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EnquêteDéchets nucléaires

L’État a dépensé un million d’euros contre les antinucléaires de Bure

L’enquête pénale ouverte en juillet 2017 contre les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo dans la Meuse, accusés d’avoir tenté de mettre le feu à un hôtel-restaurant, a nécessité l’engagement de moyens financiers considérables de la part de la justice et de la gendarmerie, d’après une enquête conjointe de Mediapart et Reporterre.


Une cohorte d’expertises, de requêtes aux opérateurs de téléphonie, de gendarmes organisés en cellule pendant plusieurs années : alors que magistrats, avocats et greffiers ne cessent de dénoncer l’indigence de la justice française, l’enquête ouverte contre les militants antinucléaires de Bure semble bénéficier, elle, de moyens illimités.

Mediapart et Reporterre ont eu accès aux 15.000 pages du dossier d’instruction ouvert à l’été 2017 contre les opposants au centre d’enfouissement de déchets nucléaires, dans la Meuse. C’est l’un des plus gros équipements industriels en projet en France aujourd’hui et un chantier très sensible pour l’avenir de la filière nucléaire. Dix personnes y sont mises en examen, dont sept pour association de malfaiteurs, après deux départs de feu dans un hôtel-restaurant et l’organisation d’une manifestation non déclarée qui a tourné aux affrontements avec les forces de l’ordre.

Devant l’ampleur des mises sur écoute, des commissions d’experts et des gendarmes réquisitionnés dans ce dossier, nous avons décidé de calculer le coût supporté par l’État d’une telle investigation, toujours en cours en avril 2020.

Le résultat est colossal : d’après nos calculs, environ un million d’euros ont d’ores et déjà été dépensés par la justice et la gendarmerie. « Dans ce dossier, on est face à un problème de proportionnalité, résume Me Alexandre Faro, avocat d’une militante placée sous le statut de témoin assisté. Les faits ne sont pas d’une gravité énorme, quelques personnes qui ont fait une connerie et une manif non autorisée comme il y en a tous les jours… Mais en face, on a une instruction criminelle avec des moyens pour le moins inhabituels. J’y vois une volonté de criminaliser les mouvements politiques écologistes. »

Sur les douze clients présents à l’hôtel ce soir-là, seuls trois décident de porter plainte (dont deux sans se constituer partie civile après l’ouverture de l’information judiciaire) 

Rappel des faits : le 21 juin 2017, peu avant 7 heures du matin, plusieurs individus pénètrent à l’intérieur de l’hôtel-restaurant Le Bindeuil, à Bure, dans la Meuse. Le lieu est réputé accueillir des personnels de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Depuis 1998, la lutte secoue ce village lorrain où l’État a décidé d’installer un laboratoire d’enfouissement des déchets radioactifs en couche géologique profonde (appelé Cigéo). Le contexte politique est tendu : un groupe d’opposants s’est installé dans ce qu’ils ont baptisé « la maison de résistance à la poubelle nucléaire » au cœur du village ; d’autres opposants occupent depuis juin 2016, un bois communal convoité par l’Andra, le bois Lejuc.

Ce matin du 21 juin, entre « cinq et sept individus », selon les gendarmes, pénètrent à l’intérieur du Bindeuil, y brisent vitres, vaisselle et bouteilles. Ils provoquent deux départs de feu, rapidement circonscrits par le cuisinier présent sur place. Les gendarmes l’affirment dès l’enquête préliminaire : cette scène a semé une « peur panique ». Pourtant, sur les douze clients présents à l’hôtel ce soir-là, seuls trois décident de porter plainte (dont deux sans se constituer partie civile après l’ouverture de l’information judiciaire), malgré les nombreuses relances des enquêteurs. « Je n’ai subi aucun préjudice moral ou financier. Mon entreprise n’a subi également aucun préjudice », répond un client à un gendarme qui le relance pour savoir s’il souhaite porter plainte.

