Nucléaire iranien : 5 minutes pour comprendre les enjeux autour des stocks d’uranium enrichi

Le gendarme du nucléaire accuse l’Iran de posséder 18 fois plus d’uranium enrichi qu’autorisé. L’Iran, qui maintient la pression, dénonce un rapport ni « équilibré » ni « juste ».

L'uranium doit être enrichi à 90% afin de produire l'arme nucléaire. AFP PHOTO / HO / ATOMIC ENERGY ORGANIZATION OF IRAN
L'uranium doit être enrichi à 90% afin de produire l'arme nucléaire. AFP PHOTO / HO / ATOMIC ENERGY ORGANIZATION OF IRAN

    Un rapport qui met en cause l’Iran. Ce lundi, l’Agence internationale du nucléaire (AIEA), gendarme du nucléaire placé sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), a estimé que l’Iran possédait des stocks d’uranium enrichi 18 fois supérieurs aux limites imposées par l’accord de Vienne (JCPoA).

    Cet accord, signé en 2015 par l’Iran, les États-Unis et cinq autres États, dont la France, prévoit d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire.

    Que disent les documents ?

    D’après le rapport de l’AIEA, selon des estimations de mi-mai, Téhéran a porté ses réserves totales à 3809,3 kg, contre 3197,1 kg en février, loin du plafond de 202,8 kilos (ou 300 kilos équivalent UF6) auquel il s’était engagé.

    Dans le détail, l’Iran possède 43,1 kg d’uranium enrichi à 60 % contre 33,2 kg auparavant. À noter qu’un enrichissement de l’uranium à 90 % est nécessaire pour un usage militaire. « C’est une conséquence logique de la sortie des États-Unis de l’accord de Vienne. L’Iran s’affranchit des limites de l’accord », souligne Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Iran.

    Concernant l’uranium enchéri à 20 %, un taux qui permet de produire des isotopes médicaux, notamment utilisés dans le diagnostic de certains cancers, l’Iran a augmenté son stock de matière enrichie à 238,4 kg, contre 182,1 kg auparavant.

    Dans un autre document, l’AIEA affirme ne pas avoir reçu de « réponses satisfaisantes » concernant les sites de Marivan (à l’ouest du pays), de Varamin et de Turquzabad (tous deux situés dans la région de la capitale Téhéran). Des traces d’uranium enrichi ont été retrouvées au sein de ces trois sites, qui n’ont pas été déclarés à l’AIEA. « Ce qui est obligatoire », commente Thierry Coville. La France a, elle, fait part de sa « très grande préoccupation » à ce sujet.

    Quelle est la réaction de l’Iran ?

    De son côté, l’Iran a jugé que les affirmations de l’AIEA à propos de sites nucléaires non déclarés n’étaient « ni équilibré » ni « juste ». L’AIEA avance que l’Iran parle d’un « un sabotage par une tierce partie » de ces sites, sans que Téhéran n’ait « fourni de preuve ».

    « Nous craignons que la pression exercée par le régime sioniste (Israël, NDLR) et d’autres acteurs poussent l’agence à faire de ses rapports techniques des rapports politiques », a lancé Saïd Khatibzadeh. Des accusations « pas étonnantes » pour l’expert qui rappelle qu’Israël, ennemi juré de l’Iran était contre l’accord de 2015.

    De son côté, l’État hébreu accuse Téhéran d’avoir« volé des documents confidentiels de l’AIEA » et des les utiliser « pour échapper systématiquement aux inspections ».

    Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Saïd Khatibzadeh a déclaré que « le rapport de l’AIEA ne [reflétait] pas la réalité des négociations entre l’Iran » et le gendarme du nucléaire. Pour Thierry Coville, cela va encore plus loin : « c’est un rapport de force, tout est lié. Si jamais il y a un accord Téhéran-Washington, l’Iran et l’AIEA trouveront aussi un terrain d’entente ».

    Où en sont les négociations sur l’accord de Vienne ?

    Ces discussions entre l’Iran et l’AIEA se font en parallèle d’une reprise des débats autour de l’accord de Vienne. « Les négociations ont repris en novembre 2021, elles avançaient assez bien », avance le spécialiste de l’Iran. Un accord était même très proche en mars dernier, poussant le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a parlé d’une « affaire de jours ».

    Mais selon Thierry Coville, un seul point de blocage demeure : la question des pasdarans, organisation paramilitaire iranienne. Aujourd’hui, les pasdarans sont placés sur la liste américaine des organisations terroristes. « Les États-Unis refusent de les retirer de leur liste des organisations terroristes car ils attendent plus de garanties de l’Iran, notamment autour de sa politique régionale ».

    « Rappelons que l’Iran respectait parfaitement l’accord de Vienne avant la sortie unilatérale des États-Unis en mai 2018 », assure l’expert. À ce moment-là, Donald Trump, alors président des États-Unis, avait décidé de quitter un pacte qu’il jugeait « désastreux ». De son côté, l’actuel locataire de la Maison Blanche Joe Biden souhaite sauver l’accord de Vienne, remettant en cause la politique de son prédécesseur.

    L’Iran peut-il avoir la bombe nucléaire ?

    Pour produire la bombe nucléaire, il faut enrichir l’uranium à 90 %, un taux qui n’est, pour l’heure, pas atteint en Iran. « Téhéran est passé à un enrichissement à 60 % », explique Thierry Coville. « Mais ce qui inquiète, c’est que l’Iran maîtrise de mieux en mieux les technologies nécessaires à fabriquer l’arme nucléaire ».

    « C’est leur outil de négociation », renchérit le spécialiste. Téhéran utiliserait donc le programme nucléaire comme moyen de pression, afin, notamment, que les États-Unis lèvent leurs sanctions qui pèsent sur l’Iran. Des sanctions qui impactent fortement l’économie du pays présidé par l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi.