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Nucléaire

Le nucléaire reprend espoir malgré ses déboires

Exercice de la Force d'action rapide du nucléaire (Farn) dans la centrale de Paluel (Seine-Maritime), en janvier 2021.,

Le World Nuclear Exhibition, salon international de l’énergie atomique, s’ouvre près de Paris. Il se déroulera dans une ambiance optimiste pour cette énergie, malgré les problèmes récurrents de sûreté subis par l’EPR.

Le World Nuclear Exhibition, le plus grand salon mondial dédié à la production d’énergie nucléaire, ouvre ses portes ce mardi 30 novembre au parc des expositions de Paris Nord Villepinte (Seine-Saint-Denis). Près de 1 000 « hauts décisionnaires internationaux » — gouvernementaux, institutionnels, grands acheteurs — ainsi que « les grands acteurs internationaux de la filière » sont attendus à cet événement porté par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen).

Cette 4e édition, intitulée « L’industrie du nucléaire, un acteur clé pour une société bas carbone et un avenir responsable », entend faire la promotion de l’atome dans la lutte contre le changement climatique. « Le nucléaire représente l’une des technologies clés du futur mix énergétique pour une transition durable vers une société zéro carbone », assure le communiqué de presse, qui annonce une journée spéciale consacrée aux petits réacteurs modulaires.

Lire aussi : Une visite au Salon où le nucléaire rêve d’un avenir plein de neutrons

Ce salon se tient alors qu’en France, les décisions sur la relance du nucléaire se profilent avant un véritable débat. Le futur mix énergétique français est censé être neutre en carbone à partir de 2050, conformément aux engagements climatiques de la France. Premier à passer à l’offensive, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension RTE a dévoilé le 25 octobre six scénarios possibles pour la moitié du siècle. Ils sont présentés comme plus faciles à mettre en œuvre et moins coûteux ceux prévoyant la construction de nouveaux réacteurs à partir de 2035 - mais RTE n’a pas exploré précisément le scénario « Sobriété », qui ne sera présenté qu’en début 2022. Deux jours plus tard, l’association négaWatt a détaillé son propre mix pour 2050, 100 % énergies renouvelables et misant sur la sobriété. Le 24 novembre, Greenpeace et l’institut Rousseau remettaient en cause dans un rapport commun les calculs économiques de RTE qui avantageaient les scénarios nucléaires, en soutenant que le coût du 100 % renouvelable et d’un scénario avec nucléaire « serait d’un ordre de grandeur similaire » en 2050-2060 — à condition de raisonner en coût courant économique (CCE) plutôt qu’en coûts complets annualisés comme RTE. Ce mardi 30 novembre, ce sera au tour de l’Ademe de dévoiler ses quatre scénarios « Transition(s) 2050 », « pour atteindre la neutralité carbone en 2050 », et de l’Agence internationale de l’énergie d’évaluer les politiques énergétiques de la France.

Reste à savoir si ce projet de relance est crédible

En parallèle, le nucléaire est devenu une question centrale de l’élection présidentielle. Deux sondages commandés ces dernières semaines par le groupe nucléaire français Orano puis par le quotidien Les Échos suggèrent qu’un nombre croissant de Français sont favorables à l’atome. Le 8 novembre, lors de leur débat sur LCI, les candidats Les Républicains ont tous annoncé leur volonté de lancer la construction de nouveaux réacteurs : six pour Valérie Pécresse, « six ou huit, peut-être dix » pour Michel Barnier et dix pour Xavier Bertrand. Côté extrême droite, Marine Le Pen a déjà exprimé son intention de construire trois nouveaux EPR et Éric Zemmour, dix. À gauche, les candidats Arnaud Montebourg, ancien socialiste, et Fabien Roussel, du Parti communiste, se sont également prononcé pour une relance du nucléaire. Seuls Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Anne Hidalgo (Parti socialiste), ont clairement exprimé leur opposition à la construction de nouvelles capacités.

Le débat a largement débordé l’Hexagone pour atteindre les plus hautes instances européennes. La Commission européenne doit proposer d’ici la fin de l’année sa « taxonomie verte », une liste des énergies considérées comme vertueuses pour le climat. Seules les filières incluses dans cette liste auront accès aux investissements verts. Pour la France, l’enjeu est vital. Elle a pris la tête d’une coalition d’États [1] qui défendent bec et ongles l’inscription du nucléaire dans cette taxonomie. Pour obtenir cette alliance et notamment amadouer la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie, elle aurait même cosigné un texte plaidant pour l’intégration du gaz — un combustible fossile — dans la taxonomie.

Reste à savoir si ce projet de relance est crédible. Pour l’heure, un seul des EPR lancés par EDF dans le monde depuis 2005 est en fonctionnement : celui de la centrale de Taishan, qui en compte deux, en Chine. L’un de ses réacteurs a dû être mis à l’arrêt en juillet dernier à cause d’une accumulation de gaz rares radioactifs dans son circuit primaire. De nouvelles informations laissent penser que le défaut décelé à Taishan pourrait être générique, c’est-à-dire propre à tous les EPR. Si cela se confirmait, il faudrait d’abord revoir leur conception avant toute décision de construction.

L’EPR de Flamanville. © Charly Triballeau/AFP

Les chantiers actuels de ce réacteur restent d’ailleurs en difficulté. L’EPR de Flamanville n’a toujours pas démarré et accuse dix ans de retard et 8,7 milliards de surcoûts — il devait coûter 3,3 milliards et est désormais estimé à 19 milliards. L’EPR finlandais d’Olkiluoto a lui aussi plus d’une décennie de retard et ne devrait pas fournir d’électricité avant juin 2022.

Lors d’une conférence de presse le 8 novembre dernier, EDF s’est pourtant dit « prêt » en cas de lancement d’un programme de construction. Mais plusieurs éléments permettent d’en douter. Selon un document de travail daté d’octobre dévoilé par le média Contexte, le gouvernement ne tablerait pas sur une mise en service de nouveaux EPR avant 2040. Le coût du programme y est réévalué à la hausse, à 64 milliards d’euros au lieu de 52-56 milliards. Une version officielle du rapport qui doit être publiée prochainement devrait prendre des hypothèses plus optimistes, précise toutefois Contexte.

L’Allemagne a fait le choix des énergies renouvelables 

Le 18 novembre, la Cour des comptes jetait à son tour un pavé dans la mare en exprimant ses doutes sur notre « capacité à construire un nouveau parc de réacteurs [nucléaires] dans des délais et à des coûts raisonnables ». Parmi les points de vigilance évoqués, les lieux d’implantation de ces nouveaux réacteurs — le changement climatique restreignant le nombre de sites disponibles. Mais aussi la gestion des combustibles nucléaires usés et des déchets radioactifs, puisque lancer un nouveau parc nécessiterait de redimensionner l’usine de retraitement de La Hague, de prévoir de nouveaux sites d’entreposage et d’avoir la garantie que le centre d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo soit mis en service un jour. Sur ce dernier point, l’Autorité environnementale a souligné un manque d’information sur les coûts environnementaux et économiques de ces différentes installations dans un avis rendu le 23 novembre.

Pendant que la droite et l’extrême droite française spéculent sur la construction de réacteurs EPR dont EDF peine à grand-peine à en fabriquer un en état de marche, l’Allemagne a confirmé son choix de tout placer sur les énergies renouvelables pour atteindre la neutralité carbone : la plus grande puissance économique du continent prend donc une direction radicalement différente de celle qu’envisagent les partis de droite et d’extrême droite en France.


LE GOUVERNEMENT À FOND SUR LES EPR

M. Macron pourrait intervenir au World Nuclear Exhibition mercredi 1e décembre, pour préciser ses intentions : lors de son allocution télévisée mardi 9 novembre, il a annoncé le lancement de nouvelles centrales nucléaires, sans en préciser la nature, le nombre et les échéances de mise en service. Le lendemain matin, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, promettait sur France Info des « précisions à la fois d’ordre technique et de calendrier » dans les semaines suivantes. Le même jour, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, invité de France Inter, évoquait plusieurs hypothèses sur le nombre d’installations envisagé par le président de la République : « Est-ce que c’est six ? Est-ce que c’est huit ? Est-ce que c’est dix ? »

Ce projet est à l’étude depuis plusieurs années. En août 2018, le quotidien Les Échos dévoilait un rapport commandé par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et le ministre de la Transition écologique et solidaire de l’époque, Nicolas Hulot, qui préconisait la construction de six nouveaux EPR à partir de 2025 pour maintenir les compétences de la filière nucléaire française. Depuis, l’État et EDF avancent main dans la main et dans la plus grande discrétion dans la mise en œuvre de ce chantier. En novembre 2020, Reporterre rendait public un rapport prévoyant le financement par l’État de la moitié des 47,2 milliards que devaient coûter ces nouveaux équipements nucléaires. Un mois plus tard, les sites convoités par l’électricien étaient dévoilés : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Hauts-de-France), et Bugey (Ain) ou Tricastin (Drôme). En janvier 2021, on apprenait qu’EDF avait déjà commandé des pièces forgées en vue de la construction de ces nouveaux EPR.

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