Chef de projet Marchés et Flexibilité chez BHC ENERGY
Actu-Environnement : L'édition 2018 de l'appel d'offres effacement a mobilisé moins de la moitié des capacités attendues. Comment l'expliquez-vous ?
Ana Prutean (1) : Effectivement, il y a eu moins d'acteurs mais aussi moins de volumes retenus que l'année précédente. L'appel d'offres effacement a été institué en 2010 par la loi Nome, afin de rémunérer les effacements industriels jusqu'à la création du marché de capacité. Après l'entrée en vigueur du marché de capacité, l'appel d'offres a changé de contexte règlementaire en étant introduit dans le Code de l'Energie.
Les autorités administratives peuvent recourir à la procédure d'appel d'offres lorsque les capacités d'effacement ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Ce mécanisme représente une subvention aux effacements non matures pour une période de quatre ans pour les effacements industriels et six ans pour des effacements diffus. Les lauréats reçoivent donc une prime qui vient s'ajouter à la rémunération qu'ils obtiennent sur le marché de capacité.
Suite à ce changement de contexte règlementaire et des forts objectifs fixés par la PPE (5 MW en 2018) nous nous attendions à un assouplissement des règles, mais cela n'a pas été le cas. Quelques solutions de flexibilité ont effectivement été introduites : les lauréats ont la possibilité de ne pas s'effacer certains jours (2) . Mais des contraintes techniques ont persisté et ont été même amplifiées.
Résultat : pour l'édition 2018, l'objectif de volume était fixé à 2.200 MW, mais seulement 34 MW ont été retenus pour le lot 1 (les sites d'une puissance souscrite inférieure à 1 MW) et 699 MW pour le lot 2 (les sites de plus d'1 MW de puissance souscrite), dont 226 MW de Réserves Rapides. Cela fait donc 331MW d'effacement gris, dont 400 MW d'effacement vert, autrement dit sans recours à des groupes électrogènes. C'est très peu ! L'année dernière, le volume total retenu était proche d'1 GW.
Au total, pour cette année, 2.034 MW d'effacement ont été certifiés sur le marché de capacité. On est très loin des objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui cible 5 GW d'effacement en 2018.
AE : Les conditions de sélection devraient se durcir. Est-ce de mauvais augure pour le marché de l'effacement ?
AP : Effectivement, en 2019, le coefficient de malus sera plus fort pour les effacements gris (qui font appel à des groupes électrogènes). Ceux-ci seront totalement exclus du dispositif en 2020.
Mais l'objectif de la PPE est atteignable tout en ne valorisant que de l'effacement vert. Un rapport, publié en 2017 par l'ADEME, évalue le gisement d'effacement technico-économico-réalisable dans une fourchette entre 6,5 et 9,5 GW. Mais pour le mobiliser, il faut une vraie incitation financière de l'effacement. Dans le secteur de l'industrie, le rapport de l'Ademe évalue le coût d'une grande partie de ce gisement à 60.000 € par gigawatt et par an, alors qu'aujourd'hui la valorisation se situe autour de 30.000€.
De plus, les industriels sont intéressés par le long terme : ils ont besoin de visibilité étant donné les démarches qu'il y a à mettre en place pour pouvoir s'effacer, notamment d'un point de vue organisationnel. Dans le tertiaire, cette problématique est différente : la nécessité d'installer des nombreux boîtiers de contrôle à distance.
Aujourd'hui, tous les grands gisements accessibles ont été déployés. Il faut donc aller chercher le potentiel d'effacement mégawatt par mégawatt. Si le signal prix est faible, il ne permet pas de projections à long terme et lorsque des changements de règles fréquents s'y ajoutent, ce gisement sera difficilement mobilisable.
AE : Attendez-vous des améliorations pour les prochains appels d'offres ?
AP : L'appel d'offres 2019 est quelque peu le copié collé de celui de cette année. Nous n'en attendons donc pas grand-chose en terme de changements des règles. On espère en contrepartie au moins une augmentation du signal prix. En revanche, les opérateurs travaillent avec RTE pour améliorer le mécanisme à plus long terme. La bonne nouvelle est que RTE a mis en place, au début de l'été, des groupes de travail transversaux à tous les mécanismes d'effacement, ce qui n'était pas le cas jusque-là. Pourtant, un même site peut se positionner sur différents types d'effacement (réserve primaire, secondaire, rapide, complémentaire, etc.).
Nous espérons une simplification des règles et davantage de pragmatisme pour 2020. Il faut donner davantage de valeur à l'énergie effacée, via la prime variable, mais aussi comme réponse aux enjeux du réseau. On évoque souvent l'effacement pour des problématiques d'équilibre offre/demande. Cependant, il a également une valeur pour le réseau, notamment lorsque celui-ci est mal maillé comme en Bretagne ou en PACA. Ceci puisqu'en réalisant des effacements, on évite des investissements supplémentaires pour le renforcement du réseau de distribution d'électricité. Peut-être que, dans le futur, des prix différents selon les régions seront mis en place… Nous souhaiterions également que l'effacement soit inclus dans les fiches des certificats d'économie d'énergie (CEE).
RTE, dans son étude sur la valorisation socio-économique des réseaux intelligents, soulignait que la flexibilité de la demande était la solution la plus compétitive. Outre la valeur économique, l'effacement a aussi une valeur environnementale : lorsqu'un industriel s'efface, il évite d'allumer un moyen de production polluant.
AE : Quid de l'effet rebond ?
Tout est une question de process industriel. L'effet rebond diffère selon les secteurs d'activité (aciérie, papèterie, froid etc.). Il peut être nul, faible ou un peu plus important en fonction du secteur et du process industriel. Mais si on donne un signal prix fort sur le long terme, l'industriel pourra investir dans des machines intelligentes capables de faire de la modulation. Cela peut lui permettre d'être très flexible et de consommer l'électricité lorsqu'elle est bon marché tout en gagnant en compétitivité.