La question pose le choix de la frugalité ou de la technologie. Même si la réponse peut paraître évidente, elle est néanmoins contrastée, en fonction des besoins à satisfaire. La solution réside très certainement dans un équilibre savamment étudié entre les deux approches. Analyse.

A priori, nous serions tentés de répondre « sobriété » plutôt que « technologie » pour réduire notre empreinte carbone. Nous sommes bien d’accord : le meilleur kWh est celui qu’on ne consomme pas, et le meilleur carburant, celui qu’on ne brûle pas. Car si une voiture électrique émet moins de CO2, son empreinte carbone reste néanmoins importante. Surtout si l’on pense aux gros SUV ou autres véhicules de sport, tout électriques soient-ils.
Mais les low-tech ou la sobriété ne peuvent pas apporter une solution à toute question. Comment en effet se passer de technologie si l’on doit isoler sa maison, parcourir une distance de plusieurs centaines de kilomètres, lorsqu’il n’y a pas de transports en commun, se rendre sur un autre continent pour des raisons impératives, ou, tout simplement, si l’on veut rester connecté au reste du monde ?
« Nous devons aussi prendre garde à ne pas déporter le problème. En adoptant massivement les véhicules électriques, nous allons émettre moins de CO2  – en France, du moins, où l’on produit une électricité majoritairement décarbonée —, mais consommer plus de métaux, eux aussi fossiles. En dégradant au passage les écosystèmes de la République démocratique du Congo ou des hauts plateaux andins. Nous devons garder à l’esprit que toute production d’énergie a un prix environnemental », nous rappelle Pierre Toulhoat, ancien directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et membre de l’Académie des Technologies.

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Qu’est-ce que les low-tech ?

Les low-tech, c’est un ensemble de techniques et technologies visant à réduire la complexité des produits et des procédés pour répondre efficacement à nos besoins tout en minimisant la consommation de ressources et la production de polluants. Les low-tech sont également appelées basses technologies ou technologies « appropriées », par opposition à high-tech. L’objectif est de faire mieux avec moins.

Elles doivent répondre aux critères suivants :

  • satisfaire les besoins essentiels de l’homme (alimentation, accès à l’eau, fourniture d’énergie, garantir habitat et santé) ;
  • prendre en compte l’impact environnemental ;
  • imaginer le monde de demain sous le prisme écologique et technologique.

Mais les low-tech, c’est davantage que de la technologie. C’est de manière plus globale une démarche qui permet de combattre l’obsolescence programmée, réduire la part des déchets, favoriser les circuits-courts et la création d’emplois, et diminuer la consommation d’énergie.

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Une dimension environnementale

Pour certains services tels que la fourniture d’électricité, la haute-technologie est indispensable et contribue efficacement à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. La contribution des panneaux photovoltaïques et des éoliennes à diminuer la consommation de charbon est indéniable. Au cours du premier semestre de 2020, 21,2 GW de capacités de production au charbon ont été retirés du parc mondial. Le Portugal est le quatrième pays européen à avoir fermé sa dernière centrale au charbon (après la Belgique, l’Autriche, et la Suède).
Mais chaque éolienne a malgré tout une empreinte carbone. Même si leur dette CO2 est effacée en moins d’un an[1], leur impact, généré par la fabrication d’acier, de béton, de composants électroniques, et par le transport de nombreuses pièces et composants, est estimé à environ 1 500 tonnes de CO2 sur leur durée de vie.

Quelques exemples de low-tech : le vélo pour se rendre au travail, le barbecue solaire, le fairphone[2], la maison passive, la maison positive et la maison BBC[3], les panneaux photovoltaïques, le maraîcher du coin plutôt que la livraison à domicile du supermarché, le livre en papier plutôt que la liseuse électronique, etc.
Les low-tech s’inscrivent dans une démarche de « techno-discernement » ou technocritique, c’est-à-dire qu’il faut constamment en évaluer l’utilité, la durabilité, la pertinence au fil des ans.

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Tous les produits low-tech doivent être éco-responsables. La notion de bilan carbone est donc essentielle. C’est pourquoi une démarche low-tech consiste également à faire appel à des fournisseurs de services parfois high-tech, mais qui s’inscrivent dans une démarche responsable :

  • pour son site web, faire appel à un hébergeur écoresponsable, qui utilise les énergies renouvelables ou récupère la chaleur générée par ses serveurs ;
  • utiliser un moteur de recherche « écologique ».
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Une école pour apprendre la low-tech

En France, il existe une école dédiée aux low-tech : la Low-tech Skol à Guincamp en Bretagne. Elle forme des Référent·e·s en Economie Circulaire et Low-Tech pour « accompagner les acteurs économiques dans la prise en compte de leur responsabilité sociétale et contribution au développement durable ».

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Tout est question de service

Le choix se résume souvent à se satisfaire d’un niveau de service moindre, ou à opter pour un service égal, mais via une technologie plus respectueuse de l’environnement. Le mot « sacrifice » est souvent brandi. Mais la réponse dépend en réalité du niveau de confort que l’on se fixe.
Si l’on est disposé à se priver ou à modifier une partie de son confort – encore faut-il savoir quelle part -, la sobriété aura bien plus d’impact bénéfique sur l’environnement que toute solution technologique.

