Petits réacteurs nucléaires : Nuward accélère la cadence tandis que la compétition s'intensifie… y compris en France

EDF espère mettre en service son premier petit réacteur nucléaire Nuward en 2035. Le chemin est encore long et coûteux avant d’obtenir le feu vert du gendarme du nucléaire, tandis que la compétition s’intensifie en Chine et aux Etats-Unis. Outre le remplacement des centrales au charbon dans le monde, l’électricien vise la décarbonation des procédés industriels, y compris en France. Un crédo que visent aussi plusieurs startups.
Juliette Raynal
Le réacteur Nuward n'aura qu'une puissance de 170 mégawatts (MW) de puissance, soit un neuvième de celle d'un EPR.
Le réacteur Nuward n'aura qu'une puissance de 170 mégawatts (MW) de puissance, soit un neuvième de celle d'un EPR. (Crédits : EDF)

Changement de rythme pour Nuward, le projet phare de petit réacteur nucléaire tricolore porté par EDF, Naval Group, TechnicAtome et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Les quelque 350 personnes mobilisées sur ce programme nucléaire s'approchent d'une étape charnière : « Le basculement vers le basic design est prévu pour fin mars, début avril », indique Renaud Crassous, directeur de projet SMR (pour Small modular reactors) chez EDF.

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« L'étape précédente, la phase d'avant-projet sommaire, consistait à affirmer les options d'architecture. Le basic design, lui, vise à dessiner beaucoup plus précisément la centrale. Nous entrons dans la conception industrielle. Il s'agit, par exemple, de décrire très précisément les équipements, le système de refroidissement, les pompes, etc. et la manière dont ils permettent d'atteindre nos objectifs de production et de sûreté. Nous entrons aussi dans un dialogue beaucoup plus riche avec les fabricants », explique-t-il.

Le financement de cette étape décisive s'appuiera sur les 500 millions d'euros fléchés dans le cadre du plan d'investissement France 2030.

Comme tous les projets de SMR, la philosophie de conception de Nuward s'inscrit en rupture avec ce qui se faisait habituellement dans le nucléaire, où le gain de puissance était constamment recherché pour augmenter la rentabilité. Basé sur une technologie à eau pressurisée (comme les actuels réacteurs français et les futurs EPR), le réacteur Nuward ne fera ainsi que 170 mégawatts (MW) de puissance, soit environ un neuvième de celle d'un EPR. Les réacteurs seront systématiquement associés par paire dans une centrale très compacte de 340 MW. Ce qui correspond peu ou prou à la puissance des centrales électriques à gaz, fioul et charbon, très répandues dans le monde et très émettrices de CO2, qu'elles visent à remplacer.

Outre sa petite taille, le réacteur Nuward se caractérise aussi par un design simplifié permettant de le fabriquer en usine par modules, qui pourront ensuite être assemblés directement sur site, comme des « Légo ». Cette approche doit permettre de diminuer sensiblement les délais de construction par rapport aux réacteurs nucléaires classiques.

Les Chinois et les Américains dans les starting-blocks

Mais l'agenda pour parvenir à cette ultime étape est particulièrement serré. Le premier béton est attendu pour 2030 afin d'avoir une première tête de série opérationnelle cinq ans plus tard. Contrairement à d'autres projets de SMR, Nuward ne passera donc pas par la case prototype. Pour de nombreux observateurs, y compris François Jacq, l'administrateur général du CEA qui s'exprimait devant les députés le 15 décembre dernier, cette feuille de route est ambitieuse.

Mais l'enjeu de calendrier est de taille au regard de l'intense compétition internationale dans ce domaine. Plus de 70 projets sont actuellement en développement à travers le monde. Fin 2021, la Chine est parvenue à connecter au réseau le démonstrateur d'une mini-centrale de 210 MW, composée de deux réacteurs de quatrième génération. Une première mondiale. De son côté, l'américain Nuscale a aussi une longueur d'avance sur le projet tricolore. Le 21 février dernier, le design de son réacteur de 50 mégawatts a été approuvé formellement par le gendarme nucléaire américain tandis que l'entreprise mène déjà des discussions avec la Pologne et la Roumanie.

De son côté, EDF prévoit de soumettre son dossier d'option de sûreté avant l'été. Il faut ensuite compter entre 12 à 18 mois d'instruction, puis encore plusieurs mois d'échanges pour ajuster le design aux remarques du gendarme du nucléaire. Renaud Crassous admet que le calendrier est « serré » à la fois pour le « licencing » (autorisation de l'autorité de sûreté) et le « permitting » (démarches réglementaires pour préparer le site).

L'octroi de licence, un parcours du combattant

Le dossier de sûreté épais de quelque 2 millions de pages présenté par Nuscale lui a coûté 500 millions de dollars et représente 2 millions d'heures de travail, selon les affirmations de la startup. « C'est un montant très élevé, et qui est beaucoup plus important que celui que nous imaginons pour Nuward. Ceci s'explique notamment par le fait que Nuscale s'est construite comme une structure complètement nouvelle. Ce qui n'est pas notre cas parce que nous nous appuyons sur des ingénieries fortes avec beaucoup de savoir-faire », fait valoir Renaud Crassous.

Il n'en reste pas moins que les investissements liés à ces étapes réglementaires peuvent constituer un véritable frein à la viabilité économique de ces mini centrales et donc à leur déploiement à grande échelle. « Si un projet de SMR doit absorber les mêmes coûts de licencing que ceux d'une centrale classique, alors il faut entrer dans une logique industrielle de série et en faire des dizaines d'unités », pointe Renaud Crassous. Pour surmonter cet écueil, l'idée est de faire en sorte que la licence obtenue dans un pays puisse être en partie réutilisable dans d'autres pays. C'est ce à quoi travaille notamment EDF dans le cadre d'une pré-évaluation de Nuward, menée conjointement par les autorités de sûreté nucléaire française, tchèque et finlandaise.

