailleur anonyme du nucléaire accuse également « un conservatisme énorme, notamment en matière de combustible et d’exploitation dans la filière en France ».

D’autant qu’améliorer les performances d’un réacteur nucléaire ne se fait pas comme on retire la bride d’un pot d’échappement. L’opération se prévoit longtemps à l’avance et nécessite un arrêt prolongé de la tranche afin de réaliser les travaux, qui peuvent être lourds selon les équipements à remplacer. Il ne faudra donc pas compter sur l’« uprate » de nos réacteurs nucléaires pour passer l’hiver. Ni celui-ci, ni les prochains.

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