Alors que le débat public national sur les matières et déchets radioactifs n’en finit pas d’être repoussé, l’industrie nucléaire continue de générer des quantités de produits dangereux qui s’accumulent. La situation à la Hague, notamment dans la très vieillissante usine de retraitement de combustible usé d’Orano au bord de la saturation, est très préoccupante. Faute de solution pour gérer ces déchets radioactifs, il y a urgence à fermer le robinet nucléaire.

Nucléaire

La Hague : l’overdose nucléaire

Alors que le débat public national sur les matières et déchets radioactifs n’en finit pas d’être repoussé, l’industrie nucléaire continue de générer des quantités de produits dangereux qui s’accumulent. La situation à la Hague, notamment dans la très vieillissante usine de retraitement de combustible usé d’Orano au bord de la saturation, est très préoccupante. Faute de solution pour gérer ces déchets radioactifs, il y a urgence à fermer le robinet nucléaire.

La Hague, ses plages de sable fin, ses dunes, ses falaises, ses magnifiques paysages sauvages… Un véritable p’tit coin de paradis, titre d’un épisode de l’émission de France Inter « Affaires sensibles » consacré à un aspect hélas plus sombre de la région : le risque nucléaire. Avec la centrale nucléaire de Flamanville, l’usine de retraitement de combustible usé, le centre de stockage de déchets radioactifs de la Manche et des infrastructures militaires, la presqu’île du Cotentin est l’une des régions les plus nucléarisées de la planète. S’y entassent des quantités considérables de déchets radioactifs qui font peser une menace réelle sur l’environnement, la santé et la sécurité bien au-delà de la Normandie.

L’équivalent de plus de 110 cœurs de réacteurs

Dans les piscines d’entreposage de l’usine de retraitement de combustible usé d’Orano (ex-Areva) de la Hague, environ 10 000 tonnes de combustibles irradiés refroidissent dans l’attente d’être éventuellement retraités, soit l’équivalent de plus de 110 cœurs de réacteurs ! EDF continue d’envoyer à la Hague plus de combustible usé qu’Orano n’en retraite : y sont expédiées chaque année quelque 1 200 tonnes de combustible usé en provenance des réacteurs nucléaires des quatre coins de France. Orano s’engage, par contrat avec EDF, à n’en retraiter que 1 050 tonnes par an et peine à y parvenir, si bien que près de 150 tonnes de combustible irradié s’ajoutent chaque année aux quantités déjà présentes dans les piscines de la Hague.

Année après année, les combustibles irradiés s’accumulent jusqu’à l’occlusion. L’engorgement de ces piscines a de nouveau été rappelé fin 2018 dans un rapport du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) : la marge d’espace disponible est inférieur à 7,4 %. De même, les risques de saturation des piscines ont été pointés du doigt dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, sur la base d’analyses de l’Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN).

Des installations vieillissantes et inadaptées face aux risques

La situation est d’autant plus préoccupante que les installations de retraitement sont vieillissantes et connaissent des avaries. L’une des deux usines de retraitement du site d’Orano est à l’arrêt depuis mi-novembre 2018, en raison de l’usure importante d’une pièce. Le redémarrage de cette usine n’est pas prévu avant la fin du premier trimestre 2019. Et les déchets radioactifs – officiellement qualifiés de « matières valorisables » mais dont seule une partie sera retraitée – continuent d’arriver à la Hague…

De plus, l’entreposage de ces quelque 10 000 tonnes de combustibles irradiés se fait dans des conditions qui ne répondent pas aux défis sécuritaires actuels. Et pour cause : les quatre piscines de l’usine de la Hague en exploitation ont été conçues entre 1981 et 1988. Comme celles des centrales nucléaires, les piscines de la Hague sont particulièrement mal protégées en cas d’attaques extérieures. Elles ne sont toujours pas bunkerisées, alors qu’elles devraient pourtant « faire l’objet d’une conception particulièrement robuste, avec des marges suffisantes pour faire face aux risques envisageables », selon les recommandations de l’IRSN pour ce type d’installations dans son rapport sur l’entreposage du combustible usé.

Projection sur un bâtiment de l'usine de retraitement de combustible nucléaire usé de la Hague, dans lequel était entreposé du MOX.

Du plutonium aux déchets ultimes, retraiter n’est pas recycler

Cette accumulation continue de substances radioactives, qu’elles soient considérées comme des « déchets » ou des « matières », pose la question de la pertinence du retraitement du combustible usé. La France a fait le choix de développer une filière de « retraitement », avec pour objectif initial d’extraire du plutonium pour des raisons militaires. Le nom même des deux usines Orano de la Hague en exploitation rappelle cette vocation première : UP2 800 et UP3 A, pour « Usine d’extraction de Plutonium ». De fait, ces deux unités continuent de produire du plutonium ainsi que quantité de déchets dangereux. Le « recyclage » mis en avant par Orano et censé aujourd’hui être l’objectif premier de ces activités est en réalité extrêmement limité.

