Un mois de bataille acharnée n’y a rien changé. La Commission a publié sa version définitive du texte qui fait du gaz et du nucléaire, des énergies de transition incluses dans la taxonomie verte. Elle a gardé sa position du 31 décembre qui avait mis le feu aux poudres divisant experts scientifiques, ONG et États membres. La Commission semble ainsi saper les bases du plan d’action sur la finance durable qu’elle a dessiné et affaiblir la portée de son Green Deal. La taxonomie devait pourtant être le langage commun à toute l’Europe de ce qui est vert, vraiment vert.

Le gaz et le nucléaire sont donc deux énergies de transition incluses dans la taxonomie européenne qui entrera en vigueur dans quatre mois, sauf si le Parlement européen et plus de 20 États membres s’y opposent. “Nous avons fait preuve de pragmatisme“, a expliqué Mairead McGuinness, la Commissaire en charge des marchés financiers pour justifier le texte de l’Acte délégué sur la taxonomie d’activités durables, publié le 2 février par la Commission. La médiatisation du débat, les menaces et les déclarations des gouvernements autrichiens, luxembourgeois et allemands farouchement opposés à cette inclusion n’y ont rien changé. Après la publication du texte, Claude Turmes, le ministre de l’Énergie luxembourgeois, a fermement réaffirmé son opposition au texte en menaçant à nouveau de poursuite devant la Cour de justice de l’UE. 


Le non ferme des experts de la Plateforme qui conseille la Commission n’a pas eu plus d’effet. Leur idée de créer une nouvelle catégorie ambre (entre le vert et le marron) pour ces deux énergies controversées n’a pas non plus été retenue. Le refus d’adopter un autre code couleur témoigne de la volonté d’entretenir la confusion avec les activités purement vertes. 

Mairead McGuinness a expliqué que la Commission avait ajouté des dispositions pour que les entreprises soient obligées de publier, dans le cadre de leur reporting d’activités alignées sur la taxonomie, le pourcentage de leurs activités liées au gaz et au nucléaire. La Commissaire Européenne a précisé qu’ensuite : “les investisseurs resteront libres de choisir s’ils veulent investir dans le gaz ou le nucléaire, ou pas du tout quand ils utiliseront la taxonomie pour flécher leurs investissements verts“.

“Capharnaüm sur les marchés financiers”

Certes, mais pour Sébastien Godinot, économiste au WWF Europe et membre de la Plateforme sur la finance durable, “ce fiasco va créer un énorme capharnaüm sur les marchés financiers“.  Il ne décolère pas contre le texte. Pour lui, “du point de vue scientifique, cet acte est une fraude et il doit être rejeté pour protéger la crédibilité de l’ensemble de la taxonomie“. L’ONG déplore l’intense travail de lobbying, mené notamment par la France sur le nucléaire. 

En quelques mois, l’ambition environnementale du Green Deal portée par la Commission s’est effilochée. Le 7 octobre 2021, elle avait organisé un Sommet virtuel qui détaillait cette ambition, la nécessité de préparer le Continent à faire face aux défis que posent le changement climatique et la disparition de la biodiversité, le tout en s’appuyant sur les innovations de son plan d’action sur la finance durable lancé en 2018.

Un intense lobbying

À l’automne, elle avait un plan crédible et cohérent qui n’a pas passé l’hiver sous les coups de boutoirs du lobbying des États membres pro-gaz et pro-nucléaire mais aussi des compagnies d’énergies fossiles. Un rapport d’Influence Map, l’ONG spécialiste de l’analyse du lobbying publié le même jour, accuse des entreprises comme Equinor, TotalEnergies, Engie, ou Repsol, d’avoir “systématiquement affaibli les éléments clefs du Green Deal“. Son travail d’audit montre qu’avec l’appui d’associations, elles ont construit un “récit coordonné” pour vendre le gaz comme une énergie faiblement carbonée. Elles ont ensuite amplifié le risque de sécurité énergétique, présentant le gaz comme seul remède à une transition sans coupure d’électricité. L’ONG ajoute : “le succès manifeste de cette influence politique est un signal d’alarme pour le Green Deal européen alors que la crise climatique et les tensions géopolitiques rendent de plus en plus nécessaire la disparition du gaz dans le mix énergétique européen“.

La publication de l’Acte Délégué sur l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie n’éteint pas complètement la mobilisation. Elle cible désormais le Parlement qui doit réunir une majorité simple pour abroger le texte. “Nous appelons les membres du Parlement européen à rejeter cet accord qui risque de torpiller l’ambition du Green Deal“, exhorte Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes du WWF France. Mais, en l’état, le texte de la Commission reste un signal fort qu’il manque désormais un élément essentiel au Green Deal : la volonté politique de tenir une ligne verte, vraiment verte !■

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