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Nucléaire

« Le chantier du siècle » : Macron relance le nucléaire

Centrale du Bugey à Saint-Vulbas (Ain), en 2022.

À Belfort, à quelques semaines de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé la construction de six EPR2, ainsi que le lancement d’études pour la construction de huit EPR2 « additionnels ».

« Il faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France. » En déplacement jeudi 10 février à l’usine General Electric (GE) de Belfort, Emmanuel Macron a annoncé la construction de six EPR2 — la version simplifiée de l’EPR de Flamanville — , ainsi que le lancement d’études pour la construction de huit EPR2 « additionnels » (texte de son discours ici). Les premiers travaux, confiés à EDF, démarreraient dès 2028, pour une mise en service en 2035. Pour tenir ces délais, les procédures — saisine de la Commission nationale du débat public, définition des lieux d’implantation... — seront lancés « dès les semaines à venir ». Une « direction interministérielle du nouveau nucléaire » sera créée pour suivre l’avancement des travaux.

Le président de la République a également mis un milliard d’euros sur la table pour le développement de petits réacteurs modulaires (SMR) et de « réacteurs innovants capables de fermer le cycle du combustible et produire moins de déchets ». L’enveloppe reviendra à la filière par le truchement de son programme de réindustrialisation France 2030 et de premiers appels à projets seront lancés « dans les prochains jours ».

Concernant le parc actuel, il a affirmé sa volonté de « prolonger tous les réacteurs qui peuvent l’être » : « Je souhaite qu’aucun réacteur ne soit fermé à l’avenir, sauf pour des raisons de sûreté », a insisté Emmanuel Macron, qui a demandé à EDF « d’étudier les conditions de prolongement du parc au-delà de cinquante ans avec l’Autorité de sûreté nucléaire ».

Pour fixer ces choix, une consultation de la population est prévue au deuxième semestre 2022 et la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui prévoit la fermeture de 14 réacteurs nucléaire d’ici 2035, sera révisée en 2023.

EDF « pourra compter sur le soutien de l’État » dans ce programme, a promis le président de la République. En janvier 2022, le groupe a été mis à contribution par l’État pour limiter la hausse du prix de l’électricité et s’est vu imposer un relèvement du plafond de l’Arenh, le volume d’électricité vendu à bas coût à ses concurrents. L’électricien estime de ce fait le montant de ses pertes à 8 milliards d’euros. « Nous allons mettre en œuvre une nouvelle réglementation en remplacement de l’Arenh, pour que les consommateurs et les industriels puissent bénéficier de prix stables proches du coût de production », a assuré Emmanuel Macron.

Le président de la République a présenté ce programme comme « le choix de la technologie et de la raison ». « À ceux qui affirment que pas besoin de nucléaire : imagine-t-on une France avec 40 000 éoliennes au lieu de 8 000 et 90 parcs éoliens offshore quand notre pays a mis dix ans pour en faire un ? Totalement dépendante en énergie non intermittentes et obligées d’importer en énergies fossiles ? », a-t-il taclé, en référence aux candidats de gauche (sauf Fabien Roussel, Parti communiste) à l’élection présidentielle, tous partisans d’un abandon de l’atome.

Les annonces du président sur ce qu’il a appelé « le chantier du siècle » étaient attendues. Le 10 novembre dernier, Emmanuel Macron prévoyait déjà la construction de nouveaux réacteurs type EPR, sans en préciser le nombre ni la date de mise en service. Mais la préparation de ce chantier titanesque, menée main dans la main avec EDF, remonte à bien plus loin. En novembre 2020, Reporterre rendait public un rapport prévoyant le financement par l’État de la moitié des 47,2 milliards que devaient coûter ces nouveaux équipements, d’après l’estimation de l’époque — revue à la hausse depuis. Un mois plus tard, les sites convoités par l’électricien étaient dévoilés : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Hauts-de-France), et Bugey (Ain) ou Tricastin (Drôme). En janvier 2021, on apprenait qu’EDF avait déjà commandé des pièces forgées en prévision du chantier. En parallèle, Emmanuel Macron a ferraillé pendant des mois pour obtenir la labellisation du nucléaire comme énergie « verte » dans le cadre de la taxonomie européenne, et remporté la victoire le 2 février dernier. Dernier épisode, EDF a annoncé ce jeudi 10 février la signature d’un accord d’exclusivité pour le rachat d’une partie de l’activité nucléaire de General Electric (GE) Steam Power. En premier lieu la fabrication des turbines à vapeur Arabelle, stratégiques pour la filière nucléaire française puisqu’elles pourraient équiper les EPR2 et même des petits réacteurs modulaires (SMR), selon EDF et GE.

L’EPR de Flamanville (ici en 2014) n’a toujours pas démarré et accuse dix ans de retard. © Charly Triballeau/AFP

Le timing de l’annonce finale, deux mois jour pour jour avant le premier tour de l’élection présidentielle, a-t-il été choisi pour faire mousser le président-candidat Macron ? « C’est un déplacement qui est présidentiel, totalement présidentiel, et qui n’est que présidentiel. (...) C’est [la] responsabilité [du Président] d’agir jusqu’au bout », a assuré l’Élysée à la presse mercredi 9 février. Ses adversaires politiques ne se disent pas dupes. Invité sur LCI mercredi 9 février, le candidat Europe Écologie – Les Verts (EELV) Yannick Jadot a dénoncé un « électoralisme » : « Emmanuel Macron, juste avant l’élection présidentielle, essaie de corriger l’aberration d’avoir vendu Alstom à General Electric », a-t-il fustigé. De l’autre côté de l’échiquier, Olivier Marleix, député Les Républicains (LR) d’Eure-et-Loir, a formulé le même reproche. Pour mémoire, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie de François Hollande, avait validé fin 2014 la vente à GE de la branche énergie d’Alstom — dont les fameuses turbines Arabelle.

