Analyse

L’usine de retraitement de La Hague est-elle à l’épreuve du pire ?

Après le 11 Septembre, l’ONG antinucléaire Wise avait étudié le risque d’une chute d’avion à La Hague. Dont le toit n’est qu’un simple bardage métallique…
par Jean-Christophe Féraud, (à La Hague)
publié le 27 mars 2017 à 19h36

Ce n'est pas un scénario à la Fukushima qui inquiète : La Hague est édifiée sur un cap à 180 mètres d'altitude, en zone non sismique. Il faudrait plutôt craindre le double cauchemar d'un Tchernobyl causé par un 11-Septembre. «Si un avion de ligne venait à s'écraser sur un site comme La Hague, on entrerait dans un événement incidentel aux conséquences totalement imprévisibles», reconnaît à demi-mots un ancien cadre de l'atome.

Car les piscines où refroidissent une centaine de cœurs de réacteurs ne sont pas totalement «bunkérisées» : leur toit est un simple bardage métallique. Pour l'ONG antinucléaire Wise, «le danger le plus grand» vient donc des installations de La Hague «qui concentrent un inventaire de matières radioactives qui dépasse largement celui de toutes les centrales nucléaires françaises réunies». Après le 11 Septembre, Mycle Schneider et Yves Marignac, experts de Wise-Paris, avaient rédigé un rapport dans lequel ils tentaient d'évaluer les conséquences de la chute d'un gros-porteur chargé en kérosène. Verdict : un tel événement «pourrait conduire à un relâchement de radioactivité dont l'impact équivaudrait à plusieurs dizaines de fois celui de l'accident de Tchernobyl». Précisément 67 fois le relâchement de césium 137 observé après l'accident de 1986. Soit potentiellement la plus grande catastrophe nucléaire civile de tous les temps.

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«Absence de rigueur». Missionné par l'exécutif, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire avait conclu à l'époque que Wise s'était trompé en prévoyant que 100 % du césium serait disséminé. Le relâchement radioactif ne dépasserait «probablement pas 10 %». Une manière d'admettre qu'une telle catastrophe équivaudrait à six Tchernobyl dans un bassin de population de 2 millions d'habitants situé à moins de 300 km de Paris et Londres. L'exploitant Cogema avait dénoncé à l'époque «l'absence de rigueur scientifique» de Wise, pointant le fait que La Hague n'est pas une centrale nucléaire et que le combustible usé est «moins vulnérable».

L'exploitant vantait également la «défense en profondeur» des ouvrages bétonnés de l'usine : outre le fait que le survol de La Hague est interdit, «il serait impossible à un avion de percuter verticalement une piscine», affirmait-il. Mais l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait reconnu qu'«aucune installation nucléaire n'a été conçue pour résister à la chute d'un avion de ligne». Depuis, c'est le statu quo. L'ASN n'exerce son contrôle que sur la sûreté en elle-même (elle a mené 59 inspections à La Hague en 2016). Interrogée par Libération, elle rappelle qu'elle «n'a pas compétence sur la sécurité des installations face à une attaque extérieure». La protection militaire du site est classée secret-défense et dépend du gouvernement.

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Missiles. Après le 11 Septembre, l'armée de l'air avait déployé des batteries de missiles Crotale anti-aériens, plus là aujourd'hui. Mais les navires de la marine nationale sont à Cherbourg, et les Rafale de la base bretonne de Landivisiau toujours prêts à décoller. Pour Marignac, «il est aberrant que les autorités n'aient pas exigé la bunkérisation du toit des piscines depuis 2001. L'urgence est à un entreposage vraiment robuste et pérenne des déchets les plus radioactifs. Il faut bunkériser pour se donner le temps de décider si la solution Cigéo de stockage géologique est la plus sûre».

Photos Adeline Keil

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