Le 28 juillet, une information judiciaire est ouverte contre X des chefs de « dégradation par moyens dangereux et association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement ». Outre les faits du Bindeuil, le juge d’instruction y ajoutera, par six réquisitoires supplétifs, des dégradations commises sur un bâtiment de l’Andra, « l’écothèque », en février 2017 et une manifestation non autorisée à Bure, le 15 août de cette même année au cours de laquelle un manifestant, Robin Pagès, a été grièvement blessé au pied.

Dès qu’il est saisi de l’affaire, le juge d’instruction Kévin Le Fur confie l’enquête à la section de recherches de la gendarmerie de Nancy. En réalité, il officialise ainsi « la cellule Bure » : un groupe de gendarmes enquêtant sur « les agissements délictueux commis par les opposants au projet (Cigéo) ». Selon nos estimations fondées sur le dossier d’instruction, jusqu’à l’été 2018, cette cellule compte cinq officiers de police judiciaire. Contacté par Reporterre et Mediapart, un gendarme qui a fait partie de cette cellule durant cette période, précise que six personnes y travaillaient à plein temps lorsqu’il y était affecté. Entre l’été 2018 et l’été 2019, toujours d’après nos estimations, quatre officiers de police judiciaire se consacrent encore essentiellement à cette enquête.

Ce noyau reçoit régulièrement des renforts, parfois durant plusieurs mois. Ainsi, en novembre 2018, alors que les perquisitions se multiplient, la cellule compte neuf gendarmes à temps plein. Lors des interventions sur le terrain, le nombre de gendarmes impliqués grimpe exponentiellement. Environ 150 militaires lors de la vague de perquisitions de juin 2018 concernant quatorze lieux, avec une centaine d’entre eux rien que pour la perquisition de la Maison de résistance, selon les militants. Les nombreuses personnes interpellées ce jour-là ont été interrogées par une trentaine de gendarmes, d’après leur estimation.

Pourvue d’une adresse mél. du ministère de l’Intérieur, la « cellule Bure » ou « cellule Bure 55 » est mentionnée de façon manuscrite au milieu des cachets officiels 

Lors de ces opérations de terrain, d’autres coûts que nous n’avons pas pu objectivement évaluer devraient être pris en compte, comme les transports en groupe des gendarmes et les rotations d’hélicoptères qui accompagnent les perquisitions. De la même manière, nous n’avons pas comptabilisé l’utilisation, dans cette instruction, du logiciel Anacrim, des valises-espions IMSI-catchers et du Centre technique d’assistance (lire notre premier article). Ces trois services propres à la gendarmerie ne sont pas l’objet d’échanges monétaires mais leur utilisation témoigne cependant de l’ampleur et de l’importance données à cette enquête.

Un IMSI-catcher (selon Wikipedia), parfois traduit en intercepteur d’IMSI, est un appareil de surveillance utilisé pour intercepter le trafic des communications mobiles, récupérer des informations à distance ou pister les mouvements des utilisateurs des terminaux.

Depuis septembre 2019, la cellule Bure n’apparaît plus dans les procès-verbaux du dossier d’instruction ; il nous a donc été impossible de calculer combien elle comptait encore de membres. Mais elle reste active, comme nous l’a confirmé le procureur de la République de Bar-Le-Duc, Olivier Glady : « Elle existe toujours avec un périmètre évidemment un peu différent, en fonction de l’intensité des investigations. » Le magistrat n’a pas souhaité préciser le nombre de gendarmes y travaillant encore ou y ayant travaillé.

Pourvue d’une adresse mél du ministère de l’Intérieur, la « cellule Bure » ou « cellule Bure 55 » est mentionnée de façon manuscrite au milieu des cachets officiels. Elle possède aussi son propre écusson, que nous avons pu nous procurer : l’insigne de la gendarmerie devant un bidon nucléaire, surmonté d’un masque à gaz, entouré par les oiseaux du drapeau de la Lorraine. Et autour de l’écusson : « Gendarmerie nationale - Cellule Bure - 55 ».

Cette cellule représente la part la plus importante du budget de l’enquête : jusque 772.000 euros, d’après l’estimation la plus haute (lire notre méthodologie en « Prolonger »). Le dossier nous apprend aussi que cette cellule existe depuis « le courant de l’année 2016 », donc bien avant les faits incriminés et l’ouverture de l’information judiciaire. Et elle dépasse sans doute le cadre local, puisqu’en septembre 2017, les gendarmes mentionnent dans leurs procès-verbaux, la création d’une « cellule de coordination nationale », avec laquelle les gendarmes meusiens échangent des informations, mise en place sous l’égide de la Direction générale de la gendarmerie (lire notre premier article). Contactée par Reporterre et Mediapart, cette dernière n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Au sein de cette cellule Bure, on trouve des gendarmes qui faisaient déjà du renseignement à Bar-le-Duc, avant l’incendie du Bindeuil, témoigne un gendarme qui l’a vue en action sans en faire partie. D’après ce témoignage, la création de cette cellule permettrait une meilleure communication interne et de solidifier une connaissance de long terme du terrain et de ses habitants.

La gendarmerie a conçu un écusson spécial pour les membres de la « Cellule Bure ».

Autre poste de salaire, inclus dans toute information judiciaire : celui du juge d’instruction, Kévin Le Fur. Ce jeune magistrat a été nommé à Bar-le-Duc (Meuse) en juillet 2016, quelques mois après sa sortie de l’École nationale de la magistrature. Sollicité, Kévin Le Fur n’a pas souhaité répondre à nos questions « en raison du secret de l’instruction ».

Sur la sellette avec la nouvelle loi Belloubet, qui prévoit la fermeture des petits cabinets d’instruction, Kévin Le Fur peut compter sur le soutien d’élus locaux pour défendre la présence d’un magistrat instructeur dans la zone du projet Cigéo : dans une lettre à la garde des Sceaux écrite en novembre 2019, la mairesse de Bar-le-Duc, Martine Joly (divers droite), insiste sur son rôle primordial dans un secteur où « tout laisse à penser que le dépôt de demande d’autorisation (de Cigéo) va entraîner des manifestations importantes ».

Depuis les premiers jours de l’enquête, la justice n’a pas lésiné sur les expertises. Le dossier en compte une soixantaine en tous genres : informatiques, génétiques, techniques, téléphoniques, recherches de produits explosifs et accélérants.

En octobre 2017, juge et procureur valident — selon les devis signés que nous avons pu consulter — une expertise de 31.000 euros pour analyser 27 ordinateurs et 25 téléphones saisis lors des perquisitions. Avril 2018 : 10.000 euros pour rechercher les empreintes génétiques dans des masques et pétards placés sous scellés. Août 2018, 20.000 euros pour extraire des données de matériel informatique. Octobre 2018 : 32.000 pour une nouvelle expertise informatique. Le coût total des 59 expertises que compte le dossier dépasse aujourd’hui les 180.000 euros.

« Un million d’euros, à la fois ça semble énorme, et en même temps, ce n’est rien en comparaison avec le coût de Cigéo » 

Les coûts pour la téléphonie sont moins significatifs, même si leur portée n’est pas moindre en matière de libertés publiques : depuis l’été 2017, justice et gendarmes ont réclamé vingt-neuf mises sur écoute et neuf géolocalisations, pour un total de 1.145 euros. Les réquisitions aux opérateurs de téléphonie sont réglementées par un arrêté du Code de procédure pénale. Elles sont précisément tarifées en fonction des actes demandés. Ces écoutes représentent surtout une charge de travail monumentale : d’après les procès-verbaux de synthèse que nous avons pu consulter et selon nos calculs, les gendarmes ont « intégralement » lu et écouté plus de 85.000 conversations et messages téléphoniques. Une somme de travail titanesque pour la cellule Bure. Enfin, les 765 demandes d’identification d’abonnés ont coûté 4.660 euros de frais auprès des opérateurs téléphoniques.

En additionnant le total de ces coûts, d’après nos estimations, l’instruction ouverte à l’été 2017 pour deux départs de feu, une manifestation non autorisée et la dégradation d’une clôture et d’un interphone aura déjà coûté à l’État entre 894.708 à 1.027.910 euros. Ces dépenses ne sont pas assurées par les mêmes budgets, puisqu’il revient à la gendarmerie de payer les soldes de ses militaires et au ministère de la Justice de s’acquitter des coûts de l’instruction. Mais, in fine, c’est bien la puissance publique, donc les citoyens français via les impôts, qui en assure le financement.

