La construction de nouveaux réacteurs nucléaires en Europe ne sera-t-elle plus financée que par des banques américaines, chinoises ou russes ? La menace est prise très au sérieux à Paris, où l’on ne décolère pas contre ceux qui envisagent d’exclure l’atome civil de la future taxonomie européenne.

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Le président d’EDF, Jean-Bernard Lévy a sonné le tocsin devant les parlementaires, le 10 février, en évoquant une « situation abracadabrante ». « L’Europe a vis-à-vis du nucléaire une vision totalement éloignée de toute approche scientifique et cartésienne », a-t-il pesté.

De l’électricité sans CO2

Difficile, selon lui, de comprendre comment les autorités européennes peuvent à la fois ériger la lutte contre le réchauffement climatique au premier rang des priorités et, en même temps, chercher à évincer le nucléaire. Cette énergie permet en effet de produire une électricité sans CO2 (ou très peu), disponible à la demande (contrairement aux énergies intermittentes) et qui ne nécessite pas d’importer du matériel étranger (contrairement aux panneaux solaires fabriqués en Asie).

Les opposants justifient eux leur refus d’intégrer l’atome dans la liste des activités dites durables en mettant en avant la question de la gestion des déchets nucléaires. Ils relèvent aussi le caractère polluant de l’exploitation de l’uranium et les grandes quantités d’eau nécessaire au fonctionnement des centrales.

Une fronde menée par l’Allemagne

« En fait, la fronde est menée par l’Allemagne qui ne veut pas du nucléaire, ni chez elle, ni chez les autres, car cela entraîne un déficit de compétitivité pour son industrie. Elle est soutenue par les financiers qui gagnent plus d’argent avec des parcs éoliens qu’avec des réacteurs qui mettent plus de dix ans à être construits », estime Dominique Louis, PDG du groupe d’ingénierie Assystem, auteur d’un livre sur les enjeux du nucléaire (1).

À Bruxelles, une première ébauche de la taxonomie - sorte de guide des activités durables pour les investisseurs - en avait exclu le nucléaire. Face à l’intensité des réactions, la Commission a demandé un rapport spécifique sur la question, qui sera soumis à l’avis de deux autres groupes de travail.

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« Pas loin d’une dizaine de pays, dont la France, se sont élevés contre cette proposition de taxonomie », souligne Jean-Bernard Lévy, en reconnaissant que cela ne fait pas une majorité. C’est le cas de beaucoup de pays de l’ancien bloc de l’Est, désireux de sortir rapidement du charbon, comme la Pologne, par exemple, qui va commander six réacteurs nucléaires.

À la recherche du compromis

Ce sujet qui fâche à Bruxelles a pour l’instant été soigneusement glissé sous le tapis, mais finira bien par ressortir. « Cette opposition entre nucléaire et renouvelables est stérile car nous aurons besoin des deux pour sortir des énergies fossiles », souligne Michel Derdevet, président du cercle de réflexion Confrontations Europe. Reste à trouver le compromis.

(1) Énergie nucléaire le vrai risque, Fayard, 248 p, 19 €