Le moratoire au développement des EnR​ en France: entre incohérence, idéologie et risque climatique
Image: La chasse aux sorcières (Documentaire France 3 Bourgogne, 2015)

Le moratoire au développement des EnR en France: entre incohérence, idéologie et risque climatique

La position du moratoire sur les EnR en France est l'une des deux positions extrêmes du débat en France: certains souhaitent un départ rapide et complet du nucléaire, d'autres souhaitent l'arrêt complet du développement des EnR et un développement exclusif du nucléaire.

Parmi les partisans du moratoire, on peut trouver des défenseurs du patrimoine (Stephane Bern, Fabien Bouglé), des membres du RN et de la droite conservatrice (Marine le Pen, Guillaume Peltier), des défenseurs du nucléaire (Bernard Accoyer, Jean-Marc Jancovici, Patrice Cahart), et des associations anti-éoliennes (Jean-Louis Butré, Alain Bruguier).

J'ai souhaité rédiger cet article pour analyser plus en détail cette proposition, ses implications pour le système énergétique français, ainsi que pour nos actions de lutte contre le réchauffement climatique.

Je précise que cet article ne vise pas à promouvoir les EnR, ou le nucléaire, ni même à promouvoir un quelconque mix énergétique. Je me contente d'analyser cette proposition, et de proposer une grille d'analyse pour permettre de mieux apprécier les questions énergétiques soulevés dans les débats aujourd'hui.


Le moratoire sur les EnR implique une baisse de la production d'électricité durant les 15 prochaines années...

Pas de nouveau nucléaire avant 2036

La construction d'un EPR prend environ une dizaine d'années, et la décision de lancer la construction de la première paire d'un programme de 6 EPR n'a pas encore été prise.

Cette décision, est sujette à des pré-requis, qu'on estime nécessaires pour que les constructions puissent se passer dans les meilleures conditions. Parmi les pré-requis, on peut citer le lancement de la restructuration d'EDF, le bouclage des financements et du montage juridique, et le raccordement de FLA3. Cela nous amène dans le meilleur des cas à 2023, auquel il faut donc ajouter une dizaine d'années.

No alt text provided for this image

Dans les documents présentés par EDF aux Ministères en différentes occasions, la date de 2036 a été évoquée. Naturellement, les industriels pourraient peut-être s'engager sur des délais plus court, mais les constructions pourraient aussi connaitre des retards. A ce stade, il est possible de prendre l'hypothèse que notre prochaine centrale nucléaire serait raccordée en 2036 - en tout cas il est raisonnable de se préparer à cette éventualité.

Des disponibilités du parc nucléaire en baisse et sous surveillance

Notre parc actuel connait des baisses de disponibilité depuis plusieurs années, qui induisent une tendance baissière de la production électrique du parc.

No alt text provided for this image
No alt text provided for this image

Nos centrales du premier palier de 900MW (32 tranches) vont maintenant entrer dans leur 4eme visite décennale. Or c'est un moment spécifique. Nos réacteurs ont été conçus pour une durée de 40 ans. L'ASN a validé la partie générale de la prolongation, et va maintenant revoir chaque réacteur, un par un, pour faire des recommandations. Les centrales du second palier de 1300MW vont également débuter leur 4eme visite décennale à partir de 2026.

L'organisation de ces études et visites, et les incertitudes sur les travaux qui devront être réalisés en conséquence, sont des points d'attention.

No alt text provided for this image

Selon RTE:

"La maîtrise de la durée des arrêts de tranches pour maintenance, et notamment la maitrise de la durée des quatrièmes visites décennales des 32 tranches du palier 900 MW qui s’étaleront jusqu’en 2031, représente un enjeu considérable pour la filière. Les premières tranches 1 300 MW passeront également leur quatrième visite décennale à partir de 2026."

No alt text provided for this image

Par le passé, certaines visites décennales ont été plus longues que prévues:

No alt text provided for this image

Des durées plus longues d'un mois par rapport aux 2eme et 3eme visites décennales ont déjà été annoncés et des discussions sont en cours avec EDF pour essayer d'agencer au mieux les planning afin d'augmenter les marges disponibles et réduire les impacts des indisponibilités.

Des incertitudes liées aux risques climatiques et sanitaires

La crise sanitaire du COVID nous a montré les risques systémiques auxquels nous devons nous préparer dans le cadre de l'évolution des risques climatiques. Le fonctionnement de notre parc nucléaire a été très fortement impacté par la crise. RTE estime, qu'elle a été responsable d'une baisse de 6,5% de la production nucléaire, soit 34TWh.