Outre cette grande contrainte réglementaire, plusieurs observateurs restent dubitatifs sur le modèle économique des SMR et la place que pourrait prendre la France dans cette compétition. « Je pense qu'il y aura seulement une ou deux usines de SMR dans le monde car la production doit être très importante pour obtenir un modèle économiquement viable », estime ainsi Hervé Machenaud, ancien haut cadre dirigeant d'EDF. « Les Chinois et les Américains ont déjà énormément d'avance sur nous. Est-ce que la France pourra être associée à ce processus industriel ? », s'interroge-t-il.

Des petits réacteurs sur les sites industriels

« Il faut prendre avec prudence les annonces de tout le monde. Tant qu'il n'y a pas une tête de série sortie de terre, rien n'est fait », rétorque Renaud Crassous. « Si nous tenons notre calendrier, nous aurons les bons atouts pour nous positionner dans cette compétition. Le marché des SMR, s'il se réalise, sera très large. On parle de plus de 3.000 tranches au charbon à remplacer dans les pays pronucléaires. Je suis convaincu qu'il faudra plusieurs développeurs en concurrence pour faire bouger la trajectoire des émissions de CO2 », ajoute-t-il.

Dans cette course internationale, Nuward avance doucement ses pions. Début janvier, EDF a signé un accord avec la société Respect Energy pour la réalisation d'études d'implantation de SMR en Pologne. En parallèle de ce marché à l'export, les équipes de Nuward nourrissent aussi des espoirs pour le marché domestique. Alors que ce petit réacteur avait été pensé, en priorité, pour l'international, cette philosophie a nettement évolué car il est désormais question d'implanter plusieurs petits réacteurs sur le territoire français, et notamment au cœur des plus gros sites industriels pour décarboner leurs procédés.

« Ces derniers mois, nous avons reçu de plus en plus de marques d'intérêt d'industriels, qui ont des besoins d'électricité et de chaleur décarbonées, pilotables et avec un coût très stable », confirme Renaud Crassous, alors que Nuward vise un prix du mégawattheure compris entre 50 et 100 euros. « En tant que développeur de technologie, ce serait très intéressant d'avoir la possibilité de faire une série de SMR en France pour avoir de la visibilité industrielle », ajoute-t-il. La possibilité de leur déploiement dans l'Hexagone ne sera toutefois tranchée que lors de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie, débattue l'automne prochain.

La question très sensible de la sécurité

Nuward n'est pas le seul acteur tricolore à cibler les industriels. La startup Jimmy prend, elle aussi, cette direction et planche sur un micro réacteur nucléaire à destination des poids lourds de la chimie, de l'agroalimentaire et de la papeterie. De même que la jeune pousse Naarea, qui entend déployer des microgénérateurs de la taille d'un container auprès d'industriels de la construction, de la mobilité lourde ou encore de l'industrie manufacturière, de l'agroalimentaire et du dessalement. Le startup Neext, qui s'est associée à l'américain Westinghouse, cible aussi le vaste marché de la décarbonation des industriels, tout comme les deux jeunes pousses issues du CEA Hexana et Stellaria.

Si ces petits réacteurs ont l'avantage significatif de pouvoir reposer sur des dispositifs de sûreté passive (Nuward doit, par exemple, être capable de se refroidir sans intervention humaine pendant plusieurs jours), la question de leur sécurité interroge.

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 Ce point, qui a trait aux actes malveillants, comme les intrusions criminelles ou terroristes ou encore les cyberattaques, est, en effet, beaucoup plus sensible. « La sécurité peut devenir un sujet plus lourd à traiter que celui de la sûreté [qui elle relève de la gestion des incidents, ndlr] », selon le président de l'ASN. « C'est un sujet qui est plus complexe pour un réacteur implanté dans une zone industrielle, voire près d'une agglomération, qu'un réacteur sur une gros site nucléaire qui est déjà sécurisé avec beaucoup de moyens, y compris des moyens d'interventions en cas d'intrusion », pointait-il dernièrement devant les députés.

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Commentaires 5
à écrit le 15/03/2023 à 13:47
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"et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA)" Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, depuis Mr Fillon 1er ministre. (nucléaire + photovoltaïque + piles à hydrogène + etc)

à écrit le 15/03/2023 à 11:54
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Les petits réacteurs existent en France pour la propulsion des sous-marins, de technologie connue et sous contrôle mais ça reste quand même du nucléaire, que viennent faire les startups et madame Irma pour ses bidules..

à écrit le 15/03/2023 à 11:42
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Les dômes de la centrale de Fessenheim pourraient-ils abriter ce nouveau réacteur ? On récupèrerait un bâtiment pas trop vieux, destiné à du nucléaire, sans avoir besoin d'en construire un nouveau.

le 15/03/2023 à 16:30
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Depuis 1985, EDF n'a toujours pas réussi à démanteler le réacteur de Brennilis (alors qu'il ne faisait que 70 MWe) en raison de la radioactivité présente dans la cuve et le tuyauterie qui reste trop importante pour les ouvriers. Désormais, EDF étudie...

le 15/03/2023 à 16:46
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Récupérer un vieux bâtiment pour y installer un réacteur neuf, c'est exactement le projet envisagé pour restaurer de vielles centrales à charbon. Le circuit des turbines à vapeur serait conservé mais la source d'énergie serait remplacée par un réacte...

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