« Toute la filière est déjà mobilisée »

Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).

« La filière nucléaire française se prépare depuis plusieurs années à la construction de nouveaux réacteurs. Le président d’EDF et le Gifen, l’association qui regroupe les industriels de la filière, ont déclaré cette semaine qu’ils se tenaient prêts.

L’EPR de Flamanville est une tête de série qui a souffert de retards. C’est un nouveau modèle, complexe, du fait des nouvelles exigences de sûreté. Au lancement de sa construction, plus de quinze ans s’étaient écoulés depuis le dernier chantier.

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Des compétences ont forcément été perdues entre-temps, et pas seulement dans le nucléaire, car l’industrie française en général souffre dans des métiers très techniques, comme la soudure. La relance du programme nucléaire peut permettre de réindustrialiser le pays et de redevenir en quelque sorte sa vitrine, comme le souhaite le gouvernement.

Le rapport Folz, publié fin 2019, a permis d’identifier les causes des retards successifs du chantier de Flamanville. EDF a lancé dans la foulée un grand programme, baptisé Excell, dont l’objectif est de permettre à la filière de retrouver le plus haut niveau de rigueur et de performance. Il s’agit concrètement de fabriquer et construire « juste » du premier coup.

Le projet comprend un important volet sur la formation et vise à améliorer la standardisation, comme l’ont fait d’autres secteurs. Il y a aussi beaucoup de projets d’investissements dans le numérique pour améliorer l’efficacité de l’ingénierie, qui s’inspirent notamment des méthodes utilisées dans l’aéronautique et l’automobile. Toute la filière est déjà mobilisée et le gouvernement soutient ses efforts dans le cadre du plan de relance.

Une chose est sûre : les entreprises auront besoin d’une grande visibilité et d’engagements fermes, pour s’organiser, embaucher, former et investir. Pour bien construire à moindre coût, il faudra lancer un certain nombre de réacteurs à intervalles réguliers, les construire par paire sur un même site, et s’engager sur un programme d’au moins trois paires. On estime que les chantiers occuperont 10 000 personnes, très qualifiées, dont la moitié sur site.

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La filière aura besoin d’un engagement politique fort, sur de nombreuses années. Le nucléaire n’est ni de droite ni de gauche. Plus de 40 réacteurs nucléaires ont été mis en service dans les deux septennats de François Mitterrand. C’est un enjeu stratégique, car il s’agit de construire le socle nucléaire qui garantira à la France en 2050, aux côtés des renouvelables, sa sécurité d’approvisionnement électrique et l’atteinte de ses objectifs climatiques.

Au-delà de la France, la reconstruction de cette capacité industrielle est aussi stratégique pour l’Europe. La crise du gaz a réactualisé la question du nucléaire dans plusieurs pays, comme la Pologne, les Pays Bas, la République tchèque, ou encore la Suède, qui veulent aujourd’hui relancer le nucléaire. La filière française a indéniablement une carte à jouer à l’avenir, car elle sera forcément sollicitée. »

« Il y a un problème de compétence et de rigueur »

Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire

« Dans son allocution, Emmanuel Macron a eu une formule maladroite, ou révélatrice, en affirmant que la France allait relancer « pour la première fois depuis des décennies » la construction de nouveaux réacteurs. Comme si le chantier de l’EPR de Flamanville, qui est en cours depuis 2007, n’existait pas !

Les difficultés qu’il rencontre apportent la preuve que la France n’a plus les compétences pour réaliser de nouveaux réacteurs. Le chantier de Flamanville est un concentré de malfaçons : un béton mal coulé, des ferrailles de mauvaise qualité, une cuve qui n’a pas été fabriquée dans les règles de l’art et les meilleurs standards disponibles, des soudures du circuit primaire qui n’ont même pas été faites selon les normes en vigueur et des contrôles déficients tout au long des travaux.

On a également découvert qu’à l’usine du Creusot, où a été forgée une partie de la cuve, s’était installée une pratique de falsifications de documents pour masquer des anomalies. Ces problèmes ne sont pas résolus, comme le montre un rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui a noté la persistance de certaines mauvaises pratiques sur le site.

Cela fournit un faisceau de preuves qui montrent que la France n’est pas en ordre de marche pour construire de nouveaux réacteurs. Il y a un problème de compétence et de rigueur. Dire que tout est derrière nous, comme le prétend EDF, relève de la pure communication. Le cas de Flamanville n’est d’ailleurs pas isolé. Le premier réacteur EPR, encore en chantier en Finlande, rencontre également beaucoup de difficultés. Idem en Chine, où les deux EPR de Taishan sont en fonctionnement, mais ont fait aussi l’objet de malfaçons.

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La filière a connu beaucoup d’aléas par le passé. Il n’y a pas de raisons qu’ils soient réglés d’un coup de baguette magique. Les EPR 2 annoncés, version modifiée des EPR actuels, ne sont pas au point en termes d’ingénierie. Selon un rapport du gouvernement, dévoilé par le site Contexte, le prix des six EPR2 prévus pourrait atteindre jusqu’à 64 milliards d’euros, au lieu des 46 milliards annoncés par EDF.

Dans ses scénarios incluant du nucléaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050, RTE mise sur de nouveaux réacteurs, prenant le relais des anciennes centrales à partir de 2035. C’est un pari extrêmement risqué de compter ainsi sur la construction d’installations qui pourrait prendre des années, voire une décennie de retard.

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Ces problèmes ne sont pas propres à la France. Partout, chaque nouvelle génération de réacteurs a coûté plus cher que la précédente et a mis plus de temps à être construit.

Notons enfin que certains sites prévus pour accueillir des EPR2 vont devenir vulnérables aux risques climatiques extrêmes : montée du niveau de la mer, comme à Gravelines, mais aussi inondations, canicules… Tout cela est susceptible d’accroître les risques. »