No alt text provided for this image

L'évolution du climat est également un point d'attention. Les centrales nucléaires ont en effet besoin d'une source d'eau froide pour le fonctionnement de leur circuit de refroidissement, ce qui explique qu'elles soient installées en bord de mer ou de fleuve. Or, le réchauffement climatique nous conduit à anticiper des périodes de canicules plus fréquentes et plus intenses, en particulier durant l'été, pouvant impacter les débits et les températures des fleuves. RTE a ainsi organisé un groupe de travail "Référentiel Climat" où l'impact de ces évènements sur notre système électrique a été étudié.

En matière d'indiponibilité, l'impact resterait très modéré, de l'ordre du % de la production. Ceci s'explique notamment par le fait que les phases de maintenance planifiée et de recharge du combustible peuvent coïncider avec les périodes où les canicules apparaissent. Toutefois, ces évènements pourraient constituer des pertes de puissance significatives pendant certaines périodes, à mettre en lien avec l'évolution des types de consommation, notamment les climatiseurs.

Des marges sous surveillance

RTE indique que dans les prochaines années, malgré la mise en service de FLA3 (+2.5% de la production nationale) qui devrait arriver entre 2022 et 2024, les marges de notre système électrique doivent être l'objet de surveillance jusque 2026.

[Voir à la fin de l'article l'Annexe 1 sur les modalités de calcul des marges/déficit]

Parmi les points d'attention, on trouvera la disponibilité de FLA3, la disponibilité de notre parc nucléaire, les retards dans le développement de l'éolien offshore, la réalisation des objectifs de la PPE en matière d'énergies renouvelables, et les évolutions des mix énergétiques des pays voisins.

Si nous prenons la période jusque 2026, soit les 5 prochaines années, voici les capacités renouvelables qui ont été incluses: 11 GW de solaire / 8,2 GW d'éolien terrestre / 2,9 GW de parcs éolien sur mer. Un moratoire sur les EnR, ferait donc disparaitre ces 22,1GW de capacités pour les calculs des marges.

15 ans est une période très longue. Même si nous pouvons espérer réduire cette période de quelques années - sachant que le risque existe que cette période soit plus longue - il serait peu raisonnable de penser, que "tout se passera comme prévu" compte tenu des incertitudes sur les évolutions technologiques, les évolutions de nos réseaux et des systèmes énergétiques des pays voisins, et sur l'évolution du climat,

Or, un moratoire sur les énergies renouvelables impliquerait de laisser en l'état notre outil de production vieillissant pendant les 15 prochaines années, nous exposant ainsi à de très forts risques de sécurité d'approvisionnement avec une forte probabilité de voir notre production électrique décroitre.

Nous pourrions probablement arrêter notre analyse ici, néanmoins, essayons de voir si une évolution de la demande pourrait plus que compenser ces risques.


...dans un contexte d'électrification des usages, d'investissements dans les infrastructures de sobriété et de stratégie de relocalisation industrielle

L'électrification des usages

L'électrification des usages consiste à remplacer une partie de notre parc actuel de machines brulant des combustibles fossiles pour fonctionner, par des machines fonctionnant à l'électricité. Quelques exemples: voitures électriques, fournaises électriques, pompes à chaleur.

Cette stratégie repose sur le fait qu'il est possible de décarboner la production d'électricité et d'en limiter les impacts environnementaux, grace aux énergies renouvelables et au nucléaire.

En outre, il est possible de diminuer notre demande primaire en énergie, tout en faisant augmenter notre demande en électricité. Les procédés électriques sont en effet nettement plus efficaces que les procédés thermiques, dont au moins les 2/3 de l'énergie qu'ils utilisent pour fonctionner partent en chaleur: par exemple, les moteurs thermiques des véhicules ont un rendement de 20-30%, contre 80% pour l'électrique. Dans notre système énergétique actuel, sur 3 barils de pétrole extraits, transportés, stockés, distribués puis consommés, seule l'énergie d'un baril est utilisée!

