Le Kremlin va demander aux entreprises russes de contribuer à l'effort de guerre

L'administration de Vladimir Poutine discute actuellement avec le patronat russe pour mettre en place dans les prochaines semaines une « contribution volontaire unique » des entreprises au budget fédéral, soumis à une forte hausse des dépenses militaires en Ukraine. Le soutien à l'effort de guerre du secteur privé devient un sujet central. Montré du doigt par Kiev pour y avoir participé, le groupe français Auchan est d'ailleurs pris dans une polémique.
Selon la presse russe, seules les entreprises bénéficiaires en 2022 seraient concernées par cette « contribution volontaire unique ».
Selon la presse russe, seules les entreprises bénéficiaires en 2022 seraient concernées par cette « contribution volontaire unique ». (Crédits : SPUTNIK)

La mainmise du Kremlin sur le secteur privé russe ne cesse de se renforcer, à mesure que la guerre en Ukraine dure et pèse de plus en plus dans les comptes de l'Etat. Déjà, Vladimir Poutine avait annoncé « des mesures spéciales dans la sphère économique » pour soutenir l'effort de guerre. Désormais, il s'agit de demander une « contribution unique » - présentée comme « volontaire » -, auprès des entreprises afin de remplir les caisses du budget fédéral. Les discussions sont en cours avec le patronat russe qui devrait avoir peu de latitude pour refuser cette invitation à payer.

En Russie, la place de l'Etat est omnipotente, en plus d'une économie parallèle importante et centralisée autour du pouvoir à Moscou. Dès mars, le parti Russie Unie de Vladimir Poutine proposait d'ailleurs de nationaliser les entreprises étrangères qui ont abandonné leur filiale et cessé leurs activités suite au début de « l'opération spéciale.»

Aussi, le Kremlin a sollicité des entreprises privées pour accélérer la production d'équipements pour ses troupes, écrivait le Wall Street Journal début décembre. En plus d'encourager la création de milices armées privées pour protéger les intérêts russes et mener une « guerre hybride » (Wagner, Task Force Rusich, et autres sociétés militaires privées, les SMP).

Si la croissance est encore attendue en 2023 et 2024 en Russie, elle n'en reste pas moins fragile et le coût de la guerre risque, lui, d'être exponentiel. La part des entreprises est donc essentielle :

« Nous nous attendons à ce que (cette contribution) soit d'environ 300 milliards de roubles », soit 3,8 milliards d'euros au taux de change actuel, a déclaré vendredi le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, dans un entretien à la chaîne de télévision Rossiya-24.

Prendre dans les profits

Le ministre n'a pas souhaité détailler le mécanisme exact qui sera mis en place, arguant qu'il était encore « en discussion avec les entreprises », mais il a relevé qu'un tel apport « financera des programmes gouvernementaux » face à des « dépenses en hausse ».

Selon la presse russe, seules les entreprises bénéficiaires en 2022 seraient concernées par cette « contribution volontaire unique ».

M. Silouanov a, lui, uniquement indiqué que les petites entreprises, et celles des secteurs gazier et pétrolier ne seront pas visées par une telle mesure, dont il a dit espérer une décision finale « dans un avenir proche ».

La semaine dernière, Andreï Belooussov, le vice-Premier ministre russe, avait justifié un tel projet par « les très bons résultats financiers » de certaines entreprises en 2022.

Le patronat russe préfère un impôt sur les bénéfices

Le patronat russe (RSPP) s'est toutefois déjà déclaré contre le mécanisme envisagé, se disant plutôt en faveur d'une augmentation de l'impôt sur les bénéfices de 0,5 point à 20,5%.

Moscou part en tout cas en quête de nouveaux revenus, tandis que ses revenus pétroliers dégringolent. Dans son budget annuel, la Russie intègre une hypothèse de 70 dollars le baril de pétrole exporté. Or, le prix moyen de l'Urals - le brut de référence dans le pays - était d'un peu moins de 50 dollars en janvier 2023, selon le ministère des Finances.

Un projet de loi soumis à la Douma, le Parlement russe, doit par ailleurs entériné la mise en place d'une limitation des rabais consentis par les compagnies pétrolières russes, dont le brut et les produits raffinés sont soumis à un embargo et un plafonnement des prix par l'UE et le G7.