Quoi qu’il en soit, cette annonce permet à Emmanuel Macron de se positionner sur le sujet du nucléaire très présent dans la campagne électorale, surtout à droite. Jeudi 3 février, le candidat d’extrême droite Éric Zemmour était en déplacement à la centrale récemment fermée de Fessenheim, où il a renouvelé sa promesse de construction d’une dizaine d’EPR. Samedi 29 janvier, Valérie Pécresse, prétendante LR, profitait d’une visite de la centrale de Bugey pour annoncer « un plan de relance gaullien pour l’énergie » de construction de six EPR. Les candidats principaux se sont tous exprimés sur la question : six EPR pour Marine Le Pen (Rassemblement national), « maintien du nucléaire » pour Fabien Roussel (Parti communiste), sortie du nucléaire en 2045 pour Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et « au plus vite » pour Yannick Jadot (EELV) mais « pas avant 2050 » pour Anne Hidalgo (Parti socialiste), et référendum pour Christiane Taubira.

L’Élysée l’a assuré à la presse : il s’agit d’une « décision qui repose sur la science et sur l’expertise de nos autorités et de RTE en matière de dimensionnement de nos besoins électriques ». Lorsqu’il a dévoilé ses six scénarios énergétiques pour 2050 le 25 octobre 2021, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension a en effet présenté comme plus faciles à mettre en œuvre et moins coûteux ceux prévoyant la construction de nouveaux réacteurs à partir de 2035. Mais la présentation était biaisée : seuls les scénarios reposant sur une baisse modérée de la consommation énergétique finale ont été présentés par RTE, et non ceux dits de « sobriété » et de « réindustrialisation profonde », qui devraient être dévoilés mi-février.

Pour l’heure, un seul des EPR lancés dans le monde depuis 2005 produit de l’électricité

Cette manière de présenter comme inéluctable la construction de nouvelles centrales nucléaires a fait bondir les écologistes. « Le nucléaire ne répond pas à l’urgence climatique », a insisté le chargé de campagne transition énergétique à Greenpeace Nicolas Nace lors d’une conférence de presse, mercredi 9 février. Premier argument, le nouveau parc ne sera jamais prêt à temps pour contribuer à l’objectif de neutralité carbone en 2050. « Emmanuel Macron nous a vendu les premiers EPR pour 2035, mais un document de travail interministériel dévoilé par Contexte prévoit plutôt la mise en service de la première paire pour 2030-2040 — si tout se passe bien. Donc vers 2045-2050 en cas de problème », a-t-il calculé. Ceci, car « le design de l’EPR2 est théorique, pas encore finalisé. Les bases du plan sont là, mais il reste pas mal de détails techniques à régler. Une mise en service avant 2040 n’est donc pas réaliste. »

Autre argument, le nucléaire coûte cher. Plus cher que ne le laissent à penser les estimations optimistes d’EDF et du gouvernement, voire de RTE, affirment les antinucléaires. Dans un rapport publié le 24 novembre 2021, Greenpeace et l’Institut Rousseau démontrent que les scénarios 100 % renouvelable et nucléaire de RTE ont en réalité des coûts similaires. Yves Marignac, porte-parole de l’association Négawatt, dénonce une « dissymétrie dans la construction des coûts » des différents scénarios par RTE : « Si la concertation menée par RTE a conduit à une très grande prudence sur la plupart des hypothèses de coûts concernant les renouvelables, reflétant ainsi la diversité des projections d’acteurs, ceux retenus pour le nucléaire, basés sur les seules déclarations du gouvernement et d’EDF, sont beaucoup plus favorables. Ils semblent non seulement optimistes au vu du retour d’expérience, mais même minorés en regard des évaluations sur lesquelles s’appuient en interne ces mêmes acteurs. » Certains coûts n’auraient même pas été pris en considération, notamment celui d’un accident nucléaire, au motif qu’il est « non probabilisable ».

Dernière interrogation, et non la moindre : la France est-elle capable de construire un nouveau parc ? L’EPR de Flamanville n’a toujours pas démarré et accuse dix ans de retard et 8,7 milliards de surcoûts — il devait coûter 3,3 milliards et est désormais estimé à près de 20 milliards. L’EPR finlandais d’Olkiluoto a lui aussi plus d’une décennie de retard et ne devrait pas fournir d’électricité avant juillet 2022. La réalité est que pour l’heure, un seul des EPR lancés dans le monde depuis 2005 a pu être achevé et mis en service : celui de Taishan, en Chine. L’un de ses réacteurs a dû être mis à l’arrêt en juillet dernier à cause d’une accumulation de gaz rares radioactifs dans son circuit primaire. « On n’a toujours pas de vision claire sur la cause de cette fuite, mais un problème structurel sur la cuve et la technologie EPR n’est pas écarté », a rappelé Nicolas Nace. Si cette dernière hypothèse se confirme, la France pourrait attendre un long moment avant de pouvoir raccorder de nouveaux EPR au réseau.

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