No alt text provided for this image

Dès lors, pour autant qu'une stratégie d'électrification s'inscrive dans le cadre d'une politique globale écologique et sobre, celle-ci semble incontournable. Bien qu'elle puisse entrainer une augmentation de la demande en électricité, elle conduit en fait à baisser notre demande en énergie primaire (grâce aux rendements plus élevés), à diminuer notre dépendance aux hydrocarbures et à baisser significativement nos émissions.

Ainsi, si la France possède l'une des électricité les moins carbonées au monde, notre pays est en fait dépendant à plus de 62% des hydrocarbures pour sa consommation énergétique finale, l'électricité n'en représentant que 25%.

[Voir à la fin de l'article l'Annexe 2 sur la consommation de pétrole, de gaz et de charbon en France]

La sobriété ne pourra naturellement pas "éteindre" ces 62% de notre consommation énergétique finale, or l'enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique est bien de les faire disparaitre, puisque c'est la combustion des energies fossiles qui émet du CO2. C'est pour cela qu'une partie des 62%, sera transférée vers l'électricité, entrainant nécessairement une hause des 25% dans le mix final, dont le contenu carbone par kWh doit rester le plus faible possible.

Prenons deux secteurs en exemple impactant pour notre consommation en électricité:

Les véhicules électriques

Il n'est bien sûr pas question de remplacer le parc existant d'environ 38 millions de véhicules thermiques en France par des véhicules électriques. De nombreuses stratégies doivent être mises en oeuvre, pour diminuer l'utilisation des véhicules: le développement du numérique pour le "Home Office", les aménagements urbains pour favoriser la marche à pied et l'utilisation du vélo, le développement de lignes ferroviaires.

Néanmoins, il est prévu à horizon 2035 la mise sur le marché, en cumulé, de plusieurs millions de véhicules électriques: véhicules personnels, utilitaires, bus, autocars, trains, même dans certains cas des vélos électriques. Rappelons toutefois que pour que cette stratégie ait un sens, il faut en parallèle déclasser le parc actuel de voitures thermiques (sinon on additionne le nombre de véhicules).

RTE a modélisé l'impact de ce développement sur notre demande en électricité, va représenter entre +14/+20 TWh, juste pour 2030.

No alt text provided for this image

La production d'hydrogène

La France produit et utilise actuellement de l'hydrogène pour des utilisations industrielles, notamment la production d'ammoniac, de méthanol, d'acier, mais aussi pour désulfurer le pétrole dans nos raffineries. La production de cet hydrogène, à base d'énergies fossiles, génère des emissions de CO2.

Il est prévu qu'une partie de cet hydrogène soit produit par des électrolyseurs, qui utilisent de l'électricité pour fonctionner. En outre, une partie de l'hydrogène pourrait être dédiée au transports par camion lourd, longue distance, où les batteries ne peuvent encore fournir de solution.

RTE a modélisé l'impact de ce développement sur notre demande en électricité, qui va représenter entre +5/+25 TWh, juste pour 2030.

No alt text provided for this image

Le développement d'infrastructures de sobriété

Le remplacement de nos machines/équipements ne peut/ne doit pas se faire à l'identique, pour de nombreuses raisons: pressions environnementales de l'extraction, recherche de l'adéquation production offre/demande avec les énergies renouvelables, horizon temporel restreint obligeant à des déploiement technologiques massifs en des temps très courts, et plus généralement le souhait de promouvoir une société plus juste, et respectueuse du vivant, plus en accord avec le rythme biologique de notre planète. Un axe fondamental de la transition énergétique repose donc sur la sobriété.

Paradoxalement, certaines stratégies sobriété entrainent un regain d'activités économiques et industrielles pendant leur diffusion. En effet, la sobriété repose essentiellement sur 3 segments: 1/ La technologie, plus ou moins complexe: par exemple le numérique pour limiter les déplacements (qui est aussi un développement d'infrastructures de communication) 2/ Les infrastructures: par exemple le développement de pistes cyclables 3/ La réglementation: par exemple, la fin de l'obsolescence programmée.

Les stratégies de sobriété liées au développement d'infrastructures vont ainsi entrainer des hausses de consommation en électricité, pendant les phases d'investissements. Prenons deux exemples:

Des transports plus sobres

Le développement de la marche, du vélo, repose sur des programmes d'urbanisme qui parfois peuvent prendre une décennie ou plus. Il est nécessaire de construire des parkings, des pistes cyclables, des espaces piétons, de développer les transports en commun.

De même, il est envisagé que de nouvelles lignes ferroviaires soient construites ou réouvertes.

