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TOUT COMPRENDRE - EPR de Flamanville: l'interminable fiasco industriel du nucléaire français

EDF a annoncé ce mercredi des retards et surcoûts supplémentaires sur le chantier de l'EPR de Flamanville. Sa mise en service n'est finalement pas attendue avant 2023, soit un retard de onze ans par rapport aux estimations réalisées au début du projet.

Le fleuron du nucléaire français est à la peine. Le groupe EDF a annoncé ce mercredi des retards et surcoûts supplémentaires pour la mise en service du nucléaire de nouvelle génération EPR en construction à Flamanville (Manche).

"La date de chargement du combustible est décalée de fin 2022 au second trimestre 2023. L'estimation du coût à terminaison passe de 12,4 milliards d'euros à 12,7 milliards", a fait savoir l’électricien dans un communiqué.

Avec ces nouveaux déboires, le chantier normand qui devait donner un nouvel élan à la filière nucléaire tricolore s’apparente encore un peu plus à un véritable fiasco industriel.

· Qu’est-ce-que l’EPR?

L’EPR (European Pressurized Reactor) est un réacteur de troisième génération dit "évolutionnaire" (et non "révolutionnaire"), en ce sens qu’il n’y a pas de réel saut technologique avec les réacteurs construits par le passé (réacteurs à eau sous pression) et actuellement en service.

L'EPR apporte malgré de nettes améliorations par rapport à ses prédécesseurs puisqu’il offre une puissance plus importante (1650 mégawatts contre 900 à 1450 aujourd’hui), produit moins de déchets, et bénéficie d’une multiplication des systèmes de sauvegarde pour refroidir le cœur du réacteur en cas de défaillance, d'une coque de protection en béton et acier et d'un récupérateur de corium censé réduire les conséquences en cas d'accident grave.

Conçue pour fonctionner pendant 60 ans, la technologie EPR a été codéveloppée dès 1992 par le français Areva et l’allemand Siemens au sein de leur filiale commune. L'idée était de tirer les leçons des centrales en service en Europe et dans le reste du monde pour mieux les améliorer. Mais alors que l’Allemagne décidait de sortir progressivement du nucléaire, Siemens s’est finalement retiré et EDF a pris le contrôle de l'activité lors de la réorganisation de la filière nucléaire française orchestrée par l'État en 2017.

· Pourquoi Flamanville accumule les déboires?

Le réacteur EPR de Flamanville dont l’édification a débuté en décembre 2007 devait entrer en service en 2012. Le retard accumulé au fil des déboires sera donc de 11 ans, au mieux, tandis que le coût du projet estimé à 3,3 milliards d’euros en 2007 est désormais chiffré à 12,7 milliards, soit quatre fois plus.

Au cours des dernières années, EDF s’est en effet heurté à Flamanville à une série de problèmes, souvent liés à des défauts de soudures. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a par ailleurs exigé que le couvercle de la cuve soit remplacé avant la fin 2024. Une opération qui devrait avoir lieu "après un premier cycle de fonctionnement".

Cette fois, "le point principal de décalage du planning est lié aux activités de reprise des soudures sur le circuit secondaire" qui se termineront fin août au lieu d’avril, a expliqué Xavier Ursat, directeur exécutif en charge de la direction Ingénierie et Projets nouveau nucléaire d’EDF. Il a aussi mis en avant l’impact "diffus" de la crise du Covid pour justifier ce nouveau retard. Mais cet énième contretemps n’a finalement rien de très surprenant. Alors que les problèmes de soudures étaient déjà récurrents, le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk avait alerté l’an dernier sur l’absence de "marge" sur le calendrier.

Le fiasco de Flamanville peut aussi trouver son origine dans la concurrence féroce à laquelle EDF et Areva se sont livrés ces dernières années, lorsque le premier s’est lancé dans Flamanville tandis que le second s’occupait des EPR à l’international. Selon la Cour des comptes, "cette course entre les deux entreprises françaises a conduit au lancement précipité des chantiers de constructions des deux premiers EPR, sur le base de références techniques erronées et d’études détaillées insuffisante". Les Sages ont en outre estimé que "la filière nucléaire (avait) fait preuve d’une trop grande confiance, inspirée par la construction réussie d’un parc de 58 réacteurs".

La Cour des comptes a aussi mis en avant la "la prise de conscience tardive de la perte de compétences techniques et de culture de qualité des industriels du secteur" pour expliquer les déboires de Flamanville, alors qu’un réacteur n’a été construit depuis plus de 20 ans. EDF a d’ailleurs lancé le plan Excell pour remettre à jour ces compétences si précieuses.