Pour Frédéric Le Louette, président de GendXXI, une association de défense des intérêts des gendarmes : « Un million d’euros, à la fois ça semble énorme, et en même temps, ce n’est rien en comparaison du coût de Cigéo [estimé à plus de 35 milliards d’euros par la Cour des comptes] et de l’enjeu très sensible du site pour l’avenir du nucléaire. »

« C’est la première fois que j’observe la mobilisation de tels moyens d’investigation dans le cadre d’une instruction portant sur des infractions de droit commun », observe pour sa part Me Matteo Bonaglia, l’un des avocats des mis en examen, pour qui « ce dossier illustre tout particulièrement le glissement qui s’observe en procédure pénale du régime d’exception vers le droit commun ».

Sollicité par Mediapart et Reporterre pour confirmer ce montant, le procureur de Bar-Le-Duc, Olivier Glady, n’a pas souhaité valider ce chiffre : « Par rapport au coût que vous me proposez, on a failli faire périr douze personnes qui dormaient à l’étage d’un hôtel auquel on a mis le feu. Je crois que s’il y avait eu douze victimes carbonisées, on ne se serait jamais posé la question. » Et de rappeler que les frais de justice sont illimités.

Non définis par le droit, les frais de justice en matière pénale (principalement les réquisitions prises par les juges instructeurs et les officiers de police judiciaire) sont intégralement pris en charge par l’État depuis 1993. Les députés tentent régulièrement d’en réduire le périmètre, sans grand succès. Ils étaient de 401 millions d’euros en 2011, dont un peu moins de 500.000 pour les expertises. Dans son dernier rapport sur cette question, en 2012, la Cour des comptes préconisait d’en « améliorer la connaissance et la maîtrise ».

Le juge d’instruction Kevin Le Fur et le procureur de la République de Bar-Le-Duc, Olivier Glady, en 2016.

Quelques garde-fous ont été posés, comme l’obligation de demander l’avis du parquet pour les expertises au-dessus de 460 euros. Dans le dossier Bure, le procureur Olivier Glady appose systématiquement sa signature accompagnée d’un « avis favorable ». Interrogé sur cette question, le représentant du parquet assume : « Il m’est arrivé d’être attentif à un certain nombre de prix demandés car je suis un peu responsable des deniers publics qui me sont dévolus, mais oui, les actes entrepris par le juge d’instruction ont été validés. »

Le juge d’instruction chargé du dossier Bure n’est donc pas le seul responsable de ces dépenses en apparence illimitées. Outre le ministère public, à qui il doit présenter ses devis, il rend aussi des comptes à la chambre de l’instruction, censée contrôler ses frais et le suivi de son dossier. Saisie à une douzaine de reprises, la cour d’appel de la chambre de l’instruction de Nancy a rejeté tous les appels formés par les mis en examen, qu’ils concernent la restitution de scellés ou les contrôles judiciaires. Ces derniers ont été validés par la chambre criminelle de la Cour de cassation. « La totalité de la chaîne judiciaire a validé cette instruction, regrette Me Matteo Bonaglia. Nous sommes totalement esseulés. » Conctactée par Reporterre et Mediapart, Martine Escolano, présidente de la chambre de l’instruction, n’a pas répondu à nos messages.

 Le mot « nucléaire » est quasiment absent du dossier d’instruction, comme si ce contexte politique n’avait aucune importance

Comment expliquer une telle débauche de moyens dans ce dossier ? Au centre de la réponse à cette question, se trouve la clef de voûte de l’enquête Bure, le délit d’association de malfaiteurs pour lequel sont poursuivis sept des mis en examen. Souvent utilisé dans les dossiers de terrorisme, mais aussi dans des affaires de violences présumées liées à du militantisme politique (de Tarnac et de la voiture brûlée du quai de Valmy, par exemple), ce délit permet d’enquêter sur un « groupement » sans qu’une infraction n’ait été commise. Seule compte « la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement », selon l’article 450-1 du Code pénal. Les peines encourues vont jusqu’à dix ans de prison et 150.000 euros d’amende. Tout l’enjeu de cette information judiciaire est donc d’établir la réalité ou non de ce groupement, mais aussi de cette préparation.

Selon Laurence Blisson, magistrate et ancienne secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, l’utilisation de « moyens massifs » est « assez propre à la logique de l’association de malfaiteurs » : « La notion de proportionnalité est dissoute par la nature même de cette infraction : tout est flou, il n’y a plus de limites. On ne se retourne plus vers le passé pour essayer de comprendre, mais vers l’avenir pour rechercher l’infraction qui vient. On se détache de la notion d’actes matériels précis pour chercher dans les relations, la nébuleuse. Le caractère exceptionnel des mesures d’investigation, avec des technologies très avancées et des mises sur écoute, découle de toutes les impasses de l’association de malfaiteurs. »

Le palais de justice de Bar-le-Duc.

Interrogé sur la question des moyens dépensés sur cette enquête, le procureur de la République Olivier Glady répond lui aussi par l’association de malfaiteurs : « Il faut prendre en considération que l’on parle d’un groupe, d’une organisation. Un homme qui assène un coup de poing à son épouse, vous avez des choses assez élémentaires. Ici, vous avez des infractions complexes. Si on veut disséquer cette association de malfaiteurs, inéluctablement il faut savoir qui pouvait en faire partie. »

Difficile pour un mouvement politique de survivre à cette « dissection », d’autant, comme l’explique Laurence Blisson, que « derrière la recherche de l’infraction, existe une idée de dissuasion qui dépasse le champ judiciaire et rejoint une logique d’ordre public » : « L’association de malfaiteurs flirte avec la notion de déstabilisation de l’État. Le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière avait théorisé cette logique de déstabilisation en parlant de “coup de pied dans la fourmilière”. À Bure, on retrouve cette logique à l’œuvre. Pourquoi ici ? Parce qu’on est sur cet intérêt essentiel de la nation qu’est le nucléaire. »

Le nucléaire : le mot est quasiment absent du dossier d’instruction, comme si ce contexte politique n’avait aucune importance. Le projet d’enfouissement de déchets nucléaires en couche profonde est pourtant pharaonique : les déchets radioactifs les plus dangereux des centrales françaises doivent y être enfouies à 500 mètres de profondeur pour des centaines de milliers d’années. Les opposants craignent des accidents aux effets irréversibles.

Sans autre solution pour les rebuts du nucléaire, l’État est prêt à déverser des dizaines de milliards d’euros dans le chantier à venir. Les moyens de l’Andra dépassent tous ceux dévolus à la recherche française. L’établissement dépense 1,2 million d’euros par an en opérations de communication à destination du grand public, selon un rapport de la Cour des comptes de 2019. La seule gestion de son « centre pédagogique », en face de l’hôtel du Bindeuil, lui coûte 500.000 euros chaque année. Face à cela, dépenser un million d’euros pour surveiller quelques dizaines d’activistes passe presque inaperçu. Une discrète note de bas de page de l’histoire de l’atome en France.

La suite de l’enquête commune de Mediapart et Reporterre est à lire ici : À Bure, la justice a bafoué les droits de la défense.


PROLONGER

Méthodologie de nos calculs

La plus grosse part de notre travail a été de calculer les salaires des gendarmes de la « cellule Bure ». Sur les 15.000 pages que compte à ce jour le dossier d’instruction, nous avons répertorié les noms de près de 70 gendarmes qui apparaissent à un moment ou à un autre de la procédure. Nous avons écarté les noms de ceux qui n’apparaissaient que quelques fois, pour nous consacrer sur ce qui apparaît de façon évidente comme un groupe de travail organisé.

