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Scandale de contrefaçon nucléaire en Corée du Sud

Des pièces fabriquées par Areva ont été copiées par un employé d'une centrale. Et installées sur au moins deux sites.

Par  (Tokyo, correspondance) et Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

Publié le 03 septembre 2012 à 15h16, modifié le 03 septembre 2012 à 15h40

Temps de Lecture 4 min.

La centrale de Tricastin dans la Drôme, en 2009.

Corruption, problèmes techniques, manque de transparence : la filière nucléaire sud-coréenne vit une année 2012 difficile. Surtout depuis la révélation – discrète et peu relayée dans la presse – du scandale de la contrefaçon de pièces détachées du groupe français Areva.

Fin juillet, le parquet d'Ulsan, chargé de l'enquête, a finalisé ses investigations qui ont conduit à l'arrestation de 22 personnes, dont plusieurs responsables de Korea Hydro and Nuclear Power (KHNP), l'entreprise publique chargée du nucléaire en Corée du Sud.

L'affaire a commencé le 27 avril quand le parquet a ouvert une enquête visant notamment un responsable de l'approvisionnement de la centrale de Kori, dans le sud-est du pays. En échange de pots-de-vin, l'homme aurait organisé la copie de pièces utilisées pour l'étanchéité des conduites assurant la transmission de données entre le cœur du réacteur et la salle de commande de la centrale.

L'original avait été acheté à Areva. L'employé aurait dérobé, en 2009, la pièce et les plans en 2009 pour la faire fabriquer par un industriel local. Celui-ci l'a reproduite en la modifiant légèrement, ce qui lui a permis de la faire breveter. Puis en a livré plusieurs à la centrale de Kori. D'autres ont été découvertes à la centrale de Yonggwang, dans le sud-ouest du pays.

DU CÔTÉ D'AREVA, PEU DE COMMENTAIRE

KHNP a d'abord réagi en affirmant que l'utilisation des pièces copiées ne présentait aucun risque. "Même si l'élément est une réplique d'un produit étranger, a déclaré à la presse un responsable de l'entreprise, l'industriel local a obtenu un brevet, ce qui signifie que cette pièce est un original." L'entreprise a néanmoins demandé au KINS, l'Institut coréen de sûreté nucléaire, de mener une enquête approfondie, dont les résultats ne sont pas encore connus...

Du côté d'Areva, peu de commentaire. "Nous préférons traiter directement avec KHNP", explique le groupe, qui n'a pas porté plainte, mais a comme priorité "de neutraliser le brevet, dont nous ne connaissons pas le champ d'application géographique, qui pourrait dépasser le cadre coréen".

"Areva ne veut pas trop en rajouter", estime un expert du nucléaire sud-coréen. Le groupe français et ses prédécesseurs travaillent en Corée du Sud depuis 1981 et collaborent avec KHNP – considéré comme un bon client –, notamment pour "élaborer une politique nationale sur la gestion des combustibles usés". Areva a vendu en 2009 six générateurs de chaleur. De son côté, KHNP est au capital de la Société d'enrichissement du Tricastin (SET) et de la mine d'uranium d'Imouraren au Niger.

Cette affaire de contrefaçon et de corruption n'est pas isolée. Un dirigeant de la centrale de Kori purge actuellement trois ans de prison : entre 2008 et 2010, il a confié des soupapes rouillées et destinées à être jetées à un industriel. Ce dernier les a nettoyées avant de les revendre à la centrale de Kori, au prix du neuf. A chaque fois, KHNP parle de cas isolés. Mais, dans les conclusions de son enquête sur la contrefaçon, le parquet d'Ulsan évoque "une corruption structurelle d'une société publique". KHNP, en l'occurrence.

RÉDUIRE LES COÛTS AU MAXIMUM

Ces affaires s'ajoutent aux nombreux incidents, souvent dissimulés, qui ont récemment fait l'actualité du nucléaire sud-coréen. Dernier problème en date : le 19 août, KHNP a annoncé l'arrêt d'urgence du réacteur no 1 de la centrale de Wolsong pour des soucis d'alimentation. Or ce réacteur avait été démonté et relancé le 31 juillet.

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En février, le réacteur no 1 de la centrale de Kori subissait une rupture d'alimentation électrique de douze minutes qui aurait pu avoir des conséquences très graves. Elle a été volontairement dissimulée pendant un mois par le directeur de la centrale.

L'une des causes profondes de ces dérives serait, explique un expert, "la pression exercée par le gouvernement qui maintient le prix de l'électricité à un niveau très bas pour soutenir l'industrie du pays". Dans ce contexte, la Compagnie d'électricité de Corée (Kepco), opérateur public et maison mère de KHNP, perd de l'argent et fait pression sur sa filiale pour réduire les coûts au maximum.

"D'où la tentation de vouloir produire localement et de faire des économies qui ont des répercussions sur la sûreté." Ce qui ne laisse pas d'inquiéter alors qu'en 2008 le gouvernement a décidé de porter la part du nucléaire dans la production d'électricité à 59 % en 2030, contre 32,18 % en 2010 ; 18 réacteurs s'ajouteront d'ici là au 21 déjà en service. Et Séoul veut exporter son savoir-faire.

LA COMMISSION DE SÛRETÉ ET DE SÉCURITÉ PEINE À S'IMPOSER

Toutes les affaires mises au jour, les inquiétudes suscitées par la catastrophe nucléaire japonaise de Fukushima et les pressions de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ont toutefois incité le gouvernement à engager des réformes.

Le 29 juin 2011, il a créé la Commission de sûreté et de sécurité nucléaires (NSSC), nouvelle instance de régulation dépendante désormais de la présidence et non plus du ministère des sciences (MEST), l'une des deux administrations, avec le ministère de l'économie du savoir, à promouvoir le nucléaire. La NSSC compte une centaine de membres et peine encore à s'imposer.

Le MEST, qui maintient que les réacteurs sud-coréens sont sûrs, a néanmoins débloqué fin 2011 1 000 milliards de wons (700 millions d'euros) sur cinq ans pour "améliorer leur sûreté". KHNP a, elle, lancé un grand "nettoyage". Son président Kim Jong-shin a démissionné en avril. Et trois des quatre directeurs exécutifs adjoints devraient être remplacés en septembre.

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