Sur sa ferme d’Hillion (Côtes-d’Armor), Dominique Madec élève 55 vaches laitières sur 44 hectares, une taille plutôt modeste pour une exploitation dont le lait, bio, est collecté par une centrale et vendu en circuit long. « Plutôt que de faire du volume, notre revenu est tiré par les marges, explique l’agriculteur de 44 ans. On élève nos vaches en grande partie à l’herbe, on cultive un peu de maïs et de céréales qu’on autoconsomme. Cette autonomie, cette sobriété, c’est la base de notre système. » « Sobriété ». En plein cœur de la Bretagne, terre d’élevage intensif, ce terme reste encore marginal. Dominique Madec est pourtant convaincu que le nombre d’animaux élevés en France n’est pas soutenable. Installé au fond de la baie de Saint-Brieuc, il est aux premières loges du phénomène des algues vertes. « La pression de l’élevage sur les écosystèmes est très visible à Hillion », souligne-t-il.
La sobriété appliquée à l’alimentation comporte deux facettes : produire et se nourrir. Pourtant, le terme est rarement accolé à celui d’alimentation, et peut même lui paraître antinomique. « En France, les valeurs au cœur de nos comportements alimentaires, ce sont le goût et la convivialité, qui sont deux concepts qui ne vont pas de pair de façon très évidente avec la sobriété », relève Mathias Ginet, haut fonctionnaire et auteur d’un rapport sur la souveraineté alimentaire pour Terra Nova. Certains pourraient même croire que celle-ci renvoie à une notion de calories ou de régime.
Or, selon Christian Couturier, directeur général de l’association Solagro, qui fait de la prospective et de l’accompagnement à la transition agricole, « la sobriété, ce n’est pas la restriction, c’est une façon de vivre économe. Se restreindre, c’est se priver de biens et services nécessaires, alors que là, il s’agit de choisir des biens et services utiles et plaisants ». En outre, poursuit M. Couturier, la sobriété n’est pas qu’un simple enjeu de comportements individuels. « Ce sont des choix collectifs de politiques publiques qui doivent se traduire par des changements de comportement des consommateurs », insiste-t-il.
Objectifs partagés
Néanmoins, au terme d’« alimentation sobre », les travaux de recherche préfèrent celui d’« alimentation durable ». « La durabilité est un concept qui englobe différentes dimensions – environnementales, climatiques, sociales, sanitaires –, mais qui est très compliqué à définir, note Lucile Rogissart, cheffe de projet agriculture et alimentation à l’Institute for Climate Economics (I4CE). On est focalisés sur le climat, mais quand on parle agriculture et alimentation, les objectifs ne peuvent pas être juste de limiter les gaz à effet de serre. » Avec un prisme uniquement climatique, le risque serait de favoriser des modes de production très intensifs et efficaces sur le plan des émissions carbone, comme les élevages de poulets à grande échelle en bâtiments fermés, alors que ces systèmes peuvent être polluants, nuire à la biodiversité et au bien-être animal.
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