Selon un rapport du HCTISN, le taux de « recyclage » est dans les faits inférieur à 1 % des 1 200 tonnes de combustible usé produites chaque année. A l’issue des opérations de retraitement, trois types de produits sont générés et seul le premier est effectivement réutilisé, une seule fois :

  • 1 à 2 % de plutonium, dont une partie est destinée à être réutilisée. Elle part dans l’usine Melox d’Orano à Marcoule (Gard) pour produire, avec de l’uranium appauvri, un nouveau combustible, le MOX, utilisable dans 24 des 58 réacteurs français. Le reste est entreposé à la Hague : ce sont ainsi 61 tonnes de plutonium (dont 24 % en provenance de l’étranger) qui y demeurent, selon un rapport 2017 d’Orano… sachant que 4 à 8 kilos suffisent pour entrer dans la fabrication d’une bombe nucléaire. Une fois usé, le MOX, davantage radioactif, retourne à la Hague où il n’est pas retraité… et s’accumule donc à son tour.
  • 3 à 4 % de résidus hautement radioactifs : ces déchets ultimes sont vitrifiés et l’immense majorité est entreposée « temporairement » dans l’usine d’Orano, en attendant de trouver une moins mauvaise option (l’Andra voudrait les enfouir dans son centre Cigéo, à Bure, un projet très contesté). La capacité d’entreposage de colis de déchets vitrifiés est elle aussi proche de la saturation, malgré la mise en service d’une fosse supplémentaire en novembre 2017. « La saturation des entreposages actuels de colis CSD-V devrait être atteinte fin 2021 », alertait ainsi l’IRSN dans son rapport 2018 sur le cycle du combustible nucléaire en France.
  • 95 à 96 % d’uranium de retraitement : il est sorti de la Hague et est acheminé à Pierrelatte, sur le site de Tricastin, pour y être entreposé. Cet uranium de retraitement, davantage radioactif que l’uranium naturel, est théoriquement réutilisable. Dans les faits, il n’est pas réutilisé.

Hormis les déchets vitrifiés, ces quantités de produits radioactifs qui s’accumulent sur les 300 hectares de l’usine de la Hague ne sont officiellement pas considérées comme des déchets mais comme des « matières valorisables » ; un soi-disant trésor énergétique qui n’est en réalité pas valorisé, que ce soit pour des raisons financières, technologiques ou industrielles. Si on s’en tient à leur utilisation actuelle, elles constituent bien des déchets radioactifs qu’il faudra gérer comme tels.

Des rejets radioactifs sans équivalent

Cerise sur le gâteau nucléaire : le site Orano de la Hague ne se contente pas d’héberger quantité de plutonium, MOX usé et déchets ultimes : il émet également, lors des opérations de retraitement, des rejets gazeux et liquides dangereux pour la santé et l’environnement. Comme le souligne l’expert indépendant Mycle Schneider, « l’usine est autorisée à rejeter 20 000 fois plus de gaz rares radioactifs et plus de 500 fois la quantité de tritium liquide qu’un seul des réacteurs de Flamanville situés à 15 km de là ». Elle contribue pour « près de la moitié à l’impact radiologique de toutes les installations nucléaires civiles en Europe ». Plusieurs millions de litres de rejets liquides radioactifs sont allègrement dispersés aujourd’hui encore dans le Raz Blanchard, directement dans la mer. La Manche n’en mérite pas tant : elle a déjà accueilli bien malgré elle plusieurs milliers de tonnes de déchets radioactifs britanniques et belges jetés dans la fosse des Casquets dans les années 1950 et 1960, qui y gisent encore… Une pratique interdite en 1993, sous la pression de Greenpeace.

À plusieurs reprises, Greenpeace mais aussi d’autres organisations comme l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro) ont tiré la sonnette d’alarme et dénoncé la pollution sur les côtes et en mer. L’Acro fait ainsi régulièrement état de pollutions provenant de l’usine de la Hague, comme celle au plutonium révélée en 2017.

Prélèvements d'eau de mer à la sortie de l'usine de retraitement nucléaire de la Hague

Inquiétudes autour du centre de stockage de déchets

Autre source de préoccupation, non loin de l’usine Orano de la Hague : le centre de stockage de déchets de la Manche, géré par l’Andra. Sur près de 15 hectares, pas moins de 527 225 m3 de colis de déchets radioactifs de faible et moyenne activité, en majorité issus de l’industrie électronucléaire, ont été entassés de 1969 à 1994. Le site affiche complet depuis et n’accueille plus de colis : il est entré officiellement en phase de fermeture (avec une surveillance active) en 2003.

Plusieurs éléments suscitent des inquiétudes : l’étanchéité de la couverture (les fûts ayant été coulés dans du béton et enterrés sous une butte couverte en 1997 d’une membrane bitumineuse imperméable et de couches de sable et de terre), la contamination de la nappe phréatique et la présence de plutonium à vie longue parmi des déchets de faible et moyenne activité.

Des allers-retours à haut risque

A cette accumulation de produits et déchets radioactifs s’ajoute encore un risque important : celui lié au transport. Le retraitement nécessite de multiples trajets en direction et en provenance de la Hague, sur les routes et voies ferrées – les mêmes que celles empruntées par la population : combustible usé en provenance des réacteurs nucléaires envoyé vers la Hague, plutonium issu du retraitement réexpédié de la Hague à Marcoule, MOX usé réacheminé des centrales nucléaires à la Hague, rebuts de MOX revenant de Marcoule à la Hague…

Action contre un convoi transportant du MOX de l'usine de la Hague au port de Cherbourg

Stop au robinet à déchets nucléaires

Cette situation très critique à la Hague fait peser un risque majeur non seulement pour le Cotentin mais aussi pour l’ensemble du territoire français. Elle montre une fois de plus combien il est urgent de planifier la sortie du nucléaire pour mettre fin à la production continue de déchets radioactifs dont on ne sait que faire. Le « p’tit coin de paradis » de la Hague restera marqué par cette folie nucléaire mais il est encore temps d’agir pour éviter le pire.