Partir en vacances en TGV, manger moins de viande ou enfourcher son vélo pour se rendre au bureau, sont des habitudes infiniment moins impactantes pour l’environnement. Si par contre abaisser le niveau de service auquel nous sommes habitués n’est pas négociable, alors la technologie peut apporter une réponse efficace pour supprimer ou ne fut-ce que réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les exemples sont nombreux autour de nous : transports en commun, pompes à chaleur alimentées par de l’électricité verte, éoliennes, panneaux solaires, géothermie, etc.

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Votre confort n’est pas le mien

Le problème se complique davantage dès lors que l’on tente de définir la notion de confort. Celui de l’un n’est pas celui de l’autre : certains se sentent mieux dans leur corps depuis qu’ils se rendent au travail en vélo, ou à pied, ou encore depuis qu’ils ont supprimé la viande de leur menu.
Mieux encore : d’autres ont opté pour la simplicité volontaire, une façon de tourner le dos au confort de notre société. Un niveau de confort, pourtant, qu’aucune civilisation n’a jamais atteint dans l’histoire de l’Humanité, bien qu’il ne sera jamais équitablement réparti entre les populations.

Se rendre en TGV dans le Midi peut même procurer un niveau de confort supérieur à celui du voyage en voiture, dès lors que les embouteillages et les énervements qui y sont liés seront évités, de même que le stress sur la route, les files aux péages, les tracas du stationnement en ville, sans parler des risques d’accrochages et autres pannes mécaniques.

Retombées sociales et économiques

Jusqu’ici, nous n’avons pas évoqué les aspects économiques et sociaux. Pourtant chômage, bien-être social, confort financier, impacts psychiques et psychologiques, acceptabilité sociale des réformes environnementales sont des aspects essentiels au bonheur. Peut-on dès lors les dissocier totalement de la réflexion sur la préservation de l’environnement ?

C’est le délai parfois très long entre la cause (brûler nos réserves de carburants fossiles) et l’effet (le déclin des industries polluantes, voire une rupture de l’approvisionnement alimentaire) qui nous aveugle et nous empêche de prendre les bonnes décisions, telle que nous désinvestir des énergies fossiles.

A ce phénomène s’ajoute une dimension politique : la décroissance n’est pas vendeur ; aucun discours politique ne vantera les vertus de la sobriété. Aucun mandataire ne s’aventurera à encourager la décroissance, au risque de perdre son électorat. Ce serait non seulement se mettre à dos tout le monde industriel, mais également une grande majorité de la population qui veut continuer à vivre sans contrainte (majeure). Les manifestations liées aux restrictions dues au Covid en termes de déplacements en avion, de consommation, etc. sont assez éloquentes.

Capture et stockage de CO2

En marge du choix de la sobriété, il existe également la solution du captage et du stockage géologique du CO2 (appelé CSC). Au-delà de la question de la raréfaction des matières premières si l’on continue à consommer au rythme actuel, cette solution est-elle une réelle avancée ?
Le stockage géologique présente certes certains atouts, au stade actuel de la technologie. Mais « si les couches souterraines ou le forage ne sont pas parfaitement étanches, on peut assister à une remontée rapide et massive du gaz. Des nappes de CO2 pourraient alors stagner en surface et créer des conditions difficilement respirables », souligne Pierre Toulhoat.

 Par ailleurs, il faut purifier le CO2 avant de l’injecter. C’est d’ailleurs l’une des opérations qui fait grimper les coûts. Car l’oxygène résiduel va perturber l’équilibre chimique du milieu et déclencher des réactions indésirables telles que l’oxydation des composés sulfurés qui deviennent alors plus solubles. Le CO2 acidifie le milieu.

Les seules solutions envisageables sont celles qui recourent à un site de stockage à proximité immédiate de l’usine émettrice de CO2« Sans quoi, il faudrait le transporter, avec des camions-citernes ou dans des tuyaux », précise Pierre Toulhoat. Avec un bilan économique et écologique très douteux…

Pour être efficace, le stockage géologique doit se faire à grande échelle. Et là, il se heurtera inéluctablement à la question de l’acceptabilité sociale, et de l’injectibilité. Est-il possible d’injecter le gaz carbonique dans tel site souterrain sans devoir recourir à des technologies de fracturation hydraulique ou d’injection d’acide ? Les sites doivent donc être identifiés avec prudence, et les impacts potentiels modélisés avec minutie.

Pierre Toulhoat nous apporte finalement la réponse à notre question initiale : « Il ne faut pas voir les techniques de géoingénierie comme les solutions prioritaires à la crise climatique. Le danger, c’est de croire qu’elles pourraient alléger le poids de nos responsabilités et nous exonérer du caractère d’urgence des mesures à prendre, qu’elles repoussent sur d’autres — les experts de la géoingénierie, ndlr — la responsabilité de l’action. Le danger est que les techniques de géoingénierie participent à cette croyance inébranlable selon laquelle tout problème peut trouver une solution technique ».

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[1] Ce concept signifie que tout le CO2 émis sur toute la durée de vie de l’éolienne par sa fabrication, son assemblage, sa maintenance, son fonctionnement pendant 20 ans ainsi que son démantèlement, sont complètement compensés en 10 à 12 mois par le CO2 que l’éolienne a permis (à une centrale au gaz principalement) de ne pas émettre.

[2] Téléphone fabriqué à partir de minéraux non issus de zones de conflits dans le monde, avec notamment de l’or labellisé commerce équitable, et composé d’éléments modulaires, c’est-à-dire remplaçables.

[3] Bâtiment Basse Consommation, qui se fixe une limite de consommation énergétique à ne pas dépasser.