La Commission de régulation de l’énergie vient de publier une nouvelle estimation des recettes que procurent à l’État les renouvelables : au total, 31 milliards d’euros sur 2022 et 2023, une évaluation en forte hausse par rapport à celle de juillet dernier.

Doux euphémisme : la Commission de régulation de l’énergie (CRE) évalue régulièrement les « charges de services publics de l’énergie ». Mais aujourd’hui, les « charges » liées au soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole et au soutien à l’injection de biométhane sont négatives : ce sont des recettes pour les finances publiques.

Une première évaluation des « charges » pour 2023 avait montré que les éoliennes, notamment, étaient devenues les nouvelles « machines à cash » de l’État. La réévaluation de début novembre laisse pantois : toutes les filières d’énergies renouvelables en métropole continentale représenteront des recettes pour le budget de l’État, pour une contribution cumulée de 30,9 milliards d’euros (Md€) au titre de 2022 et 2023.

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La filière éolienne terrestre contribue majoritairement à cette recette à hauteur de 21,7 Md€ (précédemment évaluée à 7,6 Md€). La filière photovoltaïque, dont la CRE estimait en juillet qu’elle représenterait une dépense de 900 millions d’euros, contribuera à ces recettes à hauteur de 3,5 Md€, la filière hydraulique à hauteur de 1,7 Md€. La filière du biométhane injecté contribue également à hauteur de 0,9 Md€ (au lieu de constituer une dépense de 500 millions).

Bref, la CRE souligne « l’apport majeur des énergies renouvelables aux finances publiques dans le contexte actuel de crise des prix de gros de l’énergie. » Cette recette devrait permettre de financer, au moins en partie, les dépenses exceptionnelles liées aux mesures de protection des consommateurs annoncées par l’État.

C’est surtout pour l’année prochaine que la nouvelle évaluation diffère de la précédente, qui ne date pourtant que de moins de quatre mois : 14,3 Md€ de plus liées à l’éolien et au solaire. Pour l’année en cours, ce n’est pas mal non plus : toutes charges confondues (y compris par exemple le soutien aux zones non interconnectées) les recettes attendues d’un peu moins de 600 millions passent à 8,5 Md€.

Pourquoi la cagnotte a-t-elle enflée ?

La raison principale de cette évolution, c’est la hausse de la valorisation sur les marchés de gros de l’électricité des productions éoliennes, solaires et de biogaz. Entre la hausse des prix du gaz, qui résulte largement de la guerre en Ukraine (mais qui avait démarré avant du fait de la forte reprise économique post-confinements), et la faiblesse du parc nucléaire français, une part croissante de l’électricité française voit son prix refléter celui de l’électricité produite avec du gaz, en France ou ailleurs en Europe.

Une raison secondaire, c’est le « déplafonnement » des avoirs des contrats de compléments de rémunération. Dans le cadre de ces contrats, si le prix garanti aux opérateurs devient inférieur aux prix de marché, ce sont les opérateurs qui paient l’État au lieu que ce soit ce dernier qui « complète » leur rémunération. Initialement, ces versements étaient limités, pour chaque projet, au remboursement des « compléments » éventuellement perçus depuis leur entrée dans les contrats.

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La loi de finances rectificatives pour 2022, votée fin juillet et promulguée en août, a fait sauter ce plafond, et ce, dès le 1er janvier 2022. Comme les contrats garantissent une rémunération « raisonnable » des investisseurs, tout surplus est considéré comme une recette « indue » (l’anglais nomme ça un « windfall profit », mais cela n’est pas réservé au « wind power », c’est-à-dire à l’éolien).

Des recettes qui ralentissent

Deux phénomènes viennent toutefois ralentir cette progression des recettes de l’État :

Le retard de la prise d’effet des contrats de soutien pour de nouvelles installations, consenti par la CRE fin août à la demande du gouvernement, afin de garantir la construction de projets ayant obtenu un contrat de complément de rémunération avant la hausse récente des prix des matériaux et crédits. Pendant dix-huit mois au plus, ces projets peuvent être financés par la vente sur le marché de l’électricité, sans intervention des contrats, donc d’obligation de verser la différence au Trésor.

Les résiliations anticipées de contrats de soutien. Il s’agit d’installations proches de la limite d’âge des contrats de soutien, donc plutôt des obligations d’achats que des compléments de rémunération, dont les opérateurs ont demandé à sortir des contrats avant l’échéance, ce qu’ils peuvent en général faire sans avoir à verser d’indemnité.

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Les demandes portent aujourd’hui sur 3,7 gigawatts (GW), et représentent une perte importante pour le budget de l’État, 6 à 7 Md€ cumulés pour les années 2022 et 2023. La CRE estime « ces installations n’ont pu être développées que grâce au soutien financier de l’État dont elles ont bénéficié sur des durées généralement supérieures à dix ans » et juge « tout à fait anormal que les producteurs concernés sortent des contrats garantis par l’État à quelques années de leur échéance pour profiter des prix de gros élevés ».

Bref, elle recommande de renforcer la mesure de taxation des rentes prévues par la réglementation européenne pour ces installations : il s’agit là du « plafond » de 180 euros par MWh imaginé par la Commission européenne, mais que la CRE verrait bien rabaissé à un niveau nettement inférieur, ce qui est semble-t-il une prérogative des gouvernements nationaux.

Un pactole aux effets pervers ?

Ce plafond pourrait également affecter… la mise sur le marché de l’électricité des projets qui vont bénéficier de contrats de rémunération à un niveau fixé il y a un an ou deux, niveau désormais insuffisant pour assurer leur rentabilité. C’est-à-dire ceux que la CRE a justement autorisé à différer de 18 mois la prise d’effet des contrats, comme rappelé plus tôt.

Le risque est de voir des GW de projets éoliens ou solaires prêts à construire immédiatement s’évanouir dans la nature, au moment même où nous en avons le plus besoin, avant l’hiver 2023-2024, qui s’annonce comme aussi difficile sinon plus que l’hiver 2022-2023 : si les centrales nucléaires aujourd’hui à l’arrêt seront peut-être remises en route avant un an, en revanche nos réservoirs de gaz seront plus difficiles à remplir en l’absence totale de gaz russe.

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Faire bénéficier les contribuables de toutes les rentes indues, c’est très bien ; il est un peu dommage que le gouvernement ne semble se préoccuper que des rentes perçues par les producteurs d’énergie renouvelable. Et il faudrait éviter de tuer la poule aux œufs d’or, quand dans le même temps, on dépense des milliards pour venir en aide aux dépenses énergétiques des Français, de façon trop peu indistincte, ce qui s’appelle subventionner les énergies fossiles avec l’argent des renouvelables.