Jusqu’à l’été 2018, cinq gendarmes apparaissent assez régulièrement sur les PV pour que l’on considère qu’ils travaillent à plein temps sur l’enquête, puis quatre entre l’été 2018 et juin 2019. N’ayant pas de traces d’eux dans le dossier depuis août 2019, nous avons comptabilisé leur salaire jusqu’à cette date, mais il y a tout lieu de penser que leur travail continue. À cette première catégorie de gendarmes travaillant de façon permanente à l’enquête, s’ajoute un autre groupe plus occasionnel. Ils sont huit à avoir travaillé ainsi dans la cellule Bure entre un et six mois.

À partir des grades de ces gendarmes, nous avons calculé leur paie brute. Ne connaissant pas leur indice ni leur expérience, nous avons fait deux évaluations : une basse, en considérant que tous les gendarmes de la cellule étaient des entrants dans le grade, une haute, pour laquelle ils seraient tous à l’indice sommital de leur grade. À cette fourchette de salaires, s’ajoutent les primes : l’indemnité pour charge militaire (ICM) et celle dédiée aux officiers de police judiciaire (OPJ). Faute d’informations suffisantes sur ces OPJ, nous n’avons pu prendre en compte les primes concernant la résidence et les enfants. Sont également exclues de ces calculs les indemnités d’entretien, de retouche et de « regalonnage ». Notre calcul est donc sans doute beaucoup plus bas que la réalité.

Enfin, nous avons appliqué à ces salaires bruts (hors primes), le taux de cotisation employeur payé par l’État pour les militaires, soit 126 %, comme nous l’a confirmé le service communication de la gendarmerie

Au vu du nombre de procès-verbaux par mois sur lesquels apparaissaient leurs noms et de mises sur écoute, nous avons considéré que les gendarmes étaient employés à plein temps sur l’enquête Bure. Ce n’est pas le cas du juge d’instruction Kévin Le Fur. Seul juge d’instruction au tribunal de Bar-le-Duc, il instruit évidemment d’autres affaires pénales. Par ailleurs, selon le tableau de répartition des services entre les magistrats du siège du tribunal de Bar-le-Duc pour l’année 2018, il exerçait, en plus de sa charge de juge d’instruction, celle de juge titulaire dans les audiences civiles collégiales et en chambre du conseil et de juge titulaire dans les audiences correctionnelles.Dans le cabinet d’instruction, ses dossiers restent peu nombreux. Un rapport récemment rendu dans le cadre de la loi Belloubet estimait « le volume d’activité du juge [d’instruction de Bar-le-Duc] en dessous de la moyenne nationale qui est de l’ordre d’une cinquantaine par an ». Nous avons donc compté un mi-temps pour son travail sur le dossier Bure.

À raison de 30 mois de salaire à 2.100 euros brut, correspondant au salaire premier échelon des magistrats de second grade de l’ordre judiciaire, auquel nous ajoutons les cotisations employeur (38 % auxquels s’ajoutent les 74 % du compte d’affectation spéciale pour les fonctionnaires et magistrats selon le service communication de la chancellerie), le total du salaire du juge représente 68.364 euros. Une somme plancher, puisque nous ne comptabilisons ni les primes ni le greffier qui officie à ses côtés.

Le travail de calcul sur les expertises a été le plus simple : la plupart sont accompagnées de devis. Pour ceux manquants, nous avons pu reproduire le prix grâce aux montants de ceux déjà indiqués.

Boîte noire

Cet article est le fruit de plusieurs mois d’enquête réalisée en étroite collaboration entre nos deux journaux. Certaines de nos sources, communes à nos deux publications, nous ont proposé de nous associer, afin de partager les informations.

Compte tenu de l’ampleur du travail à mener dans ce dossier tentaculaire et des liens entre Reporterre et Mediapart (réunis notamment au sein du Jiec [Journalistes d’investigation pour l’environnement et le climat]), nous avons décidé de coécrire et de cosigner les articles de cette enquête, qui apparaissent donc de façon identique sur nos deux sites.

Un journaliste de Reporterre, avant d’y travailler régulièrement, a pendant une période milité et habité à Bure. Il apparaît à plusieurs reprises dans le dossier d’instruction. Pour éviter toute confusion, il a été tenu à l’écart de cette enquête journalistique.

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