De tels programmes, vont contribuer à une hausse des activités des secteurs concernées, et à augmenter leur consommation en électricité.

Il est toutefois possible de compenser ces augmentations par des avancés en efficacité énergétique - l'historique des données montre que cela est possible, même si cela présente des incertitudes quant au rythme respectif de ces évolutions.

La réfection des bâtiments

Exemple du programme proposé par Negawatt:

No alt text provided for this image

Un tel programme, pendant sa phase de déploiement va entrainer une hausse des activités liées au BTP: acier, aluminium, ciment, plastique, pétrochimie...

[Voir à la fin de l'article l'Annexe 3 sur les consommations actuelles électriques industrielles, ainsi que la répartition par usage]

Les stratégies de relocalisation

L'empreinte carbone correspond à une hausse de 40% de nos émissions territoriales, provenant du contenu carbone de nos biens importés.

No alt text provided for this image

A la fois pour des questions liées à l'emploi, à la maîtrise des chaînes logistiques, à l'appropriation de savoir-faire, mais aussi pour diminuer notre empreinte carbone, la France envisage des promouvoir des politiques de (ré)industrialisation. Quelques exemples:

Ces stratégies sont en cours d'élaboration, mais des estimations ont été faites sur l'impact carbone pour certains secteurs:

No alt text provided for this image

Naturellement, une stratégie de réindustrialisation, si celle-ci est bien conduite, présente un intérêt fort pour le climat et notre économie, et entraînera une hausse de la demande d'électricité en France.

Bilan net de la consommation en électricité

Depuis des années, la consommation en électricité de la France stagne, ce qui est due aux efforts en efficacité énergétique, et à la faible croissance économique, et démographique.

No alt text provided for this image

Néanmoins, ce profil de consommation sera amené à changer, du fait de la mise en place de nos actions, inédites, de lutte contre le réchauffement climatique.

En parallèle des hausses de consommation précédemment mentionnées, il existe des actions d'efficacité énergétique, des reports vers des usages non-électriques. De la même façon, certains secteurs vont croître, quand d'autres secteurs doivent absolument décroitre (par exemple les secteurs liés à la production, le transport, le stockage et la distribution de charbon et d'hydrocarbures), et/ou se transformer. Ces évolutions génèrent différents effets systémiques, affectant à la hausse ou à la baisse la demande électrique.

Les projections de demande sont ainsi des exercices complexes, qui mobilisent un grand nombre de resources et nécessitent des études poussées. RTE est l'institution officielle pour réaliser ces études - elle remplit d'ailleurs très largement tous les critères cités en Annexe 4.

En regardant le résultat de ces simulations, le constat est sans appel, et il est cohérent avec l'ensemble des résultats des simulations venant des principaux centres d'expertises nationaux de différents pays, ou internationaux, privés ou publics:

  1. Tous les scénarios 2030 envisagent une hausse de la demande en électricité, à l'exception du scénario "trajectoire basse". Le cas "atteinte de nos objectifs climatiques conformément à la SNBC" envisage une hausse de la demande de +6%.
  2. Tous les scénarios 2050 envisagent une hausse de la demande en électricité, même un scénario de sobriété (+16%).

Voir à la fin de l'article l'Annexe 4 sur les résultats des scénarios de demande

Rappelons encore ici que cette augmentation de la demande en électricité, qui reste modérée (+6% pour 2030 dans le scénario SNBC, + 16% pour 2050 dans un scénario de sobriété) est même souhaitable, si elle s'inscrit dans une véritable politique écologique de sobriété touchant tous les secteurs et leur chaine de valeur. Elle permet, à la fois de diminuer notre dépendance aux hydrocarbures, de baisser nos émissions, et de baisser notre demande primaire en énergie. Cette stratégie n'est d'ailleurs pas incompatible avec des politiques agressives de sobriété, qui doivent naturellement porter en priorité sur la consommation d'hydrocarbures.

Notons également, que le scénario de trajectoire basse 2030 préparé par RTE, n'est pas un scénario de sobriété: il s'agit d'un scénario économique dégradé, où la France n'a pas la capacité de mener à bien son programme de lutte contre le réchauffement climatiques (moins d'infrastructure de sobriété, moins d'électrification, etc...). Ce scénario prolonge notre dépendance aux hydrocarbures, et ne nous permet pas de lutter efficacement contre les émissions.


