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TOUT COMPRENDRE – Faut-il s'inquiéter de l'état du parc nucléaire français?

Plusieurs réacteurs nucléaires sont à l'arrêt pour des suspicions de corrosion. De quoi relancer le débat sur le parc français vieillissant alors que la demande en électricité ne cesse d'augmenter.

• Combien y a-t-il de réacteurs nucléaires en France?

Le pays compte actuellement 56 réacteurs nucléaires répartis sur 18 sites.

La centrale la plus puissante se situe à Gravelines (Nord) avec six réacteurs et une production moyenne de 32,6 TWh à l'année. C'est aussi une des plus anciennes (début de construction en 1975) avec celle du Bugey (Ain), celle du Tricastin (Drôme) et celle de Dampierre (Loiret). A l'inverse, la centrale de Civaux (Vienne) est la plus récente avec une mise en service qui remonte à 1997.

En 2020, la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) a été définitivement mise à l'arrêt après avoir été exploitée commercialement pendant 42 ans. Auparavant, d'autres réacteurs ont aussi été fermés, mais il s'agissait principalement des réacteurs de première technologie (avec du graphite).

• Tous les réacteurs sont-ils opérationnels?

Non. Le parc nucléaire français commence à accuser le poids des ans. En France, les centrales sont conçues pour une durée de vie d'au moins 40 ans. Certaines d'entre elles ont donc déjà dépassé cet âge même s'il ne représente pas une date limite. Aux Etats-Unis, les licences d'exploitation ont par exemple été allongées à 60 ans. En réalité, la question de la durée de vie fait débat. L'Autorité de sûreté nucléaire a notamment insisté sur les travaux à lancer pour assurer la continuité de ces centrales en toute sécurité.

Chaque réacteur est régulièrement mis à l'arrêt pour l'indispensable maintenance. Mais à cela s'ajoutent de récentes inquiétudes de corrosion qui entrainent l'arrêt non prévu d'autres réacteurs.

Concrètement, des fissures sont apparues sur des soudures de coudes de tuyauterie au sein du réacteur 1 de la centrale de Civaux. Un phénomène suffisamment inquiétant pour entraîner une revue de tous les réacteurs français. Et pour assurer les contrôles, EDF a donc décidé de mettre à l'arrêt certains réacteurs.

Ainsi, sur les 56 réacteurs, le gestionnaire du réseau électrique RTE s'attend à une mise à l'arrêt de 17 réacteurs au mois de mars. Cette année, EDF devrait ainsi afficher sa plus basse production en électricité depuis 1991.

• Ces problèmes de corrosion présentent-ils un risque pour la sécurité?

Actuellement, ces microfissures ne présentent pas un risque pour la sécurité des réacteurs. Elles ont d'ailleurs été découvertes lors de l'inspection planifiée de Civaux. Pour autant, la tuyauterie en question n'est pas anodine: elle permet le refroidissement du réacteur en cas d’accident. La réparation est donc indispensable. A noter que ces problèmes ne sont pas liés à l'âge puisque Civaux est la plus récente des centrales.

• Alors les centrales nucléaires présentent-elle un danger particulier?

Les opposants au nucléaire alertent régulièrement sur l'âge avancé des réacteurs français et des risques qu'ils représentent. Jusqu'à présent, l'accident le plus sérieux (niveau 4 sur 7) a eu lieu en 1980 à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux avec une fusion partielle du cœur. En revanche, les centrales connaissent régulièrement des incidents classés niveau 0 ou 1 (plus d'une centaine d'évènements par an) sans conséquence.

Les incidents de niveau 2 sont plus rares et font toujours l'objet d'un communiqué d'EDF. Le dernier en date remonte à septembre dernier lorsqu'un salarié a été contaminé lors d’une opération de maintenance à la centrale de Cruas-Meysse. Une contamination "sans conséquence pour la santé du salarié" avait précisé EDF.

• Qu'en est-il de la production d'électricité?

C'est actuellement la principale inquiétude. La baisse de la production en 2022, inédite depuis 30 ans, pose de véritables interrogations. Le black-out devrait être évité cet hiver mais pas forcément pour l'hiver prochain si la météo n'est pas clémente.

En effet, la crise du gaz a déjà fait flamber les prix de l'électricité (les deux énergies étant intimement liées sur les marchés) et le parc nucléaire français est très sollicité par les pays européens. La situation pourrait donc se reproduire dans un an avec une production d'électricité encore plus faible. Dans ce contexte, des coupures seront possibles et il sera difficile de ne pas éviter une augmentation des tarifs, compte tenu de la demande. Une chose est sûre, les pays européens devront trouver des solutions pour éviter cette situation.

• La construction de nouveaux EPR va-t-elle changer la donne?

Ce jeudi, Emmanuel Macron annoncera le nombre de réacteurs nouvelle génération (EPR) mis en chantier. Mais ces réacteurs n'arriveront pas avant une dizaine d'années au mieux, les déboires du seul EPR en construction (celui de Flamanville) viennent d'ailleurs rappeler les grandes difficultés de la filière pour retrouver son expertise, perdue au fil des années.

L'élection présidentielle sera aussi un enjeu majeur pour l'avenir énergétique de la France, certains candidats souhaitant un abandon du nucléaire. Un récent rapport de RTE a pourtant signalé qu'une neutralité carbone en 2050 sans les nouveaux EPR, si elle n'était pas impossible, présentait des défis considérables et coûteux. De la même façon, une énergie 100% nucléaire, sans un investissement massif dans les énergies renouvelables, s'avérerait assez hasardeuse.

Thomas Leroy avec Théophile Magoria