Fonctionner avec 100% d’énergies renouvelables en 2050, c’est possible même en France. Toutes les études scientifiques qui se sont penchées sur la question, dont celle conduite par l’ADEME en 2015, étaient arrivées à cette conclusion. Mais dans le pays le plus nucléarisé au monde, le lobby de l’atome est très puissant et son dogme selon lequel il n’est pas envisageable de se passer du nucléaire, a la vie dure. Un nouveau rapport publié cette fois par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), la gardienne du « Temple de l’orthodoxie énergétique » et par RTE, filiale d’EDF, donne une nouvelle légitimité au 100% renouvelable et pourrait modifier le rapport de force.

Réalisée à la demande du ministère de la transition écologique, l’étude menée conjointement par le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE) et l’Agence internationale de l’énergie (AIE), conclut à la faisabilité d’un système électrique français qui pourrait d’ici 2050 reposer sur une part « très élevée » d’énergies renouvelables et se passer du nucléaire.

« Il existe un consensus scientifique sur l’existence de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle » estime le rapport. Pour les lecteurs assidus de notre site ce n’est pas une surprise puisque nous avions déjà fait état à plusieurs reprises d’études scientifiques nationales ou internationales qui arrivaient à cette conclusion. En France, un rapport de l’ADEME sorti en avril 2015 allait dans le même sens, suscitant la colère d’EDF et du gouvernement. L’agence avait dû attendre de longs mois avant d’obtenir le feu vert pour publier son l’étude … qui a très vite été rangée aux oubliettes.

Le dogme de l’atome indispensable

Au sommet de l’Etat français, il semble en effet que l’on croie toujours au dogme de l’atome indispensable. Au détour d’un entretien avec Brut, début décembre, Emmanuel Macron confessait encore sa foi en cette énergie. Et quelques jours plus tard, en visite au Creusot, haut lieu de la métallurgie nucléaire française, il confirmait son soutien à la filière en assurant que « l’avenir énergétique et écologique de la France passe par le nucléaire ».

Selon nos confrères du site Contexte qui a dévoilé le nouveau rapport en primeur, l’étude confiée à l’AIE et à RTE est la conséquence d’une colère de l’ex-ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne. En octobre 2019, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, avait soutenu que la neutralité climatique de la France en 2050 ne pourrait pas être atteinte sans construire de nouveaux réacteurs. « Personne ne pense qu’on puisse l’assurer (…) uniquement avec des renouvelables et du stockage. Donc il faudra de nouvelles centrales nucléaires » avait-il déclaré. Selon un connaisseur du dossier, la ministre se serait alors mise en colère et aurait dit : « on va leur montrer que nous décidons ».
Le choix du ministère de la Transition écologique d’associer l’AIE à l’exercice avait pour but de lui donner un caractère international et d’esquiver tout procès en légitimité.

Révolution

Résultat d’un long et minutieux travail scientifique, le rapport de l’AIE et de RTE a été remis à Barbara Pompili le lundi 25 janvier 2021 et publié deux jours plus tard. La ministre de la Transition écologique semble ravie de ses conclusions. « Ce rapport constitue un moment copernicien pour le monde de l’énergie. Nous avons désormais la confirmation que tendre vers 100 % d’électricité renouvelable est techniquement possible. C’est une évolution conceptuelle majeure et une révolution pour nos représentations collectives concernant notre mix électrique. Nous allons poursuivre ce travail de prospective pour garantir un débat public de qualité et fonder nos choix en matière de politique énergétique sur des bases scientifiques et techniques, en éclairant pleinement les conséquences des différents scénarios envisageables » a-t-elle précisé dans un communiqué.

Pour Greenpeace, l’étude confirme ce que prônent les organisations environnementales depuis de nombreuses années. « Le gouvernement affirme que le choix doit relever d’un débat démocratique mais, en réalité, depuis près de deux ans, il pave, avec EDF, la voie d’une relance du nucléaire », a regretté l’ONG.

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EDF et le lobby nucléaire, pas contents …

Du côté d’EDF, le rapport fâche. Selon Contexe qui cite un connaisseur du secteur, « EDF a vraiment peur car si c’est possible, alors les gens vont se dire que c’est souhaitable. La filière aurait clairement voulu un message d’impossibilité ».
Le jour même de sa publication, l’entreprise a vanté les atouts d’un système électrique appuyé sur « les deux jambes » des renouvelables et du nucléaire. « On va le regarder attentivement », a réagi Xavier Ursat, directeur exécutif d’EDF en charge de l’ingénierie et des nouveaux projets nucléaires. « Parier sur un système électrique qui s’appuie sur les renouvelable et le nucléaire, de manière équilibrée, c’est une voie pragmatique, manœuvrante… », a-t-il affirmé. Mettant visiblement en doute le sérieux de l’étude il ajoute : « Si on fait des paris qui s’avèrent finalement inopérants, on n’aura plus qu’un seul moyen : c’est très rapidement de construire des centrales à gaz pour compenser le fait qu’on a placé des espoirs qui ne se sont pas confirmés ».

Sans attendre que l’Etat décide de lancer ou non un programme de construction de nouveaux réacteurs, EDF a même annoncé ce jeudi, au lendemain de la publication du rapport, avoir déjà demandé à Framatome « de lancer la production de certaines pièces forgées » pour de nouveaux EPR. S’il voulait forcer la main du gouvernement, l’énergéticien ne s’y prendrait pas autrement. « En notre qualité d’industriel responsable et en tant que chef de file de la filière nucléaire, nous mettons tout en oeuvre pour que le tissu industriel soit en capacité d’honorer la construction de nouveaux EPR si une décision était prise en ce sens », a indiqué un porte-parole d’EDF à l’AFP.

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Le lobby nucléaire français n’a pas attendu longtemps non plus pour sortir l’artillerie lourde. Et un rapide tour d’horizon des titres de la presse française nous montre qu’il dispose de puissants relais. « Ce scénario étonne et détonne par son caractère peu réaliste » peut-on par exemple lire sur un site dédié aux questions énergétiques. Une opinion qui n’est basée sur aucune étude sérieuse et une remise en cause de la science digne des pires théories du complot.

Quant à Emmanuel Macron, il n’a, à notre connaissance, pas encore réagi, mais nul doute que les conclusions de ce rapport qui tombe quelques jours après sa profession de foi pour l’atome ne le fasse pas sourire.

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