Nucléaire, gaz... Guerre de lobbies sur la taxonomie européenne
La Commission européenne doit détailler fin avril la liste des secteurs d’activités considérés comme « verts ». Le nucléaire et le gaz jouent des coudes pour en faire partie.
C’est la liste sur laquelle tout le monde veut être. Et joue des coudes pour y figurer depuis des mois. Fin avril, la Commission européenne doit détailler dans un acte délégué – l’équivalent en droit européen d’un décret d’application - les critères précis de sa taxonomie, qui répertorie les secteurs d’activité les plus vertueux pour la lutte contre le changement climatique et l’environnement.
Les grandes lignes ont déjà été actées fin 2019 par les Etats membres et la Commission, après d’intenses tractations. A la base, la classification répond à un besoin des acteurs privés de la finance durable : il s’agit d’orienter les financements verts et de déterminer quelles activités peuvent en bénéficier, en évitant tout risque de greenwashing. Mais les industriels craignent qu’à terme, la taxonomie des activités « vertes » ne s’impose aussi dans les choix budgétaires des Etats et ne devienne in fine une condition d’attribution de leurs aides.
Le nucléaire veut revenir dans le jeu
D’où la course pour y figurer à tout prix ces derniers mois. Gaz, nucléaire, hydroélectricité ... Depuis l’automne, un lobbying intense a lieu à tous les étages. « Le risque est grand que l’approche actuelle ne concentre les financements que vers les renouvelables déjà largement subventionnés et que des technologies comme le nucléaire, l’hydroélectricité et le gaz dans une certaine mesure ne soient exclues, alors qu’elles sont nécessaires pour atteindre les objectifs de décarbonation à 2030 et 2050 », plaident plusieurs fédérations d'énergéticiens.
A ce jeu, le nucléaire est l’un des plus actifs. En 2020, la Commission européenne avait décidé d’évacuer le problème, en traitant l’atome à part fin 2021, devant l’incapacité des Etats membres à s’entendre sur le sort à lui réserver. Mais la France et six pays de l’Est de l’Europe, dont la Hongrie, sont repartis à l’assaut fin mars pour demander à le réintégrer in extremis dans la liste des activités vertes dès avril, arguant de ses faibles émissions de C02 et malgré la question des déchets. Pour l’instant, un accord semble peu probable sur le sujet.
Le risque de se transformer en outil de greenwashing
La Commission serait en revanche prête à reculer sur le gaz. Là aussi, dix Etats membres sont montés à l’assaut, réclamant de classer le gaz, moins émetteur de C02 que le charbon, comme « énergie de transition », la catégorie intermédiaire de la taxonomie. Cela devrait être le cas, sous certaines conditions, selon un document préliminaire consulté par le média spécialisé Contexte. Autre point de friction : la production de l’hydrogène, alors que les critères d’émissions de C02 devraient être relevés. Le risque, en élargissant les activités « vertes », est de faire perdre en efficacité la finance verte. « La taxonomie européenne a été conçue comme un étalon-or basé sur la science pour éviter le greenwashing. Elle est en train de se transformer en un outil de greenwashing », s'alarment 225 scientifiques, ONG et financiers dans une lettre ouverte.