Affaire du siècle sur le climat : la faute de l'État reconnue par la rapporteure publique

Lors d'une audience devant le tribunal administratif de Paris, la magistrate a appuyé la demande des quatre ONG à l'origine de ce procès climatique inédit. Elle a estimé que le non respect par l'État de ses propres promesses sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité.
Giulietta Gamberini
La rapporteure publique a proposé au tribunal de condamner l'Etat à verser aux ONG les dommages et intérêts demandés pour la réparation du préjudice moral causé: 1 euro symbolique.
La rapporteure publique a proposé au tribunal de condamner l'Etat à verser aux ONG les dommages et intérêts demandés pour la réparation du préjudice moral causé: 1 euro symbolique. (Crédits : Pascal Rossignol)

Les quatre ONG a l'origine de L'Affaire du siècle, une procédure judiciaire inédite contre l'Etat français visant à faire reconnaitre sa responsabilité dans le réchauffement climatique, ont désormais de bonnes raisons d'espérer une "victoire historique". Jeudi 14 janvier, lors d'une audience devant le tribunal administratif de Paris, elles ont en effet obtenu un soutien de taille: celui de la rapporteure publique au procès, Amélie Fort-Besnard. Comme tentent de le faire valoir les associations Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France, et la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et pour l'Homme, la magistrate a considéré que la France, en ne prenant l'ensemble des mesures nécessaires pour mettre en oeuvre ses propres promesses nationales et internationales sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, a bien commis une faute engageant sa responsabilité.

Dans un plaidoyer d'une heure et demie, elle s'est également dite favorable à une autre évolution du droit environnemental. Elle a estimé qu'une personne publique peut être considérée responsable d'un "préjudice écologique" causé directement à l'environnement, jusqu'à présent reconnu seulement vis-à-vis des personnes privées devant les juridictions judiciaires. En jugeant que le changement climatique cause un tel dommage, et que le non respect de la trajectoire climatique de l'Etat l'aggrave, elle a en conséquence proposé au tribunal administratif de condamner l'Etat à verser à trois des quatre ONG - en excluant Notre Affaire à Tous, dont l'action est trop récente - les dommages et intérêts demandés pour la réparation du préjudice moral causé : soit 1 euro symbolique.

"Un avancée historique du droit français"

"Les conclusions de la rapporteure marquent une avancée juridique qui s'inscrit dans le sens de l'histoire", a souligné Cécilia Rinaudo, directrice générale de Notre Affaire à Tous.

"Si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique, (...) ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat et pour la protection de chacun et chacune face aux conséquences du dérèglement climatique", notent les quatre ONG, qui ont initié la procédure en décembre 2018, après avoir lancé une pétition ayant atteint plus de deux millions de signatures, un record en France.

"Toutes les victimes des changements climatiques pourraient alors s'appuyer sur cette jurisprudence pour faire valoir leur droit et obtenir réparation. L'Etat subirait alors une forte pression pour enfin mettre en œuvre les actions nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C", soulignent-elles, en répétant leur détermination à agir tous azimuts.

Une telle décision aurait également une "portée symbolique, puisqu'elle validerait la critique que l'Etat ne fait pas assez, et ce sur le fondement d'une réalité scientifique précise", a noté la directrice générale d'Oxfam France, Cécile Duflot.

"En cas de condamnation, ce serait compliqué pour Emmanuel Macron de ne pas en tenir compte", a observé le directeur général de Greenpeace France.

Malgré l'existence d'exceptions, les probabilités que le tribunal suive les conclusions de la rapporteure sont élevées, ont expliqué les ONG. La décision est attendue dans deux semaines. En cas de décision défavorable pour lui, l'Etat pourra faire appel, mais celui-ci ne sera pas suspensif.

Une décision du Conseil d'Etat en attente

A terme, les ONG espèrent d'ailleurs aussi obtenir une réponse positive à une deuxième demande: que la justice ordonne également à l'Etat de prendre les mesures nécessaires afin de respecter ses propres engagements climatique. La rapporteure publique, sans écarter cette possibilité, a toutefois conseillé au tribunal administratif d'attendre avant de se prononcer sur ce point.

Il s'agit en premier lieu de permettre aux ONG et à l'Etat d'échanger sur les mesures prises jusqu'à présent. Les ONG considèrent toutefois d'ores et déjà que le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, destiné à être débattu en mars au Parlement, est insuffisant: "une étude d'impact réalisée par le gouvernement lui-même montre que cette loi ne permettra de réaliser qu'au maximum la moitié ou les deux tiers du chemin", soulignent-elles.

Mais il s'agit également de pouvoir se fonder sur une décision que le Conseil d'Etat doit rendre dans une affaire similaire: celle de Grande-Synthe. Le 19 novembre, la haute juridiction administrative, saisie par cette commune littorale particulièrement exposée aux effets du changement climatique, avait en effet reconnu que quand il édicte des règles de droit, l'Etat doit s'y conformer. Il lui avait laissé trois mois pour justifier de la compatibilité de son action climatique avec ses propres objectifs. "Si les justifications apportées par le gouvernement ne sont pas suffisantes", le Conseil d'Etat s'était alors réservé le droit de "prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l'objectif de - 40 % [d'émissions de gaz à effet de serre] à horizon 2030" par rapport à leur niveau de 1990 : l'engagement pris par l'État français lui-même afin de mettre en œuvre l'accord de Paris.

Lire: Climat: le Conseil d'État rend une décision historique pour la France

Giulietta Gamberini

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Commentaires 5
à écrit le 21/01/2021 à 8:52
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Il n'y a pas eu de reférendum. Les promesses de l'état n'engagent que les fonctionnaires et politiques qui ont été assez stupides pour les faire. Prennez la peine dans leur poche.

à écrit le 16/01/2021 à 0:03
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On ne peut pas dire que le gouvernement n'a rien fait depuis les années 2000, forêts pas taxées, gpl détaxé, e85 détaxé, carburants e95, avec rajout de carburant agricole, aide à l'isolation, fermeture des centrales à charbon. Si le Français moutonn...

à écrit le 15/01/2021 à 16:12
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ces ONG sont fabuleuses pour donner des lecons de morale a tout le monde par contre quand il s'agit de balayer devant sa propre porte y a plus personne( par exemple cette ong qui fait des ' licenciements boursiers' :: https://www.leparisien.fr/econ...

à écrit le 15/01/2021 à 15:06
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Attention, l'Etat responsable d'accord. Mais l'Etat c'est nous, avec nos consciences démissionnaires de nos responsabilités primordiales vis à vis de la nature, en ne la gérant pas, ne la disant pas bien (comme de dire à temps venir la pluie, ce qui...

à écrit le 15/01/2021 à 11:03
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C'est une issue qui semblait logique du fait de nos politiciens seulement aux services des gros pollueurs dégageant sans arrêt leurs immenses responsabilités sur celles des citoyens qui eux n'y peuvent rien. Ca fait plaisir de voir que quelques uns o...

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