· Quelles conséquences pour EDF?

Après le chargement du combustible prévu au second trimestre 2023 et en supposant l’absence de nouvel imprévu, les premiers mégawatheures du réacteur de troisième génération de Flamanville devraient être produits "avant la fin de l’année de 2023", a assuré Xavier Ursat.

En attendant, ce nouveau retard met un peu plus la pression sur EDF. Le gouvernement a appelé ce mercredi l’électricien à "tirer les leçons des différents retards" et promis d’y être "vigilant", avec l’objectif d’"améliorer le processus industriel".

EDF a pour autant bon espoir de vendre de nouveau l'EPR à l'étranger, tablant sur la volonté des pays d'améliorer leur bilan climatique et notamment de moins dépendre du charbon. Le groupe table sur la vente de six EPR pour la future centrale de Jaitapur, et a présenté en avril une offre engageante. Il discute aussi avec des pays européens comme la Pologne ou la République Tchèque. Le groupe travaille aussi sur une nouvelle version de l'EPR, pour réduire ses coûts et délais de construction.

· Des réacteurs en service à l'étranger

Trois réacteurs EPR sont en marche aujourd'hui dans le monde. Le premier chantier a été lancé à Olkiluoto (Finlande) en 2005, pour le compte de l'électricien TVO, avec Areva et Siemens comme maîtres d'œuvre. Il devait s'achever en 2009, mais contretemps et dérapages budgétaires se sont accumulés. Avec près de douze ans de retard sur le calendrier initial, il a enfin démarré en décembre 2021 et devrait atteindre une production régulière en juin 2022.

Les deux autres EPR ont été commandés par la Chine pour sa centrale de Taishan. Taishan 1 a été le premier au monde à entrer en service, en décembre 2018, bien que le chantier ait commencé en 2009, soit deux ans après celui de Flamanville. Le deuxième réacteur de Taishan est aussi entré en service. Ils sont exploités par TNPJVC, une joint-venture créée conjointement par CGN, EDF et l'électricien chinois provincial Yuedian.

Un incident avait néanmoins conduit en juillet dernier à l'arrêt de Taishan 1. EDF a expliqué ce mercredi que celui-ci avait subi "un phénomène d'usure mécanique de certains composants d'assemblages" de combustible et que cela "ne remet pas en cause le modèle EPR". "Dans la perspective du démarrage de Flamanville 3, une solution déjà mise en oeuvre sur le parc nucléaire en exploitation d'EDF (à Taishan), sera instruite avec l'Autorité de sûreté nucléaire française", a indiqué le producteur d'électricité. L'ASN avait en effet exigé de comprendre ce qui s'était passé en Chine avant de donner son feu vert pour le réacteur normand.

L'EPR a aussi été retenu pour un projet de deux réacteurs à Hinkley Point en Angleterre. Le début de production d'électricité par le premier réacteur britannique est à présent prévu en juin 2026 au lieu de fin 2025 comme annoncé initialement, avec des coûts là-encore rehaussés. Le gouvernement britannique a en outre engagé des discussions pour construire une nouvelle centrale avec deux réacteurs EPR, Sizewell C, projet mené par EDF, mais plombé par les retards du fait de difficultés de financements et complications politiques.

· Nouveaux réacteurs EPR, un objectif crédible?

L’annonce d’EDF sur l’EPR de Flamanville ce mercredi intervient alors que le France, pays le plus nucléarisé du monde par habitant, s'apprête à lancer un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires, comme l'a annoncé Emmanuel Macron le 9 novembre.

Mais ces nouveaux déboires pourraient compliquer la tâche de l'exécutif, qui doit encore détailler les contours de ces futurs chantiers avec une version améliorée de l'EPR (EPR2) pour une première mise en service "en 2035-2037".

D'ici là, le nucléaire sera une fois encore l'un des thèmes clivants de la campagne présidentielle, avec des candidats favorables à cette énergie (notamment à droite, à l'extrême droite mais aussi au PCF) et d'autres hostiles (LFI et EELV en particulier). Greenpeace a dénoncé pour sa part un "énième retard qui disqualifie les annonces de nouveaux réacteurs". L'ONG demande "un moratoire sur les travaux de l'EPR de Flamanville, afin de conduire une évaluation en toute indépendance de la viabilité des réacteurs nucléaires EPR".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco