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Green Economie

La construction d'une planète vivable mérite une union sacrée des députés

EDITO- Les 577 députés ont fait leur rentrée. Tous se sont vu proposer une formation express (facultative) aux enjeux du climat par des experts scientifiques; seuls 154 d'entre eux en ont profité. Si l'éducation des nouveau députés est indispensable, et la sensibilisation louable, elles ne suffiront pas. Il est temps que les députés dépassent leurs divisions mortifères, une planète vivable vaut bien une union sacrée.

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Amandine Lepoutre, Présidente du think tank Thinkers & Doers

Amandine Lepoutre, Présidente du think tank Thinkers & Doers.

"Nul n’est censé ignorer la loi", lance l’ancien député Mathieu Orphelin lors des deux journées de sensibilisation à la crise climatique organisées sous un barnum à quelques pas du Palais-Bourbon, investi par les centaines de parlementaires tout juste élus ou réélus. La loi, c’est celle votée par le peuple français, mais aussi celle de la physique, en l’occurrence celle du dérèglement climatique et des conséquences de plus en plus violentes sur l’économie et la société. L’événement est organisé conjointement par Le Réveil écologique, un collectif d’étudiants et de jeunes diplômés, le Réseau Action Climat et l’association Sciences citoyennes. Pendant quelques dizaines de minutes, les représentants du peuple prêtent l’oreille aux meilleurs spécialistes, dont Christophe Cassou, co-auteur du rapport du Giec. Selon les décomptes, les plus assidus ont été les élus de gauche, les plus absents les députés du Rassemblement national, dont la chef de file, Marine Le Pen, assure que ses troupes sont déjà "très au fait" de la situation.

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Il ne s’agit pas de la première initiative visant à s’adresser directement aux élus ou aux gouvernants. Après tout, le Giec lui-même, né en 1988, est issu d’une volonté intergouvernementale de faire le point sur les questions climatiques. Dans "Perdre la Terre" (Seuil, 2019), le journaliste Nathaniel Rich montrait comment, à partir de 1979, un consensus suffisant sur les connaissances existait déjà, incarné par le rapport Charney remis à l’Académie américaine des sciences, puis par les articles retentissants de Jean Jouzel en 1987, sur la base de l’examen des glaces de l’Antarctique, ou encore par la Convention climat de 1992. Mais le néo-libéralisme triomphant des années 1980-1990 a emporté toute velléité de changement. En somme, depuis près de cinquante ans, il n’a pas manqué aux élus de tous bords de matière à réflexion. Le Giec lui-même a accumulé six rapports, tous plus alarmants et convergents les uns que les autres.

Miser sur la sensibilisation ne suffira pas

En mai dernier, une tribune signée par dix-sept personnalités appelait à proposer une formation de 20 heures "aux enjeux écologiques et énergétiques" à tous les membres du gouvernement, en plus du Président de la République. Cet appel a été relayé par une pétition de plus de 70 000 personnes. Signe des temps, même la régie publicitaire de la RATP Mediatransports a offert en mai au collectif Le Réveil écologique un affichage dans plus de 100 stations du métro parisien.  Les passagers, qui ont le privilège de respirer un air encore plus pollué qu’à l’extérieur, peuvent y trouver un QR code et télécharger des rapports synthétiques du dernier rapport du Giec. Nous nageons dans la vérité climatique, au risque évidemment de susciter le déni, par esprit d’opposition.

Il est tout à fait louable de miser sur l’éducation, la sensibilisation et l’information, comme le font par exemple les animateurs de la Fresque du Climat, ou tous ceux qui en ce moment popularisent les quatre scénarios de décarbonation de l’économie imaginés par l’Ademe. L’expert Jean-Marc Jancovici, dans nombre de ses livres, rêve d’une écoute maximale des élites politiques et économiques, tous portables éteints. Cela est nécessaire, sans être suffisant. En démocratie, on ne peut éteindre entièrement les voix discordantes. Même soumis à des centaines d’heures de formation sur le climat, les représentants des secteurs des transports, de l’industrie, de l’agriculture, du bâtiment, pour ne citer que ceux-là, pourraient chacun réclamer d’autres centaines d’heures de formation à leurs enjeux, à leurs réalités et contraintes. Le découplage entre PIB et émissions carbone reste une croyance économique, et la "transition" à opérer ressemble chaque jour bien davantage à une révolution brutale de toutes nos façons de vivre, de produire et de consommer, tant les retards s’accumulent.

En ces temps de fragmentation politique et de nécessaire dépassement des certitudes, il est temps non seulement que les députés interpellés sortent par le haut de leurs divisions mortifères, mais surtout qu’un effort collectif soit demandé simultanément à tous les secteurs et tous les citoyens, à due proportion de leurs émissions de gaz à effet de serre: taxe carbone, impôts sur les catégories sociales les plus émettrices, etc. Rien d’anti-social là-dedans: contrairement à ce que l’on pourrait penser, les plus pauvres sont déjà, malgré eux, vertueux climatiquement. C’est ce que le sociologue Bruno Latour appelait un nécessaire "moment churchillien": du sang et des larmes, certes, mais tous ensemble, à chacun selon sa responsabilité, avec à terme l’assurance d’un monde plus juste et d’une planète vivable. Un tel horizon vaut bien une union sacrée, Mesdames et Messieurs les députés ?

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