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Des accidents nucléaires partout

France : Civaux : Un chantier mal préparé, des alarmes ignorées : 46 personnes contaminées

Suivi médical obligatoire pour cause de radioactivité dans le corps




17 janvier 2023


À plusieurs reprises entre le 7 et le 10 janvier 2023, des balises ont signalé une montée de radioactivité dans le bâtiment du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Civaux (Nouvelle Aquitaine), mais personne n’a réagi. Au total, 46 personnes ont inhalé ou avalé des poussières radioactives. Cette contamination interne les expose directement à des rayonnements gamma, les plus pénétrants de tous.


Il s’agissait d’un chantier pour contrôler des générateurs de vapeur (GV) [1] , ces gros échangeurs de chaleur qui transforment en vapeur la chaleur du circuit primaire (qui capte cette chaleur en refroidissant le combustible contenu dans la cuve) [2] . Un chantier d’ampleur et à haut risque de dispersion de contamination, car les GV sont fortement irradiés et contaminés par la radioactivité du circuit primaire. Comme toute intervention en zone nucléaire, ce chantier a été préparé, et une analyse des risques induits a normalement été faite afin de mettre en place toutes les parades nécessaires pour réduire ces risques autant que possible.

Le réacteur 2 de la Civaux est arrêté depuis le 19 novembre 2021, après que des fissures aient été découvertes sur le réacteur 1. Des découvertes faites à l’occasion de la visite décennale, ce grand programme de vérifications en profondeur des équipements, de remise en conformité et de modifications des systèmes de l’installation qui a lieu tous les 10 ans.

C’est dans le cadre de la visite décennale du réacteur 2 que le chantier a été déployé sur les générateurs de vapeur. Le but était de contrôler l’intérieur de ces échangeurs de chaleur. Mais le confinement du chantier a été mal mis en place. À plusieurs reprises, entre le 7 et le 10 janvier 2023, les balises qui surveillent la radioactivité ambiante dans le bâtiment du réacteur ont signalé une contamination. Mais ces alarmes n’ont pas été prises en compte par les équipes d’EDF. Pourquoi ? Le communiqué de l’exploitant ne le dit pas. Pas plus qu’il n’explique pourquoi le défaut de confinement du chantier sur les GV n’a pas été identifié lors de sa mise en place.

Ce n’est que le 11 janvier que la contamination du bâtiment réacteur a été formellement identifiée par EDF. Il aura fallu plusieurs alarmes signalant une contamination interne des personnes qui sortaient de la zone nucléaire pour que l’exploitant lance des investigations. Tout le personnel étant passé par le bâtiment réacteur sur la période du chantier a été rappelé pour passer un examen particulier, visant à détecter et mesurer la radioactivité gamma à l’intérieur du corps humain  [3]. Bilan : pas moins de 46 personnes ont été contaminées en interne par des particules radioactives émettant des rayons gamma, c’est à dire qu’elles les ont respirées ou ingérées. Ces travailleur.ses vont être suivi.es médicalement pour s’assurer que leur corps élimine progressivement ces radioéléments. En attendant, tant que ces particules restent en eux, elles les irradient directement depuis l’intérieur de leur corps. Mais pour l’exploitant nucléaire, pas de problème : ce ne sont que des traces de contamination, légères. En d’autres termes : la quantité de poussières radioactives dans leur corps est faible. Il n’empêche que tout rayonnement a un effet sur les cellules vivantes, et que cet effet perdurera tant que ces particules seront en eux.

EDF a déclaré les faits comme significatifs pour la (non)radioprotection aux autorités le 17 janvier 2023. Mais le communiqué de l’exploitant de la centrale de Civaux ne pointe pas le problème de fond : outre la contamination interne de près d’une cinquantaine de travailleur.ses, le fait qu’un chantier à haut risque de dispersion de radioactivité ait été mal préparé, que le risque ait été mal (voir pas) géré, et que personne ne s’en soit rendu compte est révélateur d’un réel défaut de culture de radioprotection. Si le personnel n’est pas informé et formé aux risques auxquels il est exposé dans ses activités, comment imaginer qu’il puisse s’en protéger et réagir de manière adaptée ? Si EDF lui-même ne détecte pas une dispersion de radioactivité dans le bâtiment du réacteur, quelle maîtrise a vraiment l’industriel sur ce risque majeur dans ses installations nucléaires ? Si EDF est incapable de gérer ses chantiers et de protéger ses propres travailleur.ses, comment peut-il prétendre protéger les populations et l’environnement de la radioactivité ?

Les faits posent aussi la question de la préparation des interventions dans les zones à risques des installations nucléaires. Comment se fait-il que le confinement du chantier n’ait pas été efficace ? Et pourquoi la perte d’étanchéité n’a pas été mise à jour par un contrôle ? Rappelons que fin novembre 2022, une importante fuite radioactive s’est produite lors du test de résistance du circuit primaire du réacteur 1 de cette même centrale nucléaire. Une fuite causée par un manque de préparation de l’intervention qui est pourtant une des principales épreuves des visites décennales. Là aussi, l’industriel aurait dû tout faire pour préparer au mieux le test qui, s’il n’est pas validé, interdit tout redémarrage du réacteur. EDF a aussi commencé à recharger la cuve de combustible sans avoir détecté que les données fournies par un nouvel équipement fraîchement installé lors de cet arrêt étaient faussées. Des données qui servent pourtant à garder la maîtrise de la réaction nucléaire.

Manque de préparation des interventions malgré leurs enjeux, manque de surveillance et de contrôle efficace des équipements et des chantiers, alarmes ignorées... Les erreurs de l’exploitant nucléaire conduisent à une perte de maîtrise de son installation et à la prise de risques inconsidérés. Et à la clé, ce sont les travailleur.ses qui sont les premier.es exposé.es. Mais après tout, il ne s’agit que de "légères traces d’exposition interne des intervenants"...

Au terme de son analyse approfondie de l’évènement, 4 mois plus tard, EDF a finalement rehaussé le niveau de gravité des faits. Il aura fallu tout ce temps à l’industriel pour conclure qu’en effet, des dysfonctionnements organisationnels et humains sont survenus. Et qu’ils sont révélateurs "d’un défaut de culture radioprotection". Mais évidemment, pas question pour EDF de questionner sa propre responsabilité.

Ce que dit EDF :

Légères traces d’exposition interne sur des intervenants

Publié le 17/01/2023

Evénement radioprotection

Dans le cadre des travaux de maintenance de la visite décennale de l’unité n°2 de Civaux, une contamination volumique a été observée mercredi 11 janvier 2023 aux abords d’un chantier de contrôle périodique des tubes de deux générateurs de vapeur, dans le bâtiment réacteur.

Selon les premières analyses, cette contamination volumique, enregistrée ponctuellement à trois reprises entre le samedi 7 janvier et le mardi 10 janvier, a pour origine l’absence d’efficacité du système de confinement mis en place dans le cadre du chantier, associée à la non-prise en compte par les intervenants des indications de présence de contamination rapportées par les balises de surveillance.

Les contrôles systématiques en sortie de zone nucléaire ayant identifié plusieurs intervenants présentant des traces d’exposition interne, toutes les personnes ayant accédé sur la période au bâtiment réacteur ont été conviées par précaution à réaliser un examen de contrôle complémentaire par anthropogammatrie [4].

Quarante-six intervenants présentent à ce jour de légères ou très légères traces d’exposition interne, sans incidence sanitaire. Ils ont repris leur activité. Un suivi médical a été programmé afin de s’assurer de l’élimination naturelle complète des traces d’exposition.

L’Autorité de sûreté nucléaire a été informée de la situation. Un événement significatif radioprotection de niveau 0 sur l’échelle INES (qui en compte 7) a été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Civaux auprès de l’ASN le 17 janvier 2023.

L’analyse complète des causes de cet événement se poursuit.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/legeres-traces-dexposition-interne-sur-des-intervenants

Evolution du classement d’un événement de janvier 2023

Publié le 12/05/2023

Dans le cadre des travaux de maintenance de la visite décennale de l’unité n°2 de Civaux, une contamination volumique avait été observée à plusieurs reprises entre le samedi 7 janvier et le mardi 10 janvier 2023 aux abords d’un chantier de contrôle périodique des tubes de deux générateurs de vapeur, dans le bâtiment réacteur de l’unité n°2 alors en maintenance programmée. Un événement significatif radioprotection de niveau 0 sur l’échelle INES (qui en compte 7) avait été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Civaux auprès de l’ASN le 17 janvier 2023.

