La production nucléaire au plus bas en janvier, RTE admet des risques de baisses de tension
RTE renforce son diagnostic de vigilance pour le mois de janvier. Après avoir tiré la sonnette d’alarme une première fois le 22 novembre, le Réseau de transport d’électricité se préparer à exploiter le système « en situation dégradée », prévient-il dans son dernier rapport, paru jeudi 30 décembre. La faute à une conjonction de facteurs, qui ramène la production d’électricité en France à un faible niveau : la crise européenne de l’énergie, qui renchérit les prix des hydrocarbures et notamment du gaz, le retard pris par les opérations de contrôle à cause du Covid-19 et l’arrêt inopiné des quatre réacteurs des centrales nucléaires de Chooz (Ardennes) et de Civaux (Vienne), le 15 décembre, après la détection d’anomalies dans les circuits d’injection de secours.
L’approvisionnement électrique du pays en janvier dépend avant tout de la météo et de la production éolienne européenne. Si les prévisions météo de court terme apparaissent clémentes sur les treize prochains jours, elles sont nettement plus incertaines ensuite. Bien que RTE souligne que « la survenue d’épisodes météorologiques marqués apparaît peu probable » dans la deuxième quinzaine, le gestionnaire reconnaît que la combinaison d’une vague de froid « de l’ordre de 4°C en dessous des normales », de l’absence de vent ou de nouvelles défaillances des centrales nucléaires rendraient « quasi-certain » le recours à « des moyens post-marché ». En clair, RTE déclencherait alors non « pas un black-out », mais des baisses de tension pour les industriels volontaires ou les particuliers, voire des coupures de courant localisées, de 2 heures maximum. Le recours à ces solutions étant seulement « probable » en cas de survenue d’un seul de ces événements.
Une capacité de production nucléaire entre 43 et 51 GW, contre 61 en capacité totale
Avec 17 réacteurs nucléaires à l'arrêt sur un total de 56 au 17 décembre, le niveau de production du parc nucléaire se situe actuellement à près de 45 GW, loin de sa capacité totale de 61,4 GW. Durant le mois critique de janvier, sa capacité de production devrait s’établir entre 43 et 51 GW, soit « le niveau le plus bas jamais atteint pour le parc nucléaire depuis l’achèvement du programme de construction des réacteurs de deuxième génération » à la fin des années 1990, précise RTE.
Le parc nucléaire français est d’abord contraint par le calendrier des visites décennales d’EDF, afin que les plus vieux réacteurs voient leur durée de vie prolongée au-delà de quarante ans par l’Autorité de sûreté nucléaire. L’émergence du Covid-19 et la mise en place des confinements ont ensuite allongé et retardé ces contrôles, « réduisant d’autant les marges de manœuvre ». D’autres réacteurs sont arrêtés pour des raisons de maintenance classique, comme le rechargement en combustible. Le retard de mise en service de l’EPR de Flamanville, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, et surtout l’arrêt des centrales de Chooz et Civaux, représentant à elles deux une puissance de 4,5 GW, ont achevé de fragiliser la production. Pour pallier ces aléas, EDF a retardé l’arrêt de six réacteurs nucléaires, à partir de mi-février.
Le charbon proche de l'extinction, le gaz et l’hydraulique plus sûrs
Parmi les autres énergies disponibles, le recours au charbon sera limité, puisque la loi énergie climat de 2019 empêchera les deux centrales restantes (Cordemais et Saint-Avold) de fonctionner au-delà de 700 heures dans l’année à partir du 1er janvier 2022. D’après RTE, cette limite devrait « probablement » être atteinte rapidement, conduisant les centrales au charbon à « ne plus pouvoir produire en cas de vague de froid tardive (février-mars 2022) » si la loi énergie climat reste inchangée.
Si les niveaux de stocks de gaz sont assez bas, les centrales au gaz françaises sont, elles, disponibles « malgré la survenue de quelques aléas fortuits ». La nouvelle centrale de Landivisiau (Finistère), qui sera mise en service le 15 février prochain, devrait même contribuer à approvisionner le réseau dès janvier grâce à ses essais de fonctionnement.
Le stock du réseau hydraulique est lui aussi remonté depuis l’automne, grâce aux précipitations « et à une utilisation raisonnable des stocks par les producteurs ». Après des mois de novembre et décembre très peu venteux, RTE est enfin confiant pour les capacités éoliennes françaises début janvier, mais ne peut se projeter au-delà des 13 premiers jours.
Un délestage en plusieurs étapes, les coupures d’électricité en dernier recours
Le gestionnaire se montre d’autant plus vigilant que les importations d’électricité, auxquelles il avait massivement recouru cet automne, seront nettement plus réduites cet hiver. Entre le 20 et le 22 décembre, entre 12 et 13 GW d’électricité avaient été importés des pays voisins, « très proches des capacités techniques maximales » - mais pour des raisons de coût, et non de production. Lors des situations de tension en janvier, RTE limite ses prévisions à l’importation de 8 GW, en raison des besoins domestiques de nos voisins, mais aussi de leurs propres aléas : la liaison historique France-Angleterre est ainsi entravée par l’incendie de l’une de ses stations de conversion. La liaison Savoie-Piémont ne sera, elle, mise en service qu’à mi-capacité, au cours du premier trimestre 2022.
Si l’énergie venait à manquer cet hiver, RTE aurait encore plusieurs leviers à sa disposition pour modérer la consommation d’électricité du pays. Le gestionnaire appellerait d’abord les Français à appliquer des éco-gestes, comme éteindre les lumières non-utilisées, éviter le streaming ou décaler l’utilisation des appareils électroménagers en dehors des heures de forte consommation (8h-13h et 17h30-20h30). Ce dispositif, EcoWatt, a déjà été testé en Bretagne et en région PACA.
Il pourrait aussi recourir aux contrats d’interruptibilité signés avec 16 grands industriels très énergivores, dans le domaine de la chimie ou de la sidérurgie par exemple, afin de réduire leur consommation. Cela permettrait de gagner près d’un gigawatt, soit autant qu’un réacteur nucléaire. De faibles baisses de tension sur les réseaux de distribution des particuliers, comme sur les plaques de cuisson ou le chauffage, réduiraient également la pression sur le réseau, mais pas plus de quelques heures.
Le dernier échelon du délestage consiste en des coupures de courant localisées, d’une durée de deux heures maximum, annoncées la veille et situées sur une plage horaire comprise entre 8 heures et midi. Les sites les plus sensibles, comme les hôpitaux, ne seraient pas concernés. Ces coupures, décidées avec Enedis, ne concerneraient jamais un département entier mais seraient décidées territoire par territoire. En France, le recours au délestage a déjà eu lieu suite à des mouvements sociaux, mais jamais suite à une crise énergétique. RTE prévoit de refaire le point fin janvier ou début février.
SUR LE MÊME SUJET
- Biogaz, hydroélectricité, charbon, solaire... Ce que la loi climat et résilience change pour l'énergie
- [2021 en mots-clés] La difficile émergence de la « taxonomie » verte européenne
- A quoi sert (vraiment) la nouvelle direction innovation d'EDF
- Pourquoi le prix de gros de l’électricité atteint des sommets