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Énergie

Un avenir sans nucléaire est possible, selon Négawatt

Des éoliennes à Bourgneuf-en-Retz (Loire-Atlantique).

L’association Négawatt a présenté son scénario 2022 pour une France à la production électrique entièrement renouvelable et sans nucléaire d’ici 2050. Elle espère que ses propositions, urgentes à mettre en œuvre, seront reprises par les candidats à l’élection présidentielle.

Une consommation énergétique divisée par deux, une production électrique issue à 100 % de sources renouvelables, 500 000 emplois créés… Voici ce à quoi pourrait ressembler la France en 2050, si l’on en croit la dernière édition du scénario Négawatt publié mardi 26 octobre. La trajectoire décrite par l’association éponyme ne relève pas de la science-fiction, assure son directeur, Stéphane Chatelin. Élaboré à partir d’une modélisation fine de notre système énergétique, ce scénario montre qu’il est possible d’atteindre la neutralité carbone en 2050 sans avoir recours au nucléaire. Et propose une stratégie concrète pour y parvenir.

Comme ses précédentes éditions, le cru 2022 du scénario Négawatt repose sur deux grands piliers : la sobriété et l’efficacité énergétique. L’idée cruciale reste de réduire à la source nos besoins en énergie grâce à des changements de comportement collectifs (favoriser le vélo, allonger la durée de vie des équipements, etc.), et de diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction de certains besoins grâce à des innovations techniques (par exemple en améliorant le rendement des appareils électriques, ou en isolant davantage les bâtiments).

L’évolution des sources d’énergie dans le scénario négaWatt. © Négawatt

Mais cette cinquième édition contient d’importantes nouveautés. En plus de son volet portant sur l’énergie, elle propose un scénario « négaMatt », consacré aux matières premières et aux matériaux. Son bilan intègre désormais les émissions de gaz à effet de serre importées, c’est-à-dire liées aux biens de consommation produits à l’étranger. Les auteurs du rapport ont également décidé d’aller « beaucoup plus loin » qu’auparavant sur le volet politique des mesures.

« L’idée est que les grandes orientations de ce scénario puissent être reprises par des candidats à la présidentielle, explique Stéphane Chatelin. Si l’on veut atteindre nos objectifs, ce quinquennat est celui de la dernière chance. On ne peut plus attendre encore et encore. Il faut passer de la politique des petits pas à celle des grandes enjambées. »

« Si l’on ne fait rien pendant dix ans, le rythme sera impossible à tenir. »

Autre évolution par rapport aux précédents scénarios : la date de fermeture du dernier réacteur nucléaire français a été décalée à 2045, contre 2035 dans la dernière mouture de 2017. « Notre position sur le nucléaire n’a pas bougé, précise Stéphane Chatelin. Simplement, étant donné que peu de choses ont été faites au cours des cinq dernières années sur les chantiers de la réduction de la consommation électrique et du développement des énergies renouvelables, cela repousse mécaniquement l’échéance de fermeture du dernier réacteur. »

Plus la France persévérera dans son modèle actuel, plus il lui sera difficile d’atteindre les objectifs fixés dans ce scénario, prévient l’ingénieur énergéticien. « Nous avons aujourd’hui un objectif de diminution de 5 % des émissions de gaz à effet de serre par an. Si l’on avait commencé il y a vingt ans, il serait moins élevé. Si l’on ne fait rien pendant encore dix ans, le rythme pour atteindre la neutralité carbone en 2050 sera quasiment impossible à tenir. »

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Le scénario Négawatt propose plusieurs mesures pour mettre le pays sur la bonne voie. Côté mobilité, l’association mise sur un report important des déplacements en voiture vers les transports en commun, la marche et le vélo, une baisse de la vitesse sur les routes, le développement du covoiturage et une diminution des distances parcourues. Elle prône également une réduction forte du trafic aérien, à la fois intérieur et extérieur. Le transport ferroviaire devrait se développer afin de compenser la fermeture de certaines lignes aériennes.

Accélérer la rénovation énergétique

Dans le secteur du bâtiment, qui représente à lui seul 44 % de l’énergie consommée en France, Négawatt propose d’accélérer sur la rénovation énergétique. Chaque année, 33 000 logements sont labellisés « basse consommation ». L’association souhaiterait que ce chiffre passe à 800 000 en 2030. Afin d’atteindre cet objectif ambitieux, elle suggère de rendre progressivement obligatoire la rénovation complète et performante des habitations, de mettre en place une offre simplifiée de financement de ces travaux, et de lancer un plan de formation régional aux métiers de la rénovation.