Cette contamination volumique avait pour origine l’absence d’efficacité du système de confinement mis en place dans le cadre du chantier, associée à la non-prise en compte par les intervenants des indications de présence de contamination rapportées par les balises de surveillance. Les contrôles systématiques réalisés auprès des intervenants présents aux abords du chantier pendant la période concernée avaient identifié 56 personnes présentant de légères traces d’exposition interne (exposition 40 fois plus faible que la limite réglementaire annuelle d’exposition -qui est de 20 mSv- pour la valeur détectée la plus importante), synonyme d’un défaut de propreté radiologique, sans enjeu sanitaire.

L’analyse complète a posteriori des causes de cet événement a mis en évidence des dysfonctionnements organisationnels et humains, représentatifs notamment d’un défaut de culture radioprotection. A ce titre, l’événement a été redéclaré par la direction de la centrale nucléaire de Civaux auprès de l’ASN le 11 mai 2023 au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/evolution-du-classement-dun-evenement-de-janvier-2023


Ce que dit l’ASN :

Défaut de maîtrise de la radioprotection des travailleurs

Publié le 13/06/2023

Centrale nucléaire de Civaux Réacteurs de 1450 MWe - EDF

Le 17 janvier 2023, l’exploitant de la centrale nucléaire de Civaux a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la radioprotection relatif à la dispersion de contamination en zone contrôlée, en raison de nombreux manquements en matière de protection collective des travailleurs. Cette déclaration a été complétée le 11 mai 2023 à la lumière de l’analyse approfondie de cet évènement.

Le 7 janvier 2023, le réacteur 2 était à l’arrêt dans le cadre de sa deuxième visite décennale. Un chantier portant sur le contrôle de l’état des générateurs de vapeur était en cours dans le bâtiment du réacteur 2. Ce type de chantier est considéré par EDF comme à forts enjeux de radioprotection, car il est susceptible de générer la mise en suspension de particules radioactives. Un ensemble de mesures matérielles et organisationnelles devait donc être appliqué pour prévenir tout risque de contamination des intervenants présents.

Entre le 7 et le 10 janvier, de nombreuses défaillances de ces mesures de protection collective ont abouti à la dispersion de particules radioactives en dehors du sas de confinement lié au chantier. Au cours de cette période, les dispositions successives prises par EDF ou par ses sous-traitants n’ont pas permis le retour à une situation maîtrisée de propreté radiologique malgré les nombreuses anomalies relevées.

Afin d’évaluer la contamination des travailleurs, EDF a procédé à l’examen médical d’environ 300 intervenants susceptibles d’avoir été exposés. 56 d’entre eux présentaient des traces de contamination, à des niveaux bien en deçà de la limite réglementaire, fixée à 20 millisieverts.

Cet événement avait initialement été classé au niveau 0 de l’échelle INES, au vu de ses conséquences limitées. Toutefois, l’analyse réalisée par EDF a mis en un défaut global de maîtrise de la radioprotection sur un chantier pourtant à forts enjeux de radioprotection et plus généralement d’un problème de culture de sûreté. Aussi, cet événement a été reclassé au niveau 1 de l’échelle INES.

Le 11 janvier, EDF a arrêté le chantier. L’exploitant a identifié les dysfonctionnements et les a corrigés avant de reprendre les activités le 13 janvier.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/defaut-de-maitrise-de-la-radioprotection-des-travailleurs


[1Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur

[2Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[3Il existe différents types de rayonnements. Le rayonnement gamma est composé de photons de haute énergie. Ce rayonnement va pénétrer davantage dans l’organisme que les rayonnements alpha et bêta, mais il modifie moins les particules qu’il rencontre. En savoir plus : https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/rayonnements-ionisants-effets-radioprotection-sante/effets-rayonnements-ionisants/Pages/2-differents-rayonnements-ionisants.aspx#.Y9EVKUiZOUk

[4examen de détection, d’identification et de mesure de la radioactivité gamma, naturelle ou artificielle, présente dans le corps humain


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Installation(s) concernée(s)

Civaux

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70