La longue route vers le nouveau nucléaire

Si la décision politique de construire de nouveaux réacteurs en France est prise, le dossier est loin d’être bouclé. Reste encore à choisir les modèles et le nombre des EPR à construire et à lever les incertitudes sur leur coût et leur financement.

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La longue route vers le nouveau nucléaire

La décision est prise, sans attendre le démarrage de l’EPR de Flamanville (Manche) comme prévu par décret dans la programmation pluriannuelle de l’énergie. « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays et continuer de développer les énergies renouvelables », a déclaré Emmanuel Macron lors d’une allocution télévisée le 9 novembre. Une décision qu’attendait impatiemment la filière nucléaire, mais qui reste à justifier et à préciser.

Or le dossier nouveau nucléaire, sur le bureau du président de la République, est loin d’être bouclé. Ce dossier contient un volumineux rapport prospectif de RTE, « Futurs énergétiques 2050 », commandé par le gouvernement dès 2018. Un travail fruit d’une large concertation publique de deux ans, qui évalue aussi plusieurs scénarios de consommation. RTE conclut que pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, les scénarios électriques prévoyant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires sont plus « pertinents du point de vue économique » que ceux reposant sur une prolongation du parc existant et des énergies renouvelables.

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Les projections de demande électrique en 2050 font débat. Pour sortir des fossiles, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faudra électrifier massivement les transports, l’industrie et le bâtiment, donc consommer beaucoup plus d’électricité. Ce, sans même tenir compte de la volonté politique de réindustrialiser la France. Or, même en construisant 14 nouveaux EPR en France d’ici à 2050, un seuil difficile à dépasser selon EDF, le nucléaire ne pourra pas représenter plus de 50 % du mix électrique. Il faudra, dans tous les cas, amplifier drastiquement les capacités de renouvelables – éolien et solaire –, malgré les oppositions.

RTE prévient aussi que pour atteindre ses objectifs climatiques, la France devra « agir sur sa consommation grâce à l’efficacité énergétique, voire la sobriété ». Une sobriété énergétique qui n’a « rien à voir avec une quelconque décroissance », tient à rappeler Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE. Mais qui pourrait ne pas être qu’énergétique, pointe de son côté l’association NégaWatt, qui a présenté un scénario de sobriété prenant en compte des émissions importées et incluant les matières premières, qui permettrait de se passer de nouveau nucléaire à l’horizon 2050.

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Ces rapports prospectifs – et d’autres, comme celui du Cercle d’étude réalités écologiques et mix énergétique, qui imagine jusqu’à 80 % de nucléaire dans le mix en 2050 – devaient alimenter la consultation publique lancée le 2 novembre pour préparer la première loi de programmation énergie et climat, qui doit être votée en 2023. Mais, face à l’urgence climatique, le gouvernement a décidé de ne pas attendre le débat public. « RTE nous dit qu’il faut agir vite, donc la décision va être prise, et rapidement », avait prévenu fin octobre la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. C’est chose faite, et l’omniprésence du nucléaire dans la campagne présidentielle n’y est pas sûrement pas étrangère.

Si EDF a rendu en mai 2021 au gouvernement une proposition pour construire trois paires de réacteurs EPR 2, il reste beaucoup à faire avant de les voir sortir de terre.

Outre que Flamanville ne démarrera pas avant 2023, au mieux, il y avait pourtant matière à réflexion. Si EDF a rendu en mai 2021 au gouvernement une proposition pour construire trois paires de réacteurs EPR 2 (version standardisée de l’EPR de Flamanville), il reste beaucoup à faire avant de les voir sortir de terre. Les plans détaillés sont loin d’être achevés. D’autant que l’ingénierie d’EDF est très occupée par les travaux de prolongation à cinquante ans du parc actuel.

Les fournisseurs d’EDF, de leur côté, ne sont qu’au début d’un processus qualité pour retrouver un niveau de performance industrielle indispensable pour construire en série les futurs réacteurs français. « Il s’agit de changer de dimension, de changer de braquet », a souligné le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, lors d’une audition au Sénat. Le planning proposé par le groupe, avec un premier EPR 2 en service en 2035 sur le site de Penly (Seine-Maritime), n’a rien de définitif.

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Et l’évaluation officielle du coût de ces EPR, promise par le gouvernement, n’a toujours pas été publiée à l’heure où nous écrivons. Or ces éléments sont indispensables pour préciser combien de réacteurs seront construits, où, quand et de quel type, puisque l’on parle aussi de SMR. Ils sont centraux pour obtenir les autorisations de l’Europe et de l’Autorité de sûreté du nucléaire et pour définir le mode de financement.

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Or ce dernier est lié à la réforme du prix de vente du nucléaire historique Arenh, mais aussi à une refonte de l’électricien national, alors que « chacun sait qu’EDF est extrêmement endetté », rappelle son PDG. Ces deux dossiers sont à l’arrêt, après deux ans de négociations avec la Commission européenne. Une dernière incertitude : l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte européenne, qui permettrait à EDF d’émettre des green bonds pour financer ces nouveaux réacteurs, fait toujours débat à Bruxelles.

La filière nucléaire, qui attendait depuis des années cette décision de l’exécutif, reste donc prudente. Elle a « hâte de connaître les détails » et attend « l’engagement d’un véritable programme, avec l’annonce d’une série de réacteurs EPR 2 », explique Cécile Arbouille, la déléguée générale du Gifen, le syndicat professionnel du nucléaire. En un mot, tout reste à faire.


© L'Usine Nouvelle - Sources : RTE ; Gifen

 

Les SMR s’invitent dans le mix français

Il y a un an, personne n’en parlait, ou presque. Les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR) étaient regardés de haut par la filière française. Même pour EDF, qui s’est lancé en 2017 avec Naval Group, TechnicAtome et le CEA dans le développement de Nuward, un SMR de 170 mégawatts, il ne s’agissait que d’un projet secondaire, destiné à l’export, dont la commercialisation était envisagée vers 2035. « Nuward serait construit par paire dans une centrale de 340 mégawatts, pour remplacer de 2030 à 2050 des centrales fossiles des pays qui veulent accélérer leur décarbonation », nous expliquait en octobre Xavier Ursat, le directeur exécutif ingénierie et nouveau nucléaire d’EDF.

Mais ça, c’était avant l’objectif français de neutralité carbone en 2050 et son corollaire, l’électrification de l’économie. Pour rester à 50 % de nucléaire dans ce mix électrique XXL, la France pourrait avoir besoin de plus de réacteurs que les 14 EPR 2 qu’EDF et la filière espèrent construire en trente ans. Avant qu’EDF ne réalise qu’il avait besoin d’un prototype de Nuward en France pour pouvoir l’exporter. Avant que l’Autorité de sûreté du nucléaire ne s’enthousiasme pour les SMR, y voyant la promesse de petites centrales plus sûres et moins nocives pour le climat. C’était enfin oublier que les Chinois, les Américains et les Russes sont en train ou sur le point de construire des SMR, et qu’au Royaume-Uni, Rolls-Royce pousse un projet concurrent à Nuward. Finalement, la France pourrait avoir son SMR dès 2030. C’est du moins ce que souhaite Emmanuel Macron.

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