La réunion publique d'ouverture d'un débat public organisé par la Commission Nationale (CNDP) prend souvent une allure solennelle. En moins d'un quart d'heure, le chahut a envahit celle sur le projet de centre industriel de stockage profond de déchets radioactifs réversible, Cigéo. Assis à la tribune dressée pour l'occasion dans la salle municipale du village de Bure (Meuse), le président de la Commission particulière (CPDP) venait de présenter les membres qui l'entourent pour organiser ce processus de concertation. A peine avait-il annoncé au micro l'intervention de l'Andra sur le projet soumis au débat, qu'il se fit couper la parole. Faisant référence aux campagnes de pétitions menées en arpentant les routes de Meuse et de Haute-Marne, le ton est vite monté dans l'assemblée : "Les 40.000 signatures réclamant une consultation populaire, les politiques n'en ont eu que faire !", "Les parisiens décident !", "Bure, on n'en veut pas !", "Referendum !".
Après avoir annoncé une suspension de séance d'un quart d'heure sous la clameur – "Y'a tout le personnel de l'Andra dans la salle !", "Ça fait trop longtemps qu'on décide pour nous… À coup de millions d'euros pour acheter les consciences !" - le président a finalement décidé de suspendre la séance. "C'était irrécupérable", dira-t-il par la suite. "On connaît déjà le projet, on n'est pas venu là pour écouter la messe !", confiera une habitante des environs qui suivait les discussions retransmises sur écran dans la salle attenante ouverte pour désengorger la salle principale débordant de monde. "Le président n'est pas à la cheville de sa fonction, son travail n'était pas de clore la réunion en cinq minutes !".
Un face à face tendu
Ce soir du jeudi 23 mai, à l'entrée de la salle municipale flambant neuve du village de Bure, des opposants de longue date chantaient des hymnes à la terre, quant d'autres brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : "Vous laissez pas manger par l'Andra", "Débat public ? Débat bidon !". Le nouveau Président de la CNDP venu pour l'événement s'en est étonné : "Comment peut on dire que le débat est bidon alors qu'il commence à peine ?"
Interrogé sur le dispositif sécuritaire déployé pour l'occasion, l'ancien Préfet évaluait tout au plus à une quinzaine le nombre de représentants des forces de l'ordre, comparé à la centaine de manifestants. Une quinzaine ? Des gendarmes filtraient l'arrivée des automobilistes, d'autres surveillaient les manifestants postés devant la salle. Aux alentours, des gendarmes mobiles se préparaient à intervenir. Depuis le matin, l'installation de la régie s'était déroulée sous l'œil des forces de l'ordre, une première pour celui qui en a la charge et a déjà plusieurs débats publics à son actif. Le soir, pour rentrer dans la salle, le public devait passer deux barrières de sécurité, tandis que les membres de la Commission se trouvaient sous garde rapprochée. "J'ai l'impression qu'on n'a pas vraiment de manœuvre sur le dispositif de sécurité", confiera un membre de la CPDP, ajoutant qu'ils s'attendaient au clash.
La prochaine réunion publique prévue jeudi prochain pourra-t-elle se tenir ? Pas sûr. Elle est annoncée comme étant la première des deux réunions consacrées à "l'insertion [du projet] sur le territoire". Or au regard des questions déjà posées sur le site du débat (debatpublic-cigeo.org), la préoccupation majeure d'ores et déjà exprimée porte sur "le fonctionnement et la maîtrise des risques" du stockage des déchets nucléaires hautement radioactifs à 500 mètres sous terre. La "sûreté du stockage" fait d'ailleurs l'objet d'un chapitre du dossier du maître d'ouvrage, sans pour autant qu'une réunion publique lui soit consacrée.
En attendant, une chose est sûre, la CPDP n'a pas prévu d'offrir une autre occasion de s'exprimer dans le débat aux Meusiens dont le territoire est effectivement concerné par les éventuelles installations souterraines du Cigéo. A moins qu'elle ne décide de revoir la géographie de ses réunions publiques.