La question a été tranchée par le rapport spécial que le Giec a publié en 2019. Pour espérer stabiliser le réchauffement à 1,5 °C, nous devrons extraire du CO2 de l’atmosphère. Plusieurs technologies se disputent les faveurs des industriels. Seront-elles suffisantes ?

Au vu des 2 000 milliards de tonnes de gaz carbonique que nous avons injecté dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle, nous ne parviendrons pas à stabiliser le réchauffement à 1,5 °C en réduisant, seulement, nos émissions. Atteindre le but le plus ambitieux de l’accord de Paris impose d’extraire le Ges le plus concentré dans l’air que nous respirons : le dioxyde de carbone. En jargon onusien, on appelle ça les « émissions négatives ».

Les compagnies pétrolières séparent, depuis des décennies, les fractions qui s’échappent des puits qu’ils exploitent : huile, gaz naturel, condensats et gaz indésirables. Rien de bien sorcier. Depuis 1996, le pétrolier norvégien Equinor (ex-Statoil) dissocie le gaz carbonique du gaz naturel produit par Sleipner B. Une usine de séparation des gaz a été installée sur la plateforme. Le CO2 est réinjectée dans un aquifère salin, situé à 800 mètres sous le plancher sous-marin de la mer du Nord.

Eviter la taxe carbone

La compagnie publique évite ainsi l’émission d’un million de tonnes de CO2 par an. Ce qui la dispense de régler une taxe carbone de 543 couronnes/tonne (54 €). Faute de soutien public et d’incitation économique, Equinor n’a renouvelé l’opération qu’une seule fois, sur le site gazier de Snovhit en mer de Barents. Ailleurs, Equinor rejette dans l’air le coproduit carboné.

Et c’est tout le problème du captage-stockage géologique de carbone (CSC). La technologie est chère. Même si ses promoteurs estiment qu’aujourd’hui on peut capter et stocker une tonne de gaz carbonique pour une cinquantaine d’euros, le montant de l’addition reste trop élevé pour les industriels. A moins de valoriser le dioxyde de carbone capté.

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Un recyclage peu efficace

C’est précisément ce que font des pétroliers américains et canadiens. Ils extraient le CO2 qui dégrade la qualité de leurs hydrocarbures avant de l’injecter dans d’autres puits pour en dynamiser, sous l’effet de la surpression, la production. Ils se débarrassent de leur déchet carbone pour accroître l’extraction d’énergies fossiles. Le climat en bénéficie-t-il vraiment ? L’industrie pétrolière US rappelle que les puits ayant recours à l’« enhanced oil recovery » (EOR) consomment de 300 à 600 kg de CO2 pour produire un baril de brut. Or, le bilan carbone d’un baril (production, transport et consommation) tourne autour de 500 kg de CO2, rappelle l’agence internationale de l’énergie (AIE).

Initialement, le CSC avait été conçu pour décarboner la production des centrales électriques ou des aciéries, grandes consommatrices de charbon. Un rapport spécial du Giec estimait, en 2005, que 8 000 grandes installations industrielles dans le monde pouvaient recourir à cette technique. De quoi potentiellement éviter l’émission de 13 milliards de tonnes de CO2 par an.

Pas de déchets sous nos pieds

Car, en plus d’être couteux, le CSC occupe de la place : jusqu’à 30 % de la surface de l’installation originale. Or, dans les zones industrielles, l’espace est souvent rare et cher. De plus, les populations refusent de voir du CO2 industriel, assimilé à un déchet, injecté sous leurs pieds. Il faut donc le transporter loin des zones habitées pour l’enfuir sous terre. Ce qui alourdit le montant de la facture.

Ces contraintes expliquent pourquoi le captage-stockage n’a pas encore trouvé son marché. Selon le CCS Institute, une quarantaine de millions de tonnes de gaz carbonique sont ainsi épargnées, chaque année, à l’atmosphère. Marginal ! Cela étant, la messe de requiem n’est pas dite.

En 2019, Chevron a mis en service son système de CSC sur son imposant gisement gazier de Gorgon (Australie). De quoi réduire le bilan carbone du géant américain de 4 Mt CO2 par an. Avec la baisse du coût du captage, la montée de la tarification des émissions de Ges (notamment en Europe), la volonté du Royaume-Uni de transformer ses gisements déplétés de la mer du Nord en puits de carbone, le CSC retrouve des couleurs. D’autant, comme le souligne Brad Page, patron du CCS Institute, qu’il s’agit d’une technologie idéale pour décarboner la production d’hydrogène à partir du méthane, la plus répandue dans le monde. Les gouvernements australien, japonais, américain, britannique et néerlandais étudient cette option.