Au-delà de cette contribution, d'autres moyens vont être mis en place pour combler ce déficit: la Banque centrale va puiser dans ses réserves de yuan à hauteur de 160 milliards de roubles (2 milliards d'euros). Le Kremlin réfléchit aussi à puiser dans son Fonds de bien-être national, comme il l'a déjà fait dans le passé.

ZOOM - Le groupe Auchan accusé de soutenir l'effort de guerre russe en Ukraine, le distributeur français réagit

L'enseigne de distribution française Auchan est de nouveau ciblée par l'Ukraine : Kiev l'a accusé vendredi d'être « une arme à part entière de l'agression russe », après la publication d'une enquête du quotidien Le Monde selon laquelle le groupe aurait contribué à l'effort de guerre de Moscou.

« Auchan s'est transformé en une arme à part entière de l'agression russe. J'ai l'intention d'en discuter avec mon homologue française » la ministre Catherine Colonna, a déclaré sur Twitter le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba.

Un an plus tôt, M. Kouleba avait déjà appelé à boycotter Auchan qui, tout comme Leroy Merlin, autre enseigne commerciale appartenant à la galaxie de la famille Mulliez, avait décidé de se maintenir en Russie en dépit de l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, contrairement à de nombreux autres groupes.

Auchan est implanté de longue date en Ukraine comme en Russie. Au 30 juin 2022, il exploitait, selon sa documentation financière, 230 magasins en Russie et 42 en Ukraine, précisant que ces deux pays avaient généré, l'année précédente, "environ 12% du chiffre d'affaires" du groupe, soit près de 3,6 milliards d'euros.

Selon des documents obtenus par Le Monde, le site d'investigation The Insider et l'ONG Bellingcat, une collecte de produits destinés à l'armée de Vladimir Poutine, d'une valeur totale de 2 millions de roubles (environ 25.000 euros), a été organisée au sein de la filiale russe d'Auchan.

L'enquête cite une source anonyme ayant déclaré que ce chargement aurait été offert gratuitement par Auchan.

Selon Le Monde, une contrôleuse de gestion, Natalya Z., avait établi une liste de matériel le 15 mars 2022 dans un mail envoyé « à une vingtaine d'employés dans plusieurs magasins à Saint-Pétersbourg, dans l'ouest de la Russie, dans le but de +collecter les dons de l'aide humanitaire+ ».

La liste comprenait « des milliers de cigarettes, des chaussettes en laine taille 43 ou 44, des cartouches de réchauds à gaz, du ragoût de porc en conserve, des haches et des clous, le tout provenant du stock de l'enseigne », poursuit le quotidien.

« Nous sommes très surpris », a réagi vendredi auprès de l'AFP la direction du groupe après la publication de l'enquête du Monde. « Nous sommes en train de vérifier les éléments affirmés, mais, à date, les éléments en notre possession ne corroborent pas » cette enquête, a-t-elle poursuivi.

« Nous ne finançons et participons de façon volontaire et active à aucune collecte destinée aux forces russes », a-t-elle assuré.

(Avec AFP)

Commentaires 4
à écrit le 18/02/2023 à 15:41
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Changement de stratégie majeur ! Les sociétés russes vont être mises à contribution pour bénéficier à l'Etat. Jusqu'à maintenant elles étaients rançonnées pour alimenter directement la poche de Poutine (septuagénaire, sous contrôle médical...). Cela ...

le 18/02/2023 à 19:20
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Il est vrai que cela n'est pas chez nous qu'on demanderait aux entreprises de financer l'effort de guerre. On préfère faire du déficit et faire payer les moins aisés... L'année prochaine, l'effort de guerre totale se montera à environ 1000 milliard...

à écrit le 18/02/2023 à 14:09
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Sérieux? PIB de la Russie ~ 1 700 Md €. PIB de l'UE ~ 15 000 Md € (2ème économie mondiale). Donc déjà, bêtement, l'UE a déjà une capacité x 9 par rapport à la Russie. EU, dispose d'une vraie richesse, d'une réelle économie intérieure très diversi...

à écrit le 17/02/2023 à 21:01
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Bonjour, Nous constatons que la Russie se mobilisent pour une guerre d'usure.. Mais la bonne question est de savoir quelle sera effectivement l'effet de cette mobilisation.. La Russie est l'agresseur, cela n'a pas échappé à un peuple russe... M...

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