Ce jeudi 3 décembre, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ouvre une consultation publique (1) sur les conditions de la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 mégawatts (MW) d'EDF au-delà de 40 ans. « Cette consultation (…) porte sur le projet de décision (2) que l'ASN envisage d'adopter à l'issue de son instruction de la phase générique du quatrième réexamen périodique de ces réacteurs », explique l'autorité. La consultation se déroulera essentiellement sur Internet jusqu'au 15 janvier 2021.
Le sujet de la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans est « sensible », constate Bernard Doroszczuk, précisant qu'il s'agit d'« aller au-delà de l'hypothèse de 40 ans faite lors de la création des réacteurs ». Le sujet est aussi sensible car il intervient à une période charnière pour l'industrie nucléaire française. « La filière nucléaire veut démontrer sa capacité [à assurer la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 MW] avant de lancer de grands projets », résume le président de l'ASN, évoquant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Greenpeace dépose un recours
Le 18 novembre, Greenpeace a annoncé avoir déposé un recours devant le Conseil d'État contre l'ASN. Elle lui reproche de ne pas demander d'évaluation environnementale à EDF pour autoriser le fonctionnement des centrales nucléaires au-delà de 40 ans.
Interrogé sur ce sujet, l'ASN a répondu que la requête de l'ONG était en cours d'instruction. À ce stade, l'ASN « ne sait pas exactement ce que [lui] reproche Greenpeace ». Elle explique toutefois que, selon elle, la prescription d'une évaluation environnementale n'est pas de sont ressort. Une telle obligation relève de l'application du code de l'environnement. En outre, sur le fond, l'autorité « n'a pas connaissance d'impacts négatifs ». Au contraire, elle considère que les dispositions envisagées visent à réduire les impacts environnementaux.
Ce quatrième réexamen poursuit trois grands objectifs : renforcer la robustesse des installations face aux agressions (incendie, explosion, inondation, séisme, etc.), renforcer la sûreté des piscines d'entreposage du combustible et réduire les risques d'accident et leurs impacts. Compte tenu des échanges entretenus avec EDF depuis 2013, « l'ASN considère que l'ensemble des dispositions prévues par EDF et celles qu'elle prescrit ouvrent la perspective d'une poursuite de fonctionnement des réacteurs de 900 MW pour les dix ans suivant leur quatrième réexamen périodique ».
Concrètement, l'objet du projet de décision soumis à consultation est le volet « générique » du quatrième réexamen décennal, c'est-à-dire l'ensemble des études et modifications communes aux réacteurs de 900 MW. Cette distinction entre des éléments communs à l'ensemble du parc de 900 MW et des aspects spécifiques à chaque unité s'appuie sur les similitudes de conception des 32 réacteurs français en service.
Le projet de décision est accompagné d'un document (3) qui présente les enjeux clés (maîtrise du vieillissement, risques liés aux agressions, ou encore divers types d'accidents), du rapport de l'instruction (4) menée par l'ASN depuis plusieurs années, ainsi que de l'avis de son groupe permanant d'experts (5) pour les réacteurs nucléaires.
Visite des sites
Une fois ce volet générique validé, chaque réacteur fera l'objet d'une visite décennale au cours de laquelle seront étudiés les enjeux spécifiques liés à des différences de conception de certains éléments, au site d'implantation, ou encore au fonctionnement passé de l'installation. À cette occasion, l'ASN vérifiera deux éléments. Le premier est la conformité du réacteur par rapport aux prescriptions applicables compte tenu, notamment, du vieillissement des équipements. Le second est le respect des conditions de sûreté actuellement en vigueur. Ces dernières s'appuient en particulier sur le retour d'expérience engrangé depuis la conception des réacteurs il y a cinquante ans.
Cette seconde phase débutera en 2021 avec le réexamen du premier réacteur de la centrale du Tricastin (Drôme), dans la foulée de l'adoption des prescriptions génériques. EDF devra remettre un dossier pour chaque réacteur et une enquête publique sera menée avant que l'ASN rende sa décision. La série des quatrièmes réexamens périodiques des réacteurs de 900 MW s'achèvera en 2031.
Étalement des travaux
Les travaux d'amélioration qui seront prescrits à l'issue de ces visites décennales seront réalisés en deux temps. Une première série devra être réalisée immédiatement. C'est le cas, par exemple, de l'épaississement du radier (qui réduit l'impact d'un accident avec fusion du cœur et percement de la cuve) et de l'amélioration de la sûreté des piscines de combustible (qui limite les risques que les combustibles ne soient plus sous l'eau).
Les autres modifications seront étalées dans le temps, jusqu'à six ans après la fin du réexamen périodique de l'installation. Actuellement, les prestataires ne sont pas en mesure de répondre au volume des travaux à réaliser, justifie l'ASN. Par exemple, les travaux de mécanique seront multipliés par quatre ou cinq sur la décennie à venir, avec un pic attendu à 6,6 en 2026. À cette date, le réexamen des réacteurs de 1 300 MW s'ajoutera aux travaux à effectuer sur les réacteurs de 900 MW. Ce volume de travail constitue « un défi industriel considérable », explique Bernard Doroszczuk.
Au-delà du volume, il s'agit aussi d'être en mesure de réaliser correctement les modifications. Et sur ce point, l'ASN a déjà expliqué être préoccupée par la perte de compétence de la filière nucléaire française mise en lumière par le chantier du réacteur EPR de Flamanville (Manche). Compte tenu de ces inquiétudes et de l'étalement des travaux, l'ASN demandera à EDF de rendre des comptes chaque année de la mise en œuvre de son plan d'action destiné à rétablir les compétences perdues.