Floraison de clusters

Dans ce nouveau paradigme, l’AIE estime que le captage-stockage pourrait contribuer à réduire de 9 % les émissions industrielles d’ici à 2050. Ce qui obligerait à injecter sous terre de 1,5 à 2 milliards de tonnes de CO2 par an. Déjà, des projets se multiplient. On en compte désormais une vingtaine, dont plusieurs clusters. Dans le cadre du projet européen Porthos, le port de Rotterdam prévoit de capter le carbone des plus grandes industries hébergées dans le plus important port commercial du monde pour aller l’injecter dans le sous-sol en mer du Nord. D’autres opérations de mutualisation comparables sont en cours de montage au Royaume-Uni (Net Zero Teeside), en Norvège (Aurores boréales), Amérique du nord, au Brésil (Petrobras Santos) ou en Chine (Xinjiang Jungghar).

Menace sur la sécurité alimentaire

Avec le vent en poupe, l’avenir du CSC semble prometteur. Ses partisans doivent toutefois compter avec d’autres types d’« émissions négatives ». L’utilisation de biomasse pour la production d’énergie avec captage de CO2 (BECCS, selon l’acronyme anglais) compte de nombreux soutiens dans les milieux académiques. L’idée est simple : planter des forêts (ou des champs de canne à sucre), dont on utilise le bois (ou la bagasse) pour produire de la chaleur ou de l’électricité. Le gaz carbonique émis par les chaudières est capté et injecté dans une structure géologique étanche.

Avantage théorique de la BECCS : elle utilise la photosynthèse naturelle pour capturer le CO2 de l’air et non des filtres chimiques ou de coûteuses membranes. Inconvénient : pour être efficace, cette technique oblige à planter beaucoup d’arbres. Les scénarios du Giec estiment que le couplage biomasse-CSC pourrait extraire jusqu’à 12 milliards de tonnes de gaz carbonique par an : le quart des émissions anthropiques !

Pour ce faire, rappelle une étude de l’Imperial College, il faudrait consacrer de 400 millions à 1,2 milliard d’hectares aux cultures « carbophages ». Soit 25 à 80 % de nos surfaces agricoles. De quoi s’interroger sur la pérennité de notre sécurité alimentaire et celle de la biodiversité. De plus, les projets restent très coûteux et ils ne sont pas sans poser quelques problèmes de gouvernance. Les agriculteurs des pays tropicaux accepteront-ils d’être dépossédés de l’usage de leurs terres arables pour permettre aux émetteurs des pays du nord de « compenser » leurs émissions ?

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Aspirateurs à CO2

La solution viendra-t-elle de Suisse ou du Canada ? Depuis une poignée d’années, deux start-up proposent un nouveau concept de décarbonation de l’air : le captage direct (DAC). Cette fois, il ne s’agit plus de capturer le CO2 d’effluents industriels mais celui de l’air ambiant, dont la concentration n’excède pourtant pas 0,4 %. Spin-off de l’école polytechnique de Zurich, Climeworks commence à déployer ses systèmes de DAC, en Suisse et en Islande. Les quelques centaines de tonnes de gaz carbonique captées chaque année peuvent être revendues à des serristes ou des industriels. Voire minéralisées. Quelques contrats, notamment avec une filiale de Coca-Cola, ont déjà été conclus, se félicite la firme zurichoise. Motus en revanche sur le bilan carbone de l’opération. Les filtres aux amines, véritables cœurs du réacteur de la DAC, doivent régulièrement être régénérés par un sérieux coup de chaleur, probablement très énergivore.

Fondée par le climatologue David Keith, Carbon Engineering propose le même type de service que sa concurrente helvétique. Avec des moyens en plus. Soutenue par Bill Gates, l’entreprise canadienne vient de signer un deal avec Oxy Low Carbon Ventures, filiale de la compagnie pétrolière Occidental. Les deux partenaires construisent au Texas une installation qui captera un million de tonnes de gaz carbonique par an. Le gaz sera utilisé par les pétroliers pour doper la productivité de leurs puits de pétrole de schiste. La compagnie aérienne United Airlines et le distributeur en ligne Shopify ont déjà signé avec Carbon Engineering pour alléger leur bilan carbone. Cela suffira-t-il ?

Selon les climatologues du Global Carbon Budget, notre budget carbone pour stabiliser le réchauffement à 1,5 °C est de 440 milliards de tonnes de CO2. Au rythme actuel d’émission, nous l’aurons épuisé dans une dizaine d’années. Les « émissions négatives » risquent de ne pas suffire.

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