Cette année, le scénario négaWatt commence également à prendre en compte les matériaux. © Négawatt

En ce qui concerne l’industrie, le scénario de Négawatt prévoit une division par deux de la consommation d’énergie, notamment grâce à une diminution de la consommation, à l’augmentation de la durée de vie des biens matériels et à l’augmentation du taux de recyclage des métaux, du plastique et du verre. Dans le secteur de la sidérurgie, par exemple, la production passerait de 15 à 11 millions de tonnes par an. Les procédés seraient décarbonés grâce à l’utilisation d’hydrogène en remplacement du charbon dans les hauts fourneaux. « Notre scénario n’intègre pas de paris technologiques, précise Stéphane Chatelin. Cela nous paraît trop risqué. Nous nous appuyons uniquement sur des technologies matures d’un point de vue industriel, qui ont fait leurs preuves et dont on imagine qu’elles pourraient se déployer massivement. »

« Il faut mettre en place les infrastructures qui permettent ces changements. »

Dans la société neutre en carbone dépeinte par l’association, la consommation de viande baisserait de moitié. L’agriculture conventionnelle basculerait vers des modèles biologiques ou agroécologiques. Moins de maisons neuves seraient construites et davantage de bâtiments seraient réhabilités. La taille de nos équipements et notre usage de certains outils (climatisation, éclairages, etc.) devraient quant à eux redevenir « raisonnables ».

Ces mesures supposent une évolution importante de nos modes de vie. Au point de les rendre inacceptables ? « Cette transition s’inscrirait dans un projet de société, dit Stéphane Chatelin. On ne ferait pas qu’ajouter des contraintes. » Le directeur de Négawatt souligne l’importance des transformations structurelles : « Il ne faut pas que la population ait l’impression de subir cette transition. On ne peut pas simplement imposer aux gens de moins prendre leur voiture et d’avoir davantage recours au vélo. Il faut mettre en place les infrastructures qui permettent ces changements de mode de transport. »

Deux fois plus d’éoliennes terrestres

Résultat des courses : grâce à l’efficacité et à la sobriété, la consommation d’énergie primaire devrait passer de 2 600 TWh en 2021 à 1 060 TWh en 2050. L’éolien, le photovoltaïque, l’hydraulique, le bois et le biogaz (produit par méthanisation) feraient partie des principales sources d’énergie utilisées. Le nombre d’éoliennes terrestres serait multiplié par deux. L’éolien marin serait également appelé à se développer, pour atteindre 38 GW de puissance installée. L’utilisation de pétrole et de gaz fossile serait résiduelle (elle ne servirait plus qu’à produire certaines matières premières).

Selon le scénario Négawatt, l’électricité devrait représenter la moitié de la consommation énergétique primaire totale en 2050, soit 530 TWh. Elle serait intégralement issue de sources renouvelables, et, pour certaines d’entre elles, variables (la production des éoliennes et des panneaux photovoltaïques fluctue en fonction des conditions météorologiques). L’association a identifié plusieurs leviers afin de pallier ce problème. Tout d’abord, la conversion d’électricité en gaz : « Les excédents de production éolienne et solaire lors de périodes de surproduction pourraient permettre de produire de l’hydrogène, puis éventuellement du méthane », explique Stéphane Chatelin. L’hydrogène et le méthane ainsi produits pourraient être stockés, puis utilisés soit pour produire à nouveau de l’électricité, soit pour être utilisés comme carburants ou comme combustibles industriels.

Et la santé

Autres pistes : le développement du « vehicle-to-grid », qui permet de faire ponctuellement appel aux batteries des véhicules électriques connectées au réseau pour compenser d’éventuels déficits de production, les effacements de consommation, qui consistent à rémunérer de gros consommateurs d’électricité afin qu’ils réduisent leur consommation, et le recours à des centrales à gaz renouvelable. « L’équilibre offre-demande est d’autant plus difficile à atteindre qu’on a une pointe de consommation électrique élevée, dit Stéphane Chatelin. Aujourd’hui, la pointe de consommation maximale est d’environ 100 GW. Dans notre scénario, elle passerait à 60 GW, ce qui est bien plus facile à fournir que 100 GW. »

Dans le scénario Négawatt, la consommation de matériaux devrait également baisser. Seules les extractions de lithium, utilisé pour fabriquer les batteries des véhicules électriques, devraient augmenter sensiblement (+ 54 % en 2050, selon les estimations de l’association). Grâce à la réduction du volume global de déplacements, l’association espère cependant limiter autant que possible la ruée vers ce métal stratégique. Dans son scénario, un tiers des véhicules seraient hybrides, et pourraient fonctionner avec du gaz renouvelable pour les déplacements longue distance. Cela permettrait de réduire la taille de leurs batteries. La France pourrait mener à bien sa transition en utilisant « seulement » 1 % des réserves prouvées de lithium mondiales. « Nous n’aurions pas besoin d’aller exploiter de nouveaux gisements dans des fonds marins », précise Stéphane Chatelin.

Suivre une telle trajectoire aurait de nombreux bénéfices pour la population française, selon l’association. La pollution de l’air, responsable de près de 50 000 morts prématurées par an, devrait baisser. Les auteurs de ce scénario ont calculé que la pratique plus régulière d’activités physiques (marche et vélo) devrait à elle seule éviter plus de 10 000 morts par an entre 2035 et 2050. L’espérance de vie moyenne devrait quant à elle augmenter de trois mois. Le modèle de transition proposé par Négawatt devrait également créer de l’emploi, notamment dans le secteur de la rénovation des bâtiments et des énergies renouvelables. « Nous le voyons comme un scénario de relance industrielle vertueuse », dit Stéphane Chatelin. Reste à convaincre les prétendants à l’Élysée.

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