Je veux absolument un moratoire sur les EnR, quelles sont mes options?
No alt text provided for this image

Si maintenant on quitte l'objectif prioritaire de la lutte contre le réchauffement climatique, et que l'on passe en priorité l'objectif du moratoire sur les EnR, nous pouvons regarder les options qui s'offrent à nous.

Dans un contexte i) de hausse modérée de la demande en électricité pendant les 15 prochaines années pour atteindre nos objectifs climatiques, ii) de diminution de la production de notre parc existant et de marges sous surveillance, iii) d'incertitudes climatiques, et iv) d'absence de nouvelles centrales nucléaires jusque probablement 2036, la France peut-elle se permettre d'envisager un moratoire sur le développement des EnR?

Nous pouvons citer alors 4 options, a priori exhaustives:

  1. Développer de nouvelles centrales gaz, ce qui est contraire à nos objectifs climatiques.
  2. Importer massivement de nos voisins, ce qui pose la question, de façon encore plus prononcée, de la coordination et de la dépendance de nos politiques énergétique et climatique avec celles des autres pays
  3. Comprimer à l'extrême notre économie pour absorber la hausse de la demande en électricité, ce qui parait également trés peu réaliste étant donné les ordres de grandeur, mais surtout semble contradictoire avec l'idée de lancer un grand programme de lutte contre le réchauffement climatique. Le "timing" est le pire possible: rappelons que certains programmes de sobriété nécessitent la construction d'infrastructures, que la relocalisation d'industries entraine également la hausse des activités. Même la construction de nouveaux EPR nécessiterait la mobilisation de nombreuses personnes et d'industriels.
  4. Limiter nos objectifs climatiques, ce qui quelque part est un équivalent du scénario 3, mais assumé.

Ces scénarios alternatifs semblent très peu réalistes, et/ou présentent des risques accrus de ne pas atteindre nos objectifs climatiques - voire les rendent impossibles. Certains même conduisent à une hausse de nos émissions.

Par ailleurs, de façon contradictoire, les partisans d'un moratoire au développement des énergies renouvelables, souhaitent également en parallèle la relance d'un programme nucléaire français et l'extension maximale de la durée de vie de nos centrales (ignorant ainsi l'effet falaise et les incertitudes associées aux décisions de l'ASN sur les durées de vie).

On pourrait alors se demander, ce qui justifierait le fait de retarder de 15 ans l'électrification d'une partie de notre demande en hydrocarbures - puisque nous avons vu que dans tous les cas, une partie doit nécessairement être redirigée vers l'électrique. Or 15 ans correspond à la moitié de notre précieux budget "temps", qui est seulement de 30 ans (2050 était l'objectif fixé pour avoir drastiquement baissé nos émissions).

No alt text provided for this image


Conclusion: les postures idéologiques ne sont pas adaptées pour piloter nos politiques climatiques

Il parait ainsi très peu probable que les partisans d'un moratoire sur les énergies renouvelables aient étudié les conséquences de leur proposition et qu'ils aient bien compris le contexte énergétique actuel en France et en Europe. Cela montre une nouvelle fois qu'idéologie et lutte contre le réchauffement climatique ne font pas bon ménage.

Si donc pendant ces prochaines 10-15 ans nos capacités EnR doivent croitre pour atteindre nos objectifs climatiques, cela n'empêche nullement de travailler sur différents scénarios de mix énergétique pour le moyen/long terme, en prenant en compte les forces et faiblesses de chaque technologie, et les réalités industrielles et économiques de chacune.

C'est d'ailleurs l'objet du travail en cours par RTE, qui propose différents scénarios - le travail est toujours en cours, et les résultats devront être disponibles d'ici la fin de l'année:

Une politique agressive de sobriété, est également largement compatible avec le développement des énergies renouvelables. D'ailleurs, en forçant l'adéquation entre la production et la consommation, du fait de leur intermittence, et compte tenu des rendements élevé des machines électriques, les EnR sont même extrêmement compatibles avec des politiques de sobriété énergétique.

Nous vivons actuellement dans un monde en transition, en train de se construire, évoluant rapidement et qui présente des incertitudes, technologiques, climatiques, économiques et sociétales. Nous devons tous apprendre à naviguer dans un tel monde, alors même que l'accès à l'information, et son traitement, sont devenus très complexes.

