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Politique

Nucléaire : Macron lance la construction de nouveaux réacteurs

Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du mardi 9 novembre.

Emmanuel Macron a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France lors de son allocution télévisée, mardi 9 novembre. « Trop cher, trop lent et trop dangereux, le nucléaire est obsolète », ont réagi, en colère, les écologistes.

Fin du suspense. Emmanuel Macron a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France lors de son allocution télévisée consacrée à la pandémie, à la reprise économique et aux réformes, mardi 9 novembre à 20 h. Cette déclaration officielle confirme, pour la première fois, la volonté du gouvernement de mener à son terme le projet de construction de six nouveaux EPR2 — des EPR « simplifiés » —, à l’étude depuis plusieurs années.

« Nous allons pour la première fois depuis des décennies relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays et continuer de développer les énergies renouvelables », a ainsi déclaré le président de la République. « Si nous voulons payer notre énergie à des tarifs raisonnables et ne pas dépendre de l’étranger, il nous faut tout à la fois continuer d’économiser l’énergie et d’investir dans la production d’énergies décarbonées sur notre sol », a-t-il ajouté, arguant que « ces investissements nous permettront d’être à la hauteur de nos engagements au moment où nous allons clôturer la COP26 à Glasgow ».

Ce projet est à l’étude depuis plusieurs années. En août 2018, le quotidien Les Échos dévoilait un rapport commandé par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et le ministre de la Transition écologique et solidaire de l’époque Nicolas Hulot, qui préconisait la construction de six nouveaux EPR à partir de 2025 pour maintenir les compétences de la filière nucléaire française. Depuis, l’État et EDF avancent main dans la main et dans la plus grande discrétion dans la mise en œuvre de ce chantier. En novembre 2020, Reporterre rendait public un rapport prévoyant le financement par l’État de la moitié des 47,2 milliards que devaient coûter ces nouveaux équipements nucléaires. Un mois plus tard, les sites convoités par l’électricien étaient dévoilés : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Hauts-de-France), et Bugey (Ain) ou Tricastin (Drôme). En janvier 2021, on apprenait qu’EDF avait déjà commandé des pièces forgées en vue de la construction de ces nouveaux EPR.

La décision de construire de nouveaux réacteurs ne devait pas intervenir avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, prévue fin 2022. © Charly Triballeau/AFP

En principe, la décision de construire de nouveaux réacteurs ne devait pas intervenir avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, prévue fin 2022. Mais deux événements ont entraîné l’accélération du calendrier. L’élection présidentielle à venir en avril 2022 d’une part. Deux sondages commandés ces dernières semaines par le groupe nucléaire français Orano puis Les Échos suggèrent qu’un nombre croissant de Français sont favorables à l’énergie nucléaire. Le président candidat doit se positionner sur la question de l’atome pour faire face à ses concurrents, notamment de droite. Lundi 8 novembre, lors de leur débat sur LCI, les candidats Les Républicains ont tous annoncé leur volonté de lancer la construction de nouveaux réacteurs : six pour Valérie Pécresse, « six ou huit, peut-être dix » pour Michel Barnier et dix pour Xavier Bertrand. Côté extrême droite, Marine Le Pen a déjà exprimé son intention de construire trois nouveaux EPR et Éric Zemmour, dix.

D’autre part, lorsqu’il a dévoilé ses six scénarios énergétiques pour 2050 le 25 octobre dernier, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension RTE a présenté comme plus faciles à mettre en œuvre et moins coûteux ceux prévoyant la construction de nouveaux réacteurs à partir de 2035. Tant pis s’ils reposent sur une hypothèse de consommation électrique à la hausse dénoncée par les écologistes. Ces scénarios ont donné des ailes à EDF. Lors d’une conférence de presse le 8 novembre dernier, l’électricien s’est dit « prêt » en cas de lancement d’un programme de construction.

Reste à savoir si ces déclarations tonitruantes et cette confiance conquérante ne relèvent pas de la pensée magique. Selon un document de travail daté d’octobre dévoilé par le média Contexte, le gouvernement ne tablerait pas sur une mise en service de nouveaux EPR avant 2040. Le coût du programme y est réévalué à la hausse, à 64 milliards d’euros au lieu de 52-56 milliards. Une version officielle du rapport qui doit être publiée prochainement devrait prendre des hypothèses plus optimistes, précise toutefois Contexte.

La réalité est que pour l’heure, un seul des EPR lancés dans le monde depuis 2005 a pu être achevé et mis en service : celui de Taishan, en Chine. L’un de ses réacteurs a dû être mis à l’arrêt en juillet dernier à cause d’une accumulation de gaz rares radioactifs dans son circuit primaire. L’EPR de Flamanville, lui, n’a toujours pas démarré et accuse dix ans de retard et 8,7 milliards de surcoûts — il devait coûter 3,3 milliards et est désormais estimé à 19 milliards. L’EPR finlandais d’Olkiluoto a lui aussi plus d’une décennie de retard et ne devrait pas fournir d’électricité avant juin 2022.

« Quel manque de vision sur la transition écologique ! La relance du nucléaire est incroyable »

L’annonce d’Emmanuel Macron a fait bondir les écologistes. « Une nouvelle fois, Emmanuel Macron se contente de miser sur le nucléaire comme seule et unique solution à la crise énergétique et climatique. Quel manque de vision sur la transition écologique ! L’annonce de la relance du nucléaire était certes prévisible, mais elle est incroyable (et presque illégale sur la forme, un débat national étant nécessaire) », a écrit le député écologiste du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, porte-parole de Yannick Jadot, candidat Europe Écologie-Les Verts à l’élection présidentielle.

Même indignation du côté de Greenpeace. « Annoncer une relance du nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs alors que l’industrie nucléaire enchaîne les fiascos est totalement déconnecté de la réalité. [...] Trop cher, trop lent et trop dangereux, le nucléaire est obsolète dans un contexte d’urgence climatique, a estimé Nicolas Nace, chargé de campagne Transition énergétique. Pire, en annonçant unilatéralement cette décision, le “président candidat” Macron revient sur son engagement de ne pas lancer de nouveaux réacteurs avant la mise en service de l’EPR de Flamanville. Il est encore une fois dans un déni démocratique en ne consultant ni le Parlement ni l’ensemble des citoyennes et des citoyens sur ce choix de société, et ce, à six mois de l’élection présidentielle. »

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