Le projet de réacteur à fusion Iter doit réparer des composants clés du tokamak, au prix d’importants retards

Le projet de fusion nucléaire Iter, en construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône), a identifié des problèmes de corrosion sous contrainte et de non-conformités dimensionnelles sur des composants clés de son tokamak, le cœur du réacteur. Le projet international doit revenir sur ses pas pour réparer ces défauts, et annonce des retards «non négligeables»

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Le projet de réacteur à fusion Iter doit réparer des composants clés du tokamak, au prix d’importants retards
Parmi les défauts identifiés : des phénomènes de corrosion sur les tubulures de refroidissement qui sont soudés à la surface des boucliers thermiques de la chambre à vide.

Le monde du nucléaire le sait bien : dans les grands projets, difficile de faire un sans faute du premier coup. Les difficultés dévoilées par l'organisation Iter – qui coordonne la construction d'un réacteur à Cadarache (Bouches-du-Rhône) pour démontrer la faisabilité scientifique et technologique de la production contrôlée d’énergie via la fusion nucléaire – via un article en ligne publié le 21 novembre, en sont un nouvel exemple.

Selon l’institution, deux défauts de fabrication et d’assemblage sur des composants clés du tokamak, le bouclier thermique et les segments de chambre à vide, imposent de mener d’importants travaux de réparation. Selon le nouveau directeur d’Iter, Pietro Barabaschi, les conséquences sur les délais et les coûts du projet seront «non négligeables». Le réacteur, dont la première fusion était initialement prévue pour 2016 avant d’être repoussée à 2025, doit maintenant revoir sa feuille de route.

Une feuille de route à réévaluer totalement

C’est juste après la 31e session du Conseil Iter (l’instance dirigeante de l’organisation, dans laquelle siègent les sept membres d’Iter que sont la Chine, l'Union européenne, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis), qui s’est tenue les 16 et 17 novembre 2022, que l’organisation donne ces détails. Lors de cette session, Pietro Barabaschi (qui a pris les rênes d’Iter en septembre à la suite du décès de son prédécesseur, le français Bernard Bigot, en mai dernier) a présenté l’état d’avancement du projet. Un bilan très attendu à la suite des retards engendrés par la pandémie de Covid-19 et la mise au jour de différents obstacles par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en début d’année.

Dans son communiqué paru le 17 novembre, le Conseil Iter a reconnu «la nécessité de répondre aux préoccupations liées aux composants “inédits” (first-of-a-kind)», en mentionnant des besoins «d’importantes réparations». Iter liste des problèmes sur deux composants clés du tokamak (le cœur du réacteur, qui abrite et confine le plasma en fusion) : le bouclier thermique et la chambre à vide. Les réparer imposera de ressortir et de désassembler le premier module du tokamak, descendu dans la chambre du réacteur en début d’année. Une opération longue et coûteuse, dont le directeur général d’Iter doit évaluer l’impact exact, avant de proposer une nouvelle feuille de route. Cette nouvelle estimation, qui devrait se solder par des années de retard, n’est pas attendue avant fin 2023.

Desassembler le premier module

Dans le détail, deux problèmes différents sont mentionnés. Premièrement, Iter pointe des risques de corrosion sous contrainte des tuyaux de refroidissement qui enserrent les boucliers thermiques de la chambre à vide. Ces fines plaques recouvertes d’argent protègent les bobines électromagnétiques (situées à l’extérieur de la chambre à vide et refroidies à -269°C) de la chaleur émise par la réaction de fusion, et sont elles-mêmes refroidies par un complexe labyrinthe de tubulures. C’est à ce niveau là qu’Iter a détecté des fuites, en raison d’un problème de corrosion sous contrainte due à la manipulation des tuyaux lors de l’assemblage ainsi qu’à la présence de résidus chimiques ayant accéléré leur corrosion à proximité des soudures. Iter précise, photos à l’appui, avoir détecté des fissures allant jusqu’à 2,2 millimètres de profondeur. Mais ne sait pas si tous les tuyaux sont affectés.

«Le risque est trop important, et les conséquences d’une fuite sur un panneau de bouclier thermique durant les opérations sont trop sinistres. Nous devons partir du principe que le problème [de corrosion des tuyaux de refroidissement] est généralisé», justifie Pietro Barabaschi pour expliquer la décision de ressortir et de désassembler le premier segment. Coincés entre les bobines et les boucliers thermiques eux-mêmes, les tuyaux de refroidissement sont très peu accessibles et ne peuvent être réparés en l'état, affirme l'organisation Iter, qui ne sait pas encore si les réparations auront lieu à Cadarache, ou s’il faudra produire de nouvelles pièces dans une usine externe.

Non-conformités dimensionnelles

Ce problème de corrosion s’ajoute à un deuxième obstacle : les segments eux-mêmes présentent des écarts dimensionnels significatifs par rapport aux plans. Des non-conformités dimensionnelles issues du soudage de ces dispositifs, faits en Corée du Sud, et déjà pointées par l’ASN, qui mettait en doute la capacité d’Iter à souder les segments ensemble de manière automatisée.

Mais alors qu’en début d’année, l’ancien directeur général, Bernard Bigot, affirmait à l’Usine Nouvelle qu’une solution d’assemblage in situ avait été trouvée, Iter a désormais changé son fusil d’épaule. «La question du bouclier thermique a changé notre perspective, explique Pietro Barabaschi. Comme nous devons désassembler le module pour réparer la tubulure du bouclier thermique, la question de réparer ou non le secteur de chambre à vide dans le puits d’assemblage n’a plus de pertinence. Il n’y a pas d’autre solution que de l’extraire».

Alors que l’assemblage du premier module avait demandé 36 mois, et qu’Iter n’a pas les outils pour s’occuper de plus de deux modules en parallèle à Cadarache, cette nouvelle est un coup dur pour le projet. Si Iter doit encore évaluer concrètement les impacts de ces déboires en termes de coûts et d’agenda, leurs conséquences ne seront «pas négligeables», se borne pour l’instant à reconnaître Pietro Barabaschi. Qui rappelle que le rôle d’Iter, en tant que projet scientifique, est aussi d’identifier ce genre d’obstacles.

«C’est un problème industriel d’une relative banalité lorsqu'on sait qu’un module d’Iter est plus gros qu’un A380, tempère auprès de L’Usine Nouvelle Robert Arnoux, le responsable communication d’Iter. Je ne connais pas un grand programme scientifique international de ce type qui reste dans le calendrier et les coûts. Tous, comme James Webb ou Artemis, sont confrontés à des problèmes de fabrication». Une fois finalisée, la chambre à vide d’Iter doit être composée de 9 modules de 1300 tonnes chacun, soudés entre eux pour former une enceinte de 1400 mètres cube.

Le 17 novembre, les membres du Conseil Iter ont réaffirmé leur «totale adhésion à la mission d’Iter». Mais ce retard a de quoi éclipser les autres progrès du projet et notamment l’envoi récent par la Russie d’une bobine de champ poloïdal malgré les tensions diplomatiques. Alors que de nombreux acteurs privés, motivés par l’énergie abondante et décarbonée que promet la fusion, se pressent dans le secteur, ce dernier n’a pas encore fait la preuve qu'il arrivera à temps face à l’urgence climatique.

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