Dans un tel monde, il est alors nécessaire de bâtir des trajectoires flexibles, construites sur la base d'analyses aussi documentées que possible, et dynamiques. On pourrait par exemple, établir des trajectoires "sans regret", c'est à dire choisir les voies qui permettent d'aboutir à nos objectifs dans le plus grand nombre de scénarios futurs possibles.

Au-delà de ses incohérences et des forts risques qu'elle génère, dont celui de ne pas atteindre nos objectifs climatiques, la proposition du moratoire aux EnR semble ne remplir aucune de ces conditions.

"Allez, oublions toute cette histoire de moratoire, et mettons-nous maintenant tous au travail!"

No alt text provided for this image


Annexe 1: calcul des marges/déficits

La planification des investissements, doit notamment respecter deux critères:

  1. Le critère dit des "3 heures". "Le critère de sécurité d’alimentation retenu en France est fixé par les pouvoirs publics. Il s’agit d’un critère probabiliste : il fixe l’occurrence maximale des situations de défaillance à une espérance de trois heures par an. Cette règle signifie que la durée moyenne pendant laquelle l’équilibre entre l’offre et la demande ne peut pas être assuré par le fonctionnement normal des marchés de l’électricité, dans toutes les configurations d’aléas considérées, est inférieure ou égale à trois heures par an".
  2. Un critère complémentaire des « deux heures de délestage ». Ce critère dispose que la durée moyenne pendant laquelle le délestage de consommateurs est nécessaire pour assurer l’équilibre entre la consommation et la production, est inférieure ou égale à deux heures par an.

Le calcul des marges ou des déficits est extrêmement complexe. Il repose sur des modélisations et des scénarios de sensibilité pour voir comment le système électrique peut répondre. Il ne repose donc pas sur les notions de pilotable ou non pilotable, puissance garantie ou non, puisque tous les équipements, même intermittents, contribuent à la sécurité de notre système, et que tous les équipements, même pilotables, présentent des risques d'indisponibilité.

Depuis un décret de 2016, l'apport des pays voisins - les interconnexions - est maintenant inclus dans le calcul de ce critère. Cet apport représente maintenant une part significative dans le calcul des marges, montrant que nos réseaux sont de plus en plus interconnectés.

Pour que le public puisse apprécier le résultat de ces analyses, RTE publie un tableau qui montre l'écart en terme de capacité "parfaite" par rapport qui nous permettrait de remplir le critère (écart positif = le système dispose de marge / écart négatif = le système est en déficit).

No alt text provided for this image
Annexe 2 - Consommation de charbon, pétrole et de gaz en France

Bilan énergétique de la France:

No alt text provided for this image

Notre demande de charbon est essentiellement liée à la production de fonte.

No alt text provided for this image

Notre demande de pétrole, est essentiellement au transport (env 65%) et à la pétrochimie (env 25%) - sous la dénomination "usages non énergétiques".

No alt text provided for this image

Notre demande de gaz, en dehors de la production électrique, est répartie de façon pratiquement égale entre l'industrie, le résidentiel et le tertiaire. Cette consommation est essentiellement lié à des procédés industriels et à la production de chaud et de froid.

No alt text provided for this image


Annexe 3 - consommation électrique de l'industrie et répartition par usage
No alt text provided for this image


Annexe 4 - scénarios 2030 et 2050

La réalisation des scénarios est extrêmement complexes et doit mobiliser à minima les ressources suivantes:

  • L'usage de modèles sophistiqués, qui prennent des années à construire, et s'améliorent au fil du temps
  • L'accès à un très grand nombre d'informations
  • L'organisation de groupes de travail avec les différentes filières, la consultation de différents experts sectoriels, ou d'experts spécialisés dans des domaines spécifiques (ex: climatologues)
  • L'organisation de consultations publiques
  • L'existence d'une équipe hautement qualifiée pouvant coordonner et réaliser ces travaux

Voici les résultats de RTE:

2030

No alt text provided for this image

2050

No alt text provided for this image


Si je puis me permettre de résumer ainsi un excellent post,nous allons avoir de gros problèmes. Je sais que je ne suis pas à la hauteur de votre savoir sur ce sujet mais je n’ai pas fait autant d’études que vous surtout dans ce domaine mais ça ne m’empêche pas de m’y intéresser et d’essayer de comprendre.

Like
Reply
Denis M.

Project Manager @ ENGIE | Deploying Renewable Energy Solutions

2y

What a thorough analysis Karim. We are not used to see such depth of analysis on the LI platform; I will have to come back later to fully digest it. It is interesting to get a deep dive into the French perspective/ideology after being massively driven by LCOE. Thanks 🙏

Laurent Cortella

PhD (Doctor of Philosophy - In its historical meaning, philosophy encompasses all bodies of knowledge of which natural philosophy that includes astronomy, medicine, and physics which is my speciality).

2y

Bonjour Karim Megherbi pour cette synthèse intéressante. Je note avec plaisir que tu rejettes aussi le 100% renouvelable excluant le nucléaire qui dans le contexte français (et j'ajouterais européens en général) ne correspond qu'à un objectif idéologique. Je me permets une première petite remarque, Quand tu dis "un moratoire sur les énergies renouvelables (...) nous expos(erait) ainsi à de très forts risques de sécurité d'approvisionnement", en fait tu ne parles pas du tout de sécurité d'approvisionnement en période tendue, les EnRi n'ayant aucune valeur en terme d'assurance de provisionnement (il me semble que les périodes tendues étaient le sujet majeur quand RTE parle de sécurité d'approvisionnement). Dans les 10-15 prochaines années, les EnRi aideront surtout à ne pas trop dégrader notre intensité carbone en évitant, quand les conditions le permettent, certains appels que l'on aurait dû faire au fossiles (soit en maintenant notre production fossile, soit en faisant appel à l'importation, cela revient au même d'un point de vue émission). Je suis donc d'accord qu'un développement des EnRi sera bénéfique, certes pas autant que le bas carbone pilotable que l'on aurait pu développer si l'on s'y était pris à temps, mais c'est ainsi, pas la peine d'y revenir. A condition qu'il ne se fasse pas au détriment dans l'investissement pour le pilotable à long terme (le pilotable à long terme pourrait éventuellement inclure les EnRi + stockage et/ou gestion de l'intermittence quand on saura faire, mais là, tu ne m'a pas encore convaincu). Ma seconde remarque est un peu hors-sujet par rapport à ton article, et ce n'est de toute manière pas le problème, mais je ne pense pas qu'un moratoire sur les EnRi dégraderait notre électricité au point de la rendre plus carbonée que celle de la majeur partie de nos voisins à l'horizon 2030-2035, il y a beaucoup de marge. Excuses-moi, cela fait du bien de le dire. Même si bien entendu, le but n'est pas de rester le premier de la classe, mais bien de limiter les emissions de CO2 en France et ailleurs ! C'est juste que j'aimerais bien que les amis que tu comptes favorables à l'autre scénario extrême (le 100 % EnR avec la sortie du nucléaire) arrêtent de nous bassiner avec l'exemple allemand et ces suiveurs. 😉

Roland Blanpain

Retraité de la Recherche Technologique au CEA - Cadre Supérieur du CEA - Ancien Directeur de la Division Systèmes et membre du COMEX du CEA/leti - Ingénieur Centralien (CM) - Docteur en Sciences - Professeur de l'INSTN

2y

Karim Megherbi Je mesure le travail qui est derrière cette synthèse. Ceci dit, sous le couvert d'une étude "impartiale", on détecte bien le militant ENR et plus particulièrement Eolien : "chassez le naturel, il revient au galop !" Mais ce n'est pas très grave, car vous avez des convictions et c'est bien ! Quelques commentaires tout de même. Si les dogmatiques n'avaient pas fait une telle propagande anti-nucléaire, nous n'aurions pas pris le retard qui nous pénalise actuellement, c'est vous qui le dites, en filigrane ! 10 ans de perdus sous les mandats de Hollande/Royal et Macron/Hulot-Pompili. Vous n'auriez donc pas à déplorer les 15 années nécessaires, pour voir de nouveaux réacteurs nucléaires devenir opérationnels, puisqu'ils seraient opérationnels, disons, en 2025 ! Ceci dit, 15 années me semble bien trop long, mais il est vrai, qu'en France il faudra dialoguer, consulter, convaincre, gérer les manifs, débattre au parlement, amender, voter, publier les décrets, ... en gros, un mandat complet, "sans COVID", si toutefois le Président élu a bien compris les priorités ET les assume dès son élection. Et que dire du Projet ASTRID, arrêté par les mêmes, qui nous aurait doté d'un nucléaire propre, sur, décarboné et sans déchets ...

To view or add a comment, sign in

